dimanche 1 avril 2018

« […] le mot d’ordre est clair : la grève continue ! », dixit Alexandre Adjina, membre du Front d’Action des syndicats de l’éducation

Dans le cadre d'une interview à notre Rédaction

Le mouvement ayant embrasé le système éducatif béninois, depuis janvier 2018, est loin d’avoir atteint son épilogue, ce qui ressort de cette interview qu’a bien voulu accorder à la Rédaction de votre Journal, Alexandre Adjina, membre du Front d’Action des syndicats de l’éducation. De même, notre invité rejette avec véhémence les informations selon lesquelles le salaire du mois de mars aurait été payé par l’Etat aux enseignants grévistes sans la défalcation. Il n’oublie de nous embarquer dans les coulisses des négociations Gouvernement-syndicats, pour crucifier certains Ministres aux propos peu amènes. Lisons plutôt …

Alexandre Adjina, membre du Front d'action des Syndicats de l'Education
Journal ’’Le Mutateur’’ : Alexandre Adjina, vous êtes un représentant syndical de l’Enseignement secondaire et un membre du Front d’Action des syndicats de l’éducation. En tant que tel, vous voudriez bien nous dire quelle est la situation qui prévaut actuellement au niveau de l’Enseignement secondaire. Est-ce que les cours ont repris ?

Alexandre Adjina : Merci, M. le journaliste. En tant que membre du membre du Front d’Action des syndicats de l’’éducation, je ne vais pas me prononcer seulement sur la situation au niveau de l’Enseignement secondaire, mais je le ferai sur la situation au niveau des enseignements maternel, primaire et secondaire.
Il faut rappeler que le lundi 19 mars 2018, après une rencontre entre une forte délégation du Front d’Action des syndicats de l’éducation, et le Ministre des Enseignements maternel et primaire, Salimane Karimou, on a constaté que les membres du Front sont restés fermes, ont tenu bon et sont restés attachés à leurs revendications. Donc, le Ministre était hors de lui-même et, il a tenu des propos qu’une autorité ne devrait pas tenir, parce que lorsqu’on parle de négociation, il faut des termes et des expressions appropriés ; il faut le respect mutuel. Nous sommes des partenaires sociaux, dit-on. Quand on parle des partenaires sociaux, cela regroupe les autorités et les représentants des organisations syndicales.
Donc, ce Ministre, face à la fermeté de la délégation du Front, a tenu certains propos. Il a dit, par exemple, que ce n’est pas pour la première fois qu’il y a eu une année blanche dans ce pays, que, sous le Général Mathieu Kérékou, on a connu une année blanche mais que cela n’a pas empêché les Béninois d’aller le chercher pour qu’il devienne encore Président de la République pendant dix ans. Ce ne sont pas des choses qu’un Ministre doit dire. Et, il est allé au-delà pour affirmer qu’il faut continuer à affamer les enseignants, à confisquer les salaires et que, lui, il sait ce que représente la date du 20 du mois pour un enseignant et que lorsqu’on va continuer à les affamer, ils vont reprendre le chemin de l’école. Et, c’est ce même 19 mars 2018 qu’il a fait suspendre la motion prise par le machin qu’il a fabriqué et qu’on appelle l’Intersyndicale de la Maternelle et du primaire (Imp) que nous, on appelle maintenant l’Intersyndicale de la Majorité présidentielle parce que, tenez-vous tranquille, lorsque vous lisez la motion de suspension de nos camarades de l’Imp, vous allez vous poser des questions.
Voilà des enseignants de la maternelle et du primaire, qui sont en grève pour la régularisation de leur situation administrative et financière, nous avons des enseignants qui gagnaient 33.000 Francs comme avance sur solde mais, depuis le 31 décembre 2017, on leur a coupé cette avance sur solde là. Nous avons des enseignants qui ont des problèmes de formation, de reclassement, d’intégration, entre autres, au niveau du Ministère des Enseignements maternel et primaire, nous avons la question des Statuts particuliers. Et, lorsqu’on parle des Statuts particuliers, nous avons la question de l’indexation et celle des arrêtés d’application.
Mais, vous constatez avec nous qu’aucun des problèmes n’a été réglé et, à cela s’ajoute la défalcation illégale et arbitraire, en violation de l’article 25 de la Loi 2001—09 du 21 juin 2002, portant exercice du droit de grève en République du Bénin. Donc, c’est dans ce contexte qu’un groupuscule – ils sont cinq environ – se réclamant de l’Intersyndicale de la Maternelle et du primaire ont prononcé la suspension de la motion de grève. C’est un crime ! Ce n’est pas loin d’un crime parce que vous êtes censés défendre des travailleurs qui n’ont  rien obtenu, qui continuent la grève, qui ont été défalqués de façon arbitraire, et vous prononcez la suspension. Ils ont été désavoués. Donc, il n’y a pas eu reprise au niveau des Enseignements maternel et primaire, comme le Ministre a tenté de le faire croire.
Au niveau de l’Enseignement secondaire, il n’y a pas eu non plus reprise. Et, je dois rappeler que le Ministre des Enseignements secondaire, technique et de la formation professionnelle, Mahougnon Kakpo, a rencontré une délégation du Front le jeudi 22 mars 2018.  Au cours de cette séance, le Ministre a tenté de convaincre les membres du Front, pour obtenir une certaine reprise. Mais, ceux-ci ont été clairs : pas question de reprendre si les revendications ne sont pas satisfaites. Il faut rappeler que les enseignants en grève n’ont pas demandé à tout obtenir tout de suite. La preuve en est que nous avons fait suffisamment de concessions.
Lorsque nous prenons les décrets portant Statuts particuliers, il y a 24 arrêtés auxquels nous avons droit. Sur ceux-ci, on a demandé à bénéficier seulement de 9, donc, pratiquement le tiers. En dehors de cela, le 24 mars 2018, le Ministre Mahougnon Kakpo a essayé de rendre compte au Gouvernement de la rencontre qu’il a eue avec nous et de la fermeté dont la délégation du Front a fait montre, il a essayé de faire venir la Ministre Adidjatou Mathys et le Ministre Abdoulaye Bio Tchané. Mais, ceux-là sont venus envenimer la situation ; ils se sont moqués de nous. Je vais rappeler certains propos qu’ils ont tenus. D’abord, Adidjatou Mathys estime que les enseignants de la maternelle, du primaire et du secondaire sont les mieux lotis de la République, alors que les enseignants du Supérieur ont eu leurs Statuts particuliers depuis 2010, et que les seuls parents pauvres du système éducatif restent et demeurent les enseignants de la maternelle, du primaire et du secondaire. Que cette Ministre vienne s’asseoir pour nous dire que nous sommes les mieux lotis de la République, c’est une insulte à notre endroit. Et, qu’est-ce qu’Abdoulaye Bio Tchané a dit ? Voilà des gens qui parlent de sortie de crise mais qui se moquent des enseignants. Voilà un Ministre qui vient s’asseoir, qui prend la parole et qui dit : « Pendant la Révolution, il y avait une chanson qu’on avait l’habitude de chanter : ’’Qui n’a pas travaillé n’a pas le droit au salaire’’ ». Nous ne leur avons pas réclamé le salaire ; ils ont confisqué les salaires en violation de l’article 4 b des Recommandations n°85 de l’Organisation internationale du travail, sur la protection du salaire.
Mais, nous n’avons pas réclamé les salaires, nous ne leur avons pas dit que nous avons faim ! La preuve : le mardi 6 mars 2018, quand nous avions marché, et avions terminé cette marche par un sit-in au Ministère du Développement, quand le Ministre Tchané était venu recevoir la motion et avait dit qu’on avait fait le mandatement des salaires, nous lui avons répliqué que nous n’étions pas là pour les salaires mais pour les Statuts particuliers. Donc, il est venu se moquer de nous en disant que celui qui n’a pas travaillé n’a pas le droit au salaire.
Ceux-là ne sont pas dans la logique d’un dégel, d’une sortie de crise ; ce sont des va-t-en-guerre. Et, les gens ne disent pas la vérité au Chef de l’Etat. Voilà Salimane Karimou, un Ministre qui a cru que les cours allaient reprendre dans les écoles maternelles et primaires, après ce simulacre, ce théâtre de suspension, prononcé par l’Imp. Mais, quand il a voulu en sillonner quelques-unes à Porto-Novo, il a constaté qu’elles étaient restées fermées. Et, il a été obligé de mentir devant micros et caméras, pour dire que les gens avaient voulu reprendre les cours mais qu’ils avaient peur des syndicalistes, alors que le jour même où il parlait, aucun syndicaliste n’était là ; les syndicalistes n’ont pas besoin d’aller faire sortir leurs camarades qui sont convaincus de la lutte qu’ils sont en train de mener. Donc, c’est un montage et, après cela, nous avons constaté qu’ils ont appelé certains directeurs, certains enseignants qu’ils ont mis dans certaines classes, dans la zone de Godomey et de Calavi, il a fait promener micros et caméras pour montrer que les cours avaient repris. C’est dommage que l’on en arrive là parce qu’on veut sauvegarder un fauteuil ministériel. Le Ministre Salimane Karimou doit savoir qu’après le fauteuil ministériel, il y a encore une vie et, tout finit par finir, rien n’est éternel.
Il est en train de faire croire au Chef de l’Etat qu’il maîtrise son secteur, alors que les écoles maternelles et primaires sont restées fermées. Donc, la séance du samedi 24 avril 2018 n’a également rien donné. Ces Ministres, en dehors du Ministre Kakpo qui était dans la posture de quelqu’un qui veut négocier, qui souhaite un dégel, ils se sont moqués des enseignants. Les camarades ont déjà eu le compte-rendu de cette séance à travers les différentes assemblées générales qui ont été organisées sur toute l’étendue du territoire national. Et, le mot d’ordre est clair : la grève continue !


Nous avons appris que les salaires du mois de mars ont commencé à être payés et qu’ils n’ont pas été défalqués …

C’est faux ! C’est du pipeau ! Nous avons des collègues du Secondaire qui ont dit qu’ils ont été défalqués à hauteur de plus de 150.000 Francs déjà. Cela dépend du grade de chacun. Mais, contrairement à ce que le Gouvernement a fait croire, ce n’est pas à partir du mardi 27 mars que certains ont commencé à constater l’arrivée du message de mandatement de leur salaire du mois de mars sur leur portable ; c’est plutôt à partir du mercredi 28 mars, dans l’après-midi, avec défalcation. Même si le salaire était payé, sans défalcation, ce n’est pas l’objet de notre grève. Nous sommes allés en grève pour réclamer la prise des arrêtés d’application des décrets portant Statuts particuliers. Donc, même si les salaires étaient payés en intégralité, nous attendons la rétrocession des sommes d’argent défalquées en février. Et, quand cette rétrocession va devenir une réalité, nous allons nous asseoir pour négocier par rapport aux avantages contenus dans nos Statuts particuliers. Nous n’allons pas accepter le saupoudrage qui consiste à éparpiller 28.000 Francs sur six arrêtés, par an, pour dire que c’est ce que le Gouvernement a à nous donner. Lorsqu’on fait le point, le plus gradé a à peine 2300 Francs pendant que celui qui l’est moins a à peine 1000 Francs. On n’est pas allés en grève pour les primes de rentrée ; ce sont les primes de rentrée que nous gagnons par an. Donc, la grève continue et continuera toujours. Et, tout le peuple béninois s’est rendu compte que le Gouvernement fait seulement du chantage en criant à la manipulation, en parlant de grève politique. Heureusement, un député de ce camp, en la personne d’Orden Alladatin, a avoué, sur le plateau de Golfe télévision, - j’y étais aussi, au niveau de l’émission ’’Le Grand débat’’ – qu’il avait demandé aux syndicalistes de la Bourse du Travail de susciter une grève politique contre Yayi,  et qu’il ne l’avait pas eue.
Nous autres, nous ne sommes pas manipulés, nous ne sommes pas manipulables par des politiciens. Et, comme l’a dit le Secrétaire général de la Cosi-Bénin (Confédération des organisations syndicales indépendantes du Bénin, Ndlr), Noël Chadaré, nous ne sommes pas des pantins désarticulés que les hommes politiques peuvent manipuler à leur guise. Nous sommes en grève pour des revendications corporatistes ; notre grève prend sa source dans les problèmes sectoriels, les problèmes sociaux, la cherté de la vie, la violation des libertés … Lorsque vous prenez la motion du Front, nous n’avons que des revendications corporatistes : il s’agit de la prise des arrêtés d’application des décrets portant Statuts particuliers, la régularisation de la situation administrative et financière des différentes catégories d’enseignants de la maternelle, du primaire et du secondaire, la prise de l’arrêté portant modalités de recrutement et d’emploi des enseignants vacataires, parce que c’est au niveau de ce nouvel arrêté qu’on va constater l’augmentation du taux horaire de vacation, promise par les autorités et consignée dans ce projet d’arrêté, après les travaux d’une Commission mise en place. Nous avons également exigé le recrutement d’enseignants, promis par le Gouvernement, au profit du Ministère des Enseignement maternel et primaire, et du Ministère des Enseignements secondaire, technique et de la formation professionnelle ; il a été dit que 4154 enseignants vont être recrutés. Nous avons également exigé le transfert des cotisations des Agents contractuels de l’Etat de la Caisse nationale de sécurité sociale vers le Fonds national de retraite. Vous voyez que ces quatre revendications sont des revendications corporatistes ; nous n’avons pas de revendications politiques. Donc, les chantages du Gouvernement ne vont pas émousser notre ardeur ; les enseignants sont déterminés, sur le terrain, les tentatives de démobilisation qui ont consisté à faire prononcer une suspension de façade par l’Imp n’ont pas prospéré. La preuve : tous les responsables syndicaux qui se sont associés au groupuscule de responsables qui ont prononcé la suspension, ont été sanctionnés par leurs différentes fédérations et confédérations ; cela s’est passé déjà au niveau de la Cgtb (Confédération générale des travailleurs du Bénin, Ndlr), de l’Unstb (Union nationale des syndicats des travailleurs du Bénin, Ndlr) et de la Cosi-Bénin. Donc, ce sont des gens persona non grata, parce qu’ils sont train de ramer à contre-courants de la volonté de la base.
Cette stratégie, qui consiste aussi à faire suspendre la motion des vacataires, pensant qu’on pouvait obtenir une certaine reprise, n’a pas prospéré car, sur le terrain, les vacataires ont manifesté leur mécontentement, et ont renouvelé leur ferme engagement à poursuivre le mouvement de grève jusqu’à satisfaction de leurs revendications.


Donc, les professeurs vacataires qui sont censés avoir repris les cours, vous dites qu’il n’en est rien …

La suspension a été prononcée de façon unilatérale, sans une assemblée générale. Mais, lorsque nous avons lu la motion de suspension, nous, nous avons toujours conseillé à nos amis qui dirigent les trois syndicats des vacataires d’éviter les méthodes biaisées, surtout qu’ils ont dit avoir organisé une assemblée générale à la Bourse du Travail et avoir prononcé la suspension de leur motion de grève : pour organiser les assemblée générales, on va sur le terrain ; elles s’organisent sur le terrain et les responsables syndicaux viennent faire le point à la Bourse du Travail. C’est ce que nous appelons, au niveau du Front, la Conférence des Secrétaires généraux. Mais, eux, on n’a pas vu l’assemblée générale qu’ils ont organisée, personne ne sait où elle s’est passée, ils ont annoncé qu’ils l’ont fait à la Bourse du Travail et, ils ont prononcé une suspension. Les militants à la base, les vacataires n’ont pas été d’accord et ils ont poursuivi le mouvement de grève.
Donc, la lutte continue ; personne ne peut être dupé par ce Gouvernement de ruse et de rage. Nous avons des revendications justes et nous allons lutter jusqu’au bout. Mais, si nos revendications sont satisfaites, nous organiserons des assemblées générales et, la base va décider du reste. Mais, tant que les revendications ne vont pas être satisfaites, que les gouvernants vont continuer à se moquer des enseignants, vont continuer à organiser des simulacres de rencontres, vont continuer à distraire le peuple béninois en distillant des mensonges, des intoxications, en montant des organes de presse qui écrivent que les cours ont repris à 60%, au moment où les écoles, les collèges et les lycées sont fermés, ce sera du leurre, du faux ! Que le Chef de l’Etat mette en branle ses services de renseignements et qu’il se rende compte que les écoles, les collèges et les lycées sont fermés, et qu’il prenne la bonne décision, puisque c’est lui qui est élu par les Béninois et non les Ministres qui lui mentent pour sauvegarder leur poste.


Est-ce qu’il n’y a pas le spectre de l’année qui plane désormais sur le secteur éducatif ?

Nous, nous n’avons pas sur notre plateforme revendicative la volonté d’avoir une année blanche, nous ne revendiquons pas une année blanche, nous n’avons pas déposé une motion pour qu’il y ait une année blanche ; nous avons déposé une motion pour que les problèmes de l’éducation soient réglés, pour que nous ayons une éducation de qualité et que l’offre éducative soit améliorée. En effet, lorsqu’on va améliorer les conditions de vie et de travail des acteurs clés du système, que sont les enseignants, l’offre éducative va être améliorée. Donc, c’est ce que nous revendiquons. Si ces revendications sont satisfaites, nous allons aviser, avec la base, et reprendre le chemin de l’école, quand la base va exprimer sa           satisfaction face au niveau de satisfaction des revendications des enseignants que nous sommes. Mais, tant que cela n’intervient pas, souffrez que la grève continue.


Un appel ?

L’appel, c’est que je félicite les enseignants de la maternelle, du primaire et du secondaire, qui ont résisté à tout : défalcations illégales et arbitraires, confiscation des salaires, menaces de radiation ; il ne reste plus rien, les enseignants ont résisté à tout ! Je les félicite ! Quand je regarde la base, quand, nous qui sommes au sommet, regardons la base, derrière nous, nous sommes fiers, nous sommes contents, nous sommes prêts à prendre tous les risques possibles car c’est Dieu qui protège, rien ne nous arrivera. La grève continue ; j’encourage les enseignants de la maternelle, du primaire et du secondaire à continuer résolument la lutte jusqu’à satisfaction de nos revendications.

Propos recueillis par Marcel Kpogodo et transcrits par Ramane Aïsso

2 commentaires:

Unknown a dit…

Ce mot d'ordre est clair. N'est pas enseignant qui veut mais toute personne ayant le bagage intellectuel et la vocation. Donnez de la valeur à ces hommes et femmes nobles qui vous font. Qui est ce gouvernant ou politique qui n'a pas eu de maître ? Le métier est rude

Marcel KPOGODO a dit…

Merci, Cher Ami, de vous être donné le temps de lire l'article et d'y réagir.