mercredi 11 novembre 2015

Les déballages hollywoodiens d'Alofa, à la 2ème journée du procès de l'Affaire ''Dangnivo''

Selon un article du Journaliste Wilfried Léandre Houngbédji


L'affaire ''Dangnivo'', actuellement en jugement à la Cour d'appel de Cotonou, n'a pas manqué de révélations palpitantes, en la deuxième journée du procès, le mardi 10 novembre 2015. Notre confrère, Wilfried Léandre Houngbédji, rend compte des grandes étapes des révélations faites par l'accusé principal de l'assassinat de Pierre Urbain Dangnivo, Codjo Cossi Alofa.
Codjo Cossi Alofa
« Toute cette affaire est du théâtre » selon l’accusé principal Alofa

Au jour 2 du procès de l’affaire Dangnivo, ce mardi 10 novembre 2015, l’ambiance spéciale ayant prévalu dans le prétoire une semaine plus tôt est remise. Même dispositif de sécurité autour des accusés. Le prétoire est à nouveau rempli. La cour d’appel de Cotonou a prévu le débordement de la salle et a mis en place du matériel de sonorisation hors du prétoire afin que ceux qui n’y ont pas accès suivent en temps réel les débats. Ceux-ci sont conduits par le président Félix Dossa, président de la Cour d’appel de Cotonou. Il est assisté de Saturnin Avognon et Jacques Hounsou (assesseurs) et des jurés Davidé Rose Gayon, Adéyèmi Pierre Olihidé, Oladakpô Allabi, Akodé Maurice Bènou (titulaires), et Kokou Akododja, Marie-Marguerite Nouhoumon (suppléants). Dans le fauteuil du ministère public, Gilles Sodonon, le procureur général près la Cour d’appel de Cotonou. Et comme greffier d’audience, Me Christophe Tchéou. Pour la défense, la partie civile et les témoins cités, de nombreux avocats sont mobilisés. Codjo Cossi Alofa, guérisseur traditionnel, accusé du crime d’assassinat sur la personne de Pierre Urbain Dangnivo, disparu depuis le 17 août 2010, est en détention préventive depuis le 05 octobre 2010. Donatien Amoussou, agent convoyeur de fonds à la SAGAM, poursuivi pour complicité du même crime est, lui, détenu depuis le 11 octobre 2010.

L’audience s’ouvre à 9h05. Le président Félix Dossa informe les avocats de la défense et de la partie civile que les témoins qu’ils sont sollicités ont été bien convoqués. Il s’agit de Dr Clément Padonou, Anatole Lalèyè, Dr Justin Dèhoumon, Laurent Mètongnon, Sévérin Koumasségbo, Sergent chef Issa, Colonel Tétédé, Richard Dégbey, Robert Gbian, Cocouvi Amoussou, commandant Enock Laourou, commissaire Darius Lèkossa, Valentin Kouagou, Firmin Boko, etc. A l’évocation des noms, certains sont omis. Me Joseph Djogbénou et Me Théodore Zinflou le signalent à la cour qui se rattrape. 
Une dizaine d’autres témoins sont convoqués par le ministère public. Des témoins dont la plupart sont présents et sont assistés par des avocats. Ceux-ci procèdent à leur constitution devant la cour. Me Joseph Djogbénou fait observer que cela devrait intervenir une fois que les jurés sont désignés et installés. Me Elie Vlavonou pense le contraire. La cour reçoit la constitution des nombreux avocats des témoins. Pendant ce temps, les accusés se tiennent sur le banc à eux destiné. Un gendarme leur passe les gilets de la prison civile -jusque-là omis- qu’ils enfilent promptement. Après le remue-ménage provoqué devant la cour par le défilé des avocats des témoins, les jurés sont tirés au sort. Quelques-uns sont récusés, dont Espérance Jean Azagoun qui se retourne, adresse un sourire aux avocats de la défense qui venaient de l’éconduire. Attitude qui arrache des rires au prétoire. La cour est définitivement constituée. Les choses sérieuses peuvent commencer. Les témoins présents sont isolés du prétoire. Mais avant, Me Vlavonou invite à cour à confirmer la constituer d’avocats pour leur cause. Joseph Djogbénou raille que « tout rentre dans l’ordre maintenant ». Sourires dans le prétoire. S’ensuivent les constitutions de parties civiles. Et quelque taquinerie de Joseph Djogbénou à l’endroit de Gilles Sodonon dont il dit être intéressé par les « concertations avec la cour ». Lequel lui demande de ne pas s’offusquer car il ne faisait que signaler à la cour qu’il lui a semblé qu’un expert est présent dans le prétoire. C’est le Dr Anatole Padonou. Puis, alors que le président allait ordonner lecture du dispositif de l’arrêt de renvoi, Me Zinflou lui fait observer que l’isolation des témoins n’est pas nécessaire si les haut-parleurs installés hors du prétoire permettent de suivre les débats de loin.


Les faits

Présentés par le président Félix Dossa, ils font état de ce que : « Dans la nuit du 17 août 2010, M. Pierre Urbain Dangnivo, cadre du ministère des Finances et de l’Economie est porté disparu à bord du véhicule AUDI 80, immatriculé 2223RB de couleur blanche, après son passage aux environs de 21h chez sa deuxième épouse Anne Cakpo résidant à la cité Houéyiho. L’analyse des relevés des appels téléphoniques du disparu a permis d’orienter les investigations vers certaines personnes dont Codjo Cossi Alofa. Interpellé, celui-ci reconnaît avoir été souvent en liaisons téléphoniques et physiques avec Pierre Urbain Dangnivo qui l’a sollicité pour des fins occultes en sa qualité de charlatan. Il a fini par reconnaître avoir tué Pierre Urbain Dangnivo chez lui à Womey en lui faisant ingurgiter en lieu et place d’une potion censée le protéger, un somnifère fourni par le nommé Donatien Amoussou dit Dona de concert avec un repris de justice du nom de Isidore Akon actuellement en fuite. Ils ont prélevé sur le corps certains organes. D’autres personnes impliquées dans la procédure ont bénéficié d’un non lieu. Seuls Codjo Cossi Alofa et Donatien Amoussou ont été renvoyés devant la cour d’assises. Il ressort de l’examen médico-psychiatrique et psychologique des accusés qu’ils ne présentent pas au moment des faits de démence ni des anomalies mentales. Les enquêtes de moralité effectuées sur les accusés ne leur sont pas favorables. Le bulletin N°1 du casier judiciaire des accusés ne portent trace d’aucune condamnation. »


« C’est du théâtre ! »

Il est 10h04 quand Codjo Cossi Alofa, vêtu du même maillot rouge à parements blancs que la semaine dernière, mais cette fois-ci sur un pantalon jeans bleu, se présente à la barre. Il promène son regard sur les membres de la cour. Le président Félix Dossa exhorte les interprètes à faire une traduction fidèle des propos de l’accusé. Codjo Cossi Alofa décline son identité d’une voix audible et posée. Il se tient bien droit à la barre. C’est un jeune homme athlétique. Quand la cour de céans lui rappelle la cause de sa présence devant elle, il ne reconnaît pas les faits. Murmures dans le prétoire. On lui dit que les faits sont punis par le code de procédure pénale. Il répond : « Je ne peux pas être puni car rien ne s’est produit comme relaté. Toute cette affaire est du théâtre. On m’y a impliqué. Mais si j’avais su que les choses se passeraient ainsi, je n’aurais pas accepté.» Il poursuit qu’étant sortis de prison quelque temps, son ami Polo (un Nigérian) et lui, Isidore son codétenu de l’époque étant resté à la maison, ont décidé d’aller voler une moto dans la nuit de ce 16 août 2010. L’opération eut lieu et ils furent poursuivis par la foule. Durant leur fuite, Polo s’en allant avec la moto volée, lui Alofa conduisant celle d’Isidore ayant avec laquelle ils ont fait le coup, aurait eu une panne sèche. Il aurait pu être lynché. C’est là, dans la foulée que quelqu’un, se présentant comme un commissaire, l’a récupéré, et lui a réclamé ses portables. Puis le lendemain, l’a pris du commissariat de Godomey pour le conduire à Akpakpa dans un commissariat qu’il ne connaissait pas. Codjo Cossi Alofa développe que tout le temps passé sur place, le commissaire se servait de son portable pour soit disant joindre son complice nigérian. Bien plus tard, il a été dans un dispositif de la police au hall des arts, avant d’être conduit dans un immeuble dans la rue e la pharmacie camp Guézo. Sur place, il dit ne pas savoir ce que ce commissaire et les agents se sont dit avant qu’on le fît monter pour le prendre en photo. « Quelques jours plus tard, poursuit encore Alofa, j’ai été ramené à Godomey et après, j’ai été appelé par le régisseur qui m’a recommandé de faire un travail avec la police. Surpris, j’ai dit que je ne suis pas policier… Le commissaire Alédji, intervenu plus tard, m’a affublé des titres de braqueur, assassin… Conduit à la brigade de recherche vers Ganhi, il m’a été demandé si je connaissais le sieur Dangnivo… J’ai été ligoté, roué de coups, botté, et un agent m’a tiré entre les jambes pour m’effrayer. Ils m’ont dit que si je n’avouais pas les faits je serais tué, ou lesté d’une pierre puis jeté dans la mer… Ce même commissaire m’a dit que ce qu’il n’avait pas fait dans le cadre de l’affaire Hamani Tidjani et dont on l’a soupçonné, il le ferait maintenant avec moi, étant à deux ans de la retraite… Ramené au commissariat où était le nommé Alédji, j’ai à nouveau subi une torture morale de leur part, avec leurs armes. J’ai compris que ces gens-là me préparaient un coup. Plus tard, le dimanche 26 septembre, ils me demandent comment il se fait que le corps de Dangnivo se retrouve dans mon arrière cour, et pourquoi le livret de bord de son véhicule ainsi que son portable zékédé se retrouvaient dans un hôtel à Maro militaire… Un policier qui s’est présenté comme Jean Aladé, m’a entrepris, m’a convaincu que les numéros de Dangnivo se retrouvaient sur mon portable, que mes amis Polo et Isidore ont déjà reconnu les faits et tout mis à ma charge, et que je n’avais qu’à accepter ce qu’on me reproche, pour ensuite être sorti de cause du vol de moto en même temps que je gagnerais beaucoup d’argent. Et que je devais déclarer que Dangnivo est allé me voir pour demander de tuer des gens… Ils m’ont donc dit qu’ils me conduiront où le corps est enterré. Face aux menaces que je subissais de leur part, je me suis dit qu’en cas de refus, ces gens-là pouvaient me liquider. Mais j’ai demandé à réfléchir. Ils m’ont donc enfermé seul dans une cellule. Après ils ont élaboré des versions avec moi, suite à mes questions. C’est ainsi qu’ils m’ont suggéré de déclarer que c’est d’autres personnes qui m’ont recommandé de le tuer. Notamment dada Gbèzé de Ouidah que j’avais connu depuis 2008 et qui m’avait demandé de lui confectionner un fétiche. Ce que nous n’avions plus fait… Il fallait l’impliquer m’ont-ils dit parce que simple chef traditionnel, il se serait proclamé roi de Ouidah et pourrait ainsi, un jour, se proclamer aussi chef de l’Etat… Puis ils m’ont fait consommer une boisson censée me libérer de mes peurs, m’ont promis beaucoup d’argent (25 millions) et m’ont dit que le corps de Dangnivo était déjà enterré chez moi. Ils m’ont alors conduit chez moi, m’ont indiqué un endroit dans mon arrière-cour et sur la base de ce dont nous avions convenu, j’ai accepté. Ils m’ont ensuite demandé de reconnaître les faits devant un certain Cocou Sèmègan qui serait le chef de tous les policiers du Bénin, de même que face à un certain Grégoire Akoffodji (il prononce Koffodji) qui serait ministre de la Justice. Ce dernier était en tenue de sport et on me fit comprendre qu’il revenait de sport et que c’est pour moi que toutes ces personnalités sont mobilisées. Je précise que j’avais déjà passé plus de quarante jours entre leurs mains. Ils m’on garanti qu’après avoir reconnu les faits, je ne passerais pas plus de trois mois en prison, que j’aurais un bon avocat, l’avocat de monsieur Dègbo… Ne voyant plus rien venir, j’ai demandé à rencontrer un juge et ai raconté la vérité à ce dernier, en lui révélant que c’est le policier Aladé qui m’a conditionné pour me faire admettre leur version des faits… »


Quid de l’évasion de la prison de Missérété ?

Codjo Cossi Alofa jure qu’il n’a jamais essayé de s’évader, pas plus qu’il ne s’est évadé réellement. « C’est, développe-t-il, au matin du 4 février, qu’au chant du coq, j’ai été réveillé sous prétexte qu’on m’emmenait au parquet. J’en ai été étonné puisqu’habituellement on nous prévenait la veille. Ceux qui sont allés me chercher m’ont mis une cagoule et introduit dans une voiture. J’ai remarqué que ce n’était pas le véhicule utilisé d’ordinaire pour nous conduire au parquet, de même que la distance me paraissait étrangement longue. C’était une petite voiture climatisée. Puis, un des éléments m’a demandé dans quel pays je souhaiterais m’installer si le juge me libérait et j’ai répondu au Togo… Lorsqu’ils m’ont retiré la cagoule, j’ai remarqué qu’on était à la frontière d’Hillacondji. Ils m’ont alors expliqué qu’ils sont les agents de celui qui avait promis de me tirer de situation si je reconnaissais les faits, et que c’est lui qui tenait ainsi parole. M’ayant descendu là, ils m’ont remis une somme de 50000 FCFA et dit que si je revenais encore au Bénin et qu’on me retrouvait, ce serait mon problème… » Quand il arrête son récit, le prétoire est glacé, soupirs et murmures s’élèvent. Pourtant le 5 octobre 2010, devant le juge où il n’y a pas de menaces, il reconnaissait les faits, lui rappelle le président. Alofa acquiesce mais réitère que c’est la version qu’on lui a concoctée en l’assurant même que le juge était dans l’économie des choses. Et qu’il n’avait simplement qu’à reconnaître les faits. « Comment et pourquoi prendre la responsabilité d’assumer un meurtre ? Combien avez-vous reçu pour le tuer ? », lui lance la cour. « Je ne connais même pas qui on appelle Dangnivo. Ils m’ont promis 25 millions si j’acceptais de porter la responsabilité. Moi j’étais en prison quand ils ont mis le corps chez moi. Ils m’ont même dit que des parties de son corps ont été arrachées et que je devais également reconnaître cela. Vous devez poser la question à ceux-là… » « Mais pourquoi avez-vous essayé de vous évader ? », interroge encore la cour. « Moi je ne me suis pas évadé. Au petit matin de ce 4 février, on m’a réveillé en disant qu’on allait au parquet. Ils ont dit que je me suis évadé à l’aide d’une corde passée par-dessus le mur. Monsieur le président, comment aurais-je pu sortir seul de la cellule où nous sommes 25, traverser toute la cour de la prison avec 13 portails et passer une corde qui au lieu de se retrouver à l’intérieur, se trouve en dehors de la prison ?... » Des démonstrations faites dans le calme et avec une conviction apparente, qui font soupirer ou sourire le public. « Mais comment se fait-il que les numéros de Dangnivo se sont retrouvés sur votre portable ? », lui assène la cour. « Cela, c’est au commissaire qui a pris mes portables et les a gardés par devers lui que vous devriez le demander » suggère l’accusé. « Et comment êtes-vous rentré au Bénin après votre escapade au Togo ? » cherche à comprendre la cour. « Etant né au Bénin, je me disais bien qu’en me larguant comme ils l’ont fait, les agents voulaient m’éloigner définitivement de mon pays. Je me suis donc mis en devoir d’appeler mes proches, ma femme. C’est là que j’ai appris qu’on me recherchait. Et mes parents m’ont indiqué le numéro ouvert et dédié à ma recherche. C’est moi-même qui ai appelé ce numéro et ils sont allés me chercher dans le village où j’étais pour me ramener au Bénin.»


Dénégation ?

Cette version des faits, il en faut plus pour convaincre le ministère public. Gilles Sodonon demande à l’accusé de ne pas faire du « théâtre » à son tour. Et lui signale que c’est le 23 août et non le 17 que le vol de moto a eu lieu. Alofa assure que non. Selon lui, c’est bien dans la nuit du 16 août que le vol a eu lieu. Il affirme avoir été gardé longtemps dans les locaux du commissariat de celui qui l’a récupéré, avant d’être présenté au procureur. Il dit savoir qu’une fois appréhendé, il aurait dû « être présenté être libéré après 48h à moins d’être présenté au juge pour prorogation de la garde à vue. Et il faut donc demander à ce commissaire pourquoi il ne m’a pas présenté au procureur dans les délais… C’est lui qui après m’avoir laissé au commissariat de Godomey dans la nuit, est revenu me prendre le lendemain matin dans sa voiture, pour me conduire à son service à Akpakpa où il m’a gardé et me donnait à manger sans rien me demander…» Me Zinflou intervient pour demander à son client de bien faire face à la cour quand il dépose, et non de fixer l’avocat général. Le président le prend mal. « Vous pouvez user de votre imperium et me vider du prétoire si vous le souhaitez M. le président. Même à cette étape, mon office aurait été déjà accompli » rétorque l’avocat. 
« Pensez-vous que les opérateurs GSM peuvent faire en sorte que des numéros que vous n’avez pas composés s’affichent sur l’écran de votre portable ? Autrement, comment le numéro de Dangnivo s’est-il retrouvé sur votre portable ? », veut savoir l’avocat général. « C’est au commissaire qui a gardé mes portables durant des jours que vous devez poser cette question », répond l’accusé. Applaudissements dans la salle. Le président de céans réclame le silence. « En supposant que cette version soit vraie, enchaîne l’avocat général, alors que vous étiez en liberté, comment se fait-il que Dangnivo que vous dites ne pas connaître vous ait appelé 4 fois dans la journée du 13 août, 3 fois le 14 et que vous-même l’ayez appelé le 16 août ? » « C’est au commissaire qu’il faut poser cette question » oppose l’accusé. L’avocat général considère que l’accusé donne dans la dénégation absolue et s’étonne que lui, voleur, bénéficie d’une « balade de santé » entre divers endroits (Akpakpa, Hall des Arts, Derrière pharmacie camp Guézo). Me Djogbénou s’offusque de ce « commentaire tendancieux ».


Des influences en haut lieu?

Quand la partie civile va intervenir alors que l’accusé dépose depuis deux heures de temps, Me Joseph Djogbénou lui fait savoir qu’il a le droit de demander à s’asseoir s’il est fatigué, à boire s’il l’envie lui prend et d’exprimer quelque autre besoin. Il demande effectivement à s’asseoir. On lui donne une chaise. Maîtres Brice Houssou, Nicolin Assogba et Olga Anassidé se lancent. Puisqu’il dit avoir été cuisiné par des policiers et autres individus, l’accusé serait-il en mesure de reconnaître ceux-ci ? « Oui, promet-il, assurant avoir reconnu M. Lucien Dègbo ainsi que le commissaire qui lui a pris ses portables. C’est le sieur Dègbo, déclare-t-il, qui lui servait la boisson censée le guérir de ses peurs, et lui disait qu’un prisonnier restera toujours un prisonnier… » Mais pourquoi donne-t-il aujourd’hui une version totalement différente de celle jusqu’ici servie ? « Ici, je sais que c’est différent des autres endroits où je suis passé, où parfois on m’enfermait dans une salle, seul avec celui qui m’interrogeait, et alors que je voyais parfois avant d’y entrer, les personnes qui me menaçaient » fait savoir l’accusé. Peut-il rappeler ce qu’il s’est passé au hall des arts ? Il explique y avoir été conduit dans la voiture du commissaire Lèkossa, lequel a rencontré sur place d’autres personnes avant de le conduire derrière la pharmacie camp Guézo… Le domicile de Womey où on a retrouvé le corps supposé de Dangnivo est-il sa propriété ou le loue-t-il ? Il répond qu’il le loue et qu’il a des voisins. La partie civile en déduit que s’il avait commis ces faits, et enterré un corps, les voisins auraient donc bien pu s’en apercevoir. Sans oublier de faire observer que les locaux derrière la pharmacie camp Guézo dont parle l’accusé, sont probablement ceux d’un service rattaché à la présidence de la République mais qu’ils ne nomment pas.


La date du vol de moto, un détail qui pourrait tout changer

A Me Théodore Zinflou, commis d’office aux intérêts de Codjo Cossi Alofa d’y aller de ses interrogations. Auxquelles l’accusé répond que c’est bien dans la nuit du 16 août que le vol de moto a eu lieu. Que celui qui se présentait comme commissaire l’a d’abord conduit dans une maison présentée comme celle du délégué du quartier, avant de le délaisser au commissariat de Godomey, puis de revenir le chercher le lendemain… Puis Me Zinflou révèle que d’après un procès verbal du tribunal de Calavi, joint au dossier, c’est effectivement, d’après la main courante du commissariat de Godomey le 16 août que le vol de moto est intervenu et que, par conséquent, l’accusé était déjà aux mains de la police et n’a donc pu, valablement, commettre un meurtre sur la personne de Dangnivo si celui-ci est effectivement décédé. Le prétoire vibre de murmures. L’avocat général intervient pour prier la cour de ne pas se laisser induire en erreur car le procès-verbal relatif au vol de moto est bien du 23 août. Faux, réagit vivement Me Zinflou qui se garde, en l’état, de dévoiler son explication de cette « manipulation faite exprès » et considère que ce procès-verbal du 16 en lui seul met hors de cause l’accusé.
Me Magloire Yansunnu, avocat de Donatien Amoussou veut, pour sa part, comprendre, qui a identifié son client comme complice. Et le président de la cour de céans s’étonne d’ailleurs que nulle part, dans la procédure, Alofa n’ait fait cas de celui-ci. Il répond que c’est le commissaire Alédji qui le lui a recommandé avec l’idée que c’est lui qui aurait procuré du somnifère, sous prétexte que l’intéressé « parle trop ».


« C’est un montage »

C’est au tour de Donatien Amoussou d’être entendu par la cour. Dans sa même tenue traditionnelle ‘’bohoumba’’ surmontée du gilet bleu de la prison civile, cet ancien militaire se porte à la barre et prie la cour de l’écouter avec patience. Il raconte que c’est un ami camerounais Priso qui lui a dit -alors que l’affaire Dangnivo défrayait la chronique- avoir vu un véhicule dans un hôtel où l’attitude des gens autour, ne semblait pas « claire ». Lui Donatien en aurait parlé à son frère aîné qui, à son tour, en a parlé à Pierre Akpaki alors DG/ORTB. Celui-ci en aurait informé d’autres et ils sont allés, plus tard voir le colonel Koumasségbo à la présidence de la République. En fait, c’est Paul, le « Polo » dont parlait Alofa et que lui Donatien connaît bien, que Priso aurait été voir à l’hôtel… Ce colonel, plus tard, l’aurait sollicité pour aller déposer un téléphone zékédé au siège de radio Océan FM après lui avoir fait promettre « confiance et secret ». Il devrait y aller seul mais lui dit avoir appelé son ami Priso pour l’y accompagner. Ce dont il dit avoir aussitôt informé le colonel par téléphone ; lequel n’aurait pas apprécié. S’étant inquiété dès que la rumeur a commencé à circulé au sujet d’un portable de Dangnivo retrouvé, il aurait appelé le colonel qui l’a assuré de ce qu’il serait protégé, et bien récompensé. Il évoque une somme de 250 millions de FCFA… Donatien raconte ensuite que dès lors, son ami Priso a failli être tué puisque des éléments inconnus se seraient portés chez lui en pleine nuit. C’est une histoire poignante que raconte encore Donatien. Il dit avoir passé deux ans neuf mois en cellule sans voir le soleil, avoir été proprement tabassé, le nommé Enock Laourou lui aurait posé la godasse sur la tête pendant plusieurs minutes. Il aurait été transporté dans la malle arrière du véhicule d’un des acteurs. Plus tard, il aurait été confié à un agent qui, le conduisant à travers le camp Guézo, lui aurait proposé de s’enfuir, en libérant un de ses bras de la menotte. Ayant flairé qu’on voulait peut-être en profiter pour l’abattre, il aurait, ancien militaire lui-même, refusé, bousculé l’intéressé qui avait un problème au pied, avant de le désarmer -ne lui faisant pas de cadeau- et de décharger le pistolet. L’agent s’étant mis à crier « au voleur ! », Donatien dit s’être simplement assis à 20 mètres du véhicule pour attendre… De son lieu de détention, il aurait reçu la visite de diverses personnalités dont les anciens ministre Bernard Lani Davo et Théophile N’Dah qui seraient passés le voir de la part du chef de l’Etat, lui auraient donné de l’argent (80000, 200000, 250000)… Au colonel qui le malmenait du fait de son attitude, Donatien dit avoir servi que : « L’abus de pouvoir rend momentanément fort et éternellement faible. Ce que vous faites se retournera contre vous.» Applaudissements dans le fond du prétoire… Pour Donatien donc, tout ceci se résume en « montage ». Et il prie la cour d’obtenir la restitution de ses portables gardés par ses bourreaux car ils contiendraient les enregistrements de ses conversations avec le colonel Koumasségbo.
Quand une suspension intervient autour de 13h30 et qu’on leur porte à manger quelque temps après, les accusés préfèrent se contenter du sandwich qu’ils ont acquis par eux-mêmes auprès d’une vendeuse sur les lieux.



Retour au PV de Godomey

A la reprise de l’audience, à 14h40, Me Djogbénou et Me Théodore Zinflou formulent une demande : celle d’ordonner au commissariat de Godomey de mettre à la disposition de la cour, la main courante que certaines informations annoncent pour se retrouver en des mains autres que celles de la justice. Me Djogbénou donne lecture du PV dudit commissariat qui constate que l’accusé était bel et bien aux mains des forces de sécurité à la date du 16 août et que cela est déterminant dans la suite de la procédure. L’avocat général évoque une possible « erreur matérielle ». Ce que ne conçoivent pas les avocats de la défense et de la partie civile. Pour Me Djogbénou notamment, « l’erreur dans cette affaire, c’est d’avoir cru que les choses se passeraient comme l’on a prévu. L’altération de la vérité conduit toujours à l’altération des pièces. Et si l’on devrait tenir compte, extraordinairement d’une prétendue erreur, ce qui n’est pas envisageable, cette session sera renvoyée ». L’avocat général se veut rassurant, explique que les empreintes réclamées figurent bien au bas du PV en sa possession et l’exhibe. Puis assène que le commissaire concerné est cité comme témoin et qu’il faut patienter de l’écouter et de l’interroger. Les avocats en face sont dubitatifs et Me Zinfou laisse entendre que cela est faisable par n’importe quelle machine. Me Djogbénou l’appuie, soutient que si erreur il y avait eu, les auteurs du PV, qui sont des agents publics, l’auraient bien mentionnée. Me Zinflou réclame que le président de céans obtienne les ordonnances d’autorisation d’inhumation collective de 2008 à 2015 parce qu’il lui est parvenu que dans la nuit du 3 au 4 novembre dernier, soit au jour de la dernière audience dans le cadre de ce procès, qu’il aurait été ordonné l’inhumation collective de 340 cadavres. Ce qui lui paraît suspect en cette période critique. Me Djogbénou réitère, sur le fondement de l’article 290 du code de procédure pénale, qu’il soit requis un officier ou un huissier de justice à l’effet de récupérer auprès du commissariat de Godomey, la main courante visée. La cour y accède et annonce qu’il sera ordonné audit commissariat de produire la main courante à l’audience de ce jour 11 novembre. Me Djogbénou intervient pour une précision de pure forme, aux fins de faire préciser que c’est bien le président de la cour et non la cour elle-même qui ordonne. Le public se délecte. Félix Dossa, ordonne au procureur général d’accomplir les diligences subséquentes.


Donatien, un fieffé délinquant ?

Donatien Amoussou est rappelé à la barre. L’avocat général lui demande de parler du coup qu’ils avaient en projet à la SAGAM. Il semble perdre de son sang froid et martèle : « Le coup de SAGAM n’a rien à voir avec l’affaire Pierre Urbain Dangnivo. Les faits remontent à juin 2010 et j’avais effectivement été sollicité par un de mes chefs pour ce coup. J’ai procuré du Valium 5mg à Paul qui devait faire à manger aux agents de garde le jour envisagé. A la fin, j’ai renoncé à ce projet.» raconte l’accusé. Il lui est rappelé qu’il allait braquer la SAGAM. Donatien explique qu’il ne s’agissait pas d’un braquage. Qu’il détenait une clé du coffre-fort, son supérieur Cissé Mama en détenait aussi une, et qu’aucun forfait ne pouvait être commis sans complicité d’un chef de la boîte. Et c’est parce que, les mois précédents, il aurait subi diverses épreuves (mort successive de son père, son enfant puis sa femme) qu’il aurait renoncé au projet. Ce qui provoqua sa brouille avec son chef. Mais pourquoi la police était-elle allée le chercher à la SAGAM, interroge l’avocat général. « C’est pour une affaire de bagarre entre un capitaine des douanes et moi et c’était en juillet 2010» répond Donatien. Qui précise, par ailleurs, que la nuit du 17 août, il était de garde à la SAGAM, ce que les registres de la société peuvent prouver. Un alibi solide donc s’il s’avère. Car, ainsi, il ne pouvait pas être avec des acteurs d’un quelconque meurtre. Il soutient que le colonel Koumasségbo est l’auteur de ses malheurs, le même qui aurait laissé une décharge à Océan FM pour récupérer le portable zékédé qui serait celui de Dangnivo.


Les révélations et éclairages des experts

Dr Clément Padonou est le premier témoin à déposer. C’est lui qui a produit un rapport d’exhumation et d’autopsie d’un corps présumé d’un monsieur qui s’appellerait Dangnivo. Il dit avoir réalisé l’autopsie le 29 septembre et précise, sur demande de l’avocat général, que c’est après l’exhumation qu’on lui a présenté le sieur Alofa comme auteur du meurtre. « Celui-ci nous a ensuite confié un bocal que j’ai signalé dans mon rapport », ajoute-t-il. « Dans ce bocal, il y avait un cœur, un sexe mâle, un testicule, une oreille, une fraction de mâchoire, une langue, un liquide de conservation » précise Dr Padonou sur question de Me Zinflou tout en indiquant, suite à une question de Me Magloire Yansunnu, n’avoir pas été « en mesure de déterminer la nature de ce liquide qui conservait les organes dans un état acceptable », et ajoutant que « le corps était en état de décomposition avancée qui ne permettait pas de déterminer les doigts, les orteils. Ma préoccupation était alors de pouvoir déterminer l’ADN et j’ai prélevé les organes qui pouvaient y aider, puis les ai mis à la disposition du médecin compétent que j’ai suggéré au procureur dès le départ avant d’aller sur le terrain. C’est ce dernier qui peut dire si l’ADN extrait est conforme à celui des organes trouvés dans le bocal ». Par ailleurs, à la question de Me Djogbénou de savoir pourquoi, par la même technique ADN, on n’a pas cherché à savoir si le présumé assassin est bien celui qui a tué la victime et déposé son cadavre en ces lieux, le témoin répond que « le légiste ne pose pas de question. Il répond aux questions » pour dire que cela ne lui a pas été demandé. Mieux, « lorsque le parquet m’a demandé de me joindre à l’expert français, j’ai opposé un non catégorique car je ne pouvais pas avoir été expert, puis me retrouver comme contre expert ». Sa déposition permet de savoir que la victime a été tuée dans des conditions probablement horribles : crâne et face fracturés, et que le scellé qui lui a été présenté par l’huissier pour le rapport était déjà rompu. Au total, « C’est une identification partielle que j’ai pu faire, puis ai suggéré un rapprochement ADN, et ne puis affirmer que c’est le corps de Dangnivo». Exclamations dans le prétoire qui se laisse aller à des rires nourris et félicite le médecin.
Au tour du professeur Anatole Lalèyè de déposer. Sur diverses questions il renseigne qu’il a fait des prélèvements sur la dépouille, dans le bocal à lui présenter, et comparer les ADN. Mais que pour finaliser ce travail, il lui fallait aussi l’ADN de personnes apparentées, ce qui ne fut malheureusement pas possible. Cependant, il atteste que « l’ADN extrait des organes du bocal correspond absolument à celui de la dépouille. C’est un ADN humain masculin ». Mais pourquoi n’avoir pas recherché l’ADN du tueur supposé pour établir le lien entre lui et ce cadavre alors que raisonnablement cela aurait dû être fait ? « Telle n’était pas ma mission dans ce dossier » oppose l’expert. La défense et la partie civile s’étonnent que l’on n’ait pas envisagé cette recherche d’ADN à l’égard des suspects. Sur ce, le président Félix Dossa prononce la suspension de l’audience à 17h08. Elle reprend ce jour. 
Toute la journée, pendant les dépositions, l’épouse de la victime supposée, dame Anne Cakpo paraissait préoccupée, prenait quelque note de temps à autre.
Après les dépositions des deux accusés puis des deux experts, ce sera au tour des autres témoins d’être entendus. Et probablement d’être confrontés aux accusés.

Wilfried Léandre Houngbédji (Article publié dans le Quotidien ''La Nation'', du mercredi 11 novemvre 2015

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