Ousmane Thiendella Fall
Dans le cadre de la 3ème édition d'Handifestival à Dakar au Sénégal
Ousmane Thiendella Fall : "[...[ le modèle inclusif peut être une stratégie de développement durable en Afrique"
Mis en place conjointement par l'Association Xamlé des personnes handicapées et "Baobab Communication", avec le haut patronnage d'Abdoulaye Wade, Président du Sénégal, "Handifestival" est une manifestation culturelle annuelle qui regroupe, depuis 2007, des personnes handicapées. L'ambition de ces promoteurs est d'offrir à ces personnes l'opportunité de mettre en exergue, aux yeux du public, leurs talents de tous ordres. Après la réussite des deux premières éditions et, au travers de cette interview qu'il nous accorde, Ousmane Thiendella Fall, Prix 2008 du Concours Harubuntu, aborde avec nous les contours de cette 3ème édition qui se tiendra du 28 au 30 mai à Dakar au Sénégal.
Le Mutateur : Quels seront les temps forts de cette troisième édition ?
Ousmane Thiendella Fall : La 3ème édition de "Handifestival International" est prévue du 28 au 30 mai 2010 à la Maison de la Culture Douta Seck, à Dakar, au Sénégal. Cette édition est une occasion de discuter encore sur le thème de l’inclusion. Nous apportons notre contribution au débat sur la Renaissance Afrique dans ce contexte de cinquantenaire des indépendances de beaucoup de nos Etats. Nous souhaitons que nos pays se dirigent vers des sociétés inclusives, ce qui colle bien à nos réalités d’Afrique traditionnelle.
L’exposition d’arts plastiques de cette édition de "Handifestival international" entre dans le cadre des Off de la Biennale Dak'art 2010, ce qui permettra certainement aux artistes plasticiens en situation de handicap qui participeront à ce Festival de pouvoir avoir des rencontres et des échanges avec des artistes et des esthètes de dimension internationale. L’inclusion vers laquelle nous espérons que nos sociétés iront peut également se voir dans le thème de cette biennale qui est "Rétrospective, perspectives". Nous signalons que des artistes togolais, burkinabé, malien, français et sénégalais feront partie de cette exposition.
Lors de l'entretien que vous nous avez accordé six mois auparavant, vous avez évoqué l'idée de discuter, lors de la troisième édition d'Handifestival, de la situation des Albinos. Qu'en sera t-il ?
L’une des têtes d’affiche des concerts musicaux de cette édition est un chanteur albinos. Il s’agit de Mohamed Faye qui conjugue mélodieusement modernité et tradition à travers sa belle voix.
Nous voulons attirer l’attention des Africains sur le respect de la différence et la valorisation de tous les êtres humains. Comme vous le savez, nous recevons de façon sporadique des nouvelles sur les difficultés que rencontrent les albinos dans certains pays du continent. A cela s’ajoutent les problèmes médicaux qu’ils subissent et qui sont inhérents au contexte de pauvreté et d’érosion qui caractérise nos pays. Nous ne devons plus taire certains comportements qualifiables d’inhumains si, rigoureusement, nous souhaitons vivre dans un continent émergent.
"La contribution des personnes handicapées à la Renaissance Africaine" est le thème de cette édition. Pourquoi avoir fait un tel choix ?
Nous l’avons dit en entame de notre propos, notre contribution en la renaissance africaine est une sorte d’appel que nous lançons à tous les Africains vers une société inclusive. A notre sens, le modèle inclusif peut être une stratégie de développement durable en Afrique. A la lumière des luttes fratricides qui déchirent le continent, nous avons pensé que la reconstruction ne doit laisser personne en rade. Ce continent ne peut renaître en mettant en épochè environ 10% de sa population qui peuvent contenir son génie créateur. La légende de Soundjata est encore fraîche dans les mémoires du continent. Si l’Afrique reprend la main sans ses enfants, il est certain qu’elle n’ira pas loin. Aussi appelons-nous nos gouvernants, les militants des droits de l’Homme, les partenaires au développement à faire leur possible pour bâtir quelque chose de durable en Afrique, la conception universelle qui est au cœur du modèle inclusif. Nos édifices publics doivent se faire en prenant en compte les personnes en situation de handicap, l’accès des enfants en situation de handicap à l’école doit être pris en compte en amont et en aval dans les politiques éducatives ; quand la personne en situation de handicap a accès au cadre de vie, personne n’est laissé sur les marges. C’est cela le développement ; c’est cela la renaissance, à notre sens.
Quelle est votre opinion sur la polémique autour de la Statue de la Renaissance Africaine ?
Ho ! La question est difficile pour le Directeur de "HandiFestival" que je suis. Certainement, les personnes en situation de handicap sont de tous les côtés de cette polémique. De ce fait, je m’interdis de me situer dans l’un ou l’autre camp car, "HandiFestival" est pour tous et pour personne. Nous pouvons retenir que cette statue fait couler beaucoup d’encre et de salive. Ce que nous pouvons retenir de ce débat est que sa solution serait à chercher dans l’avenir. C’est l’avenir qui détient la vérité symbolique de ce chef-d’œuvre. De toute façon, nous préférons cette polémique aux batailles rangées qui sourdent en Afrique. Peut-être qu'à cette polémique succèdera une véritable discussion méthodique et organisée sur les véritables questions du développement du continent.
Comment avez-vous choisi les créateurs et groupes d'artistes qui participent cette année ?
Nous avons lancé un concours pour sélectionner le plus objectivement possible les artistes qui exposeront leurs œuvres pendant ce festival. Nous en profitons pour remercier l’Ong "Handicap International" qui nous soutient à ce niveau. En effet, le Festival est ouvert à tous les artistes en particulier ceux en situation de handicap. Le manque de moyens nous oblige à restreindre. Nous savons qu’il y a beaucoup de personnes en situation de handicap qui veulent participer.
Jusqu’ à présent nous recevons des demandes de partout. Aujourd’hui même, j’ai discuté dans ce sens avec des artistes musiciens du Bénin, du Burkina et du Niger qui veulent participer. En ce sens, je vous prie de me permettre de lancer un appel aux gouvernements des pays africains, à l’Ua, l’Uemoa, la Cedeao, à l’Oif, l’Iar, aux compagnies aériennes, etc., pour une meilleure présence des personnes en situation de handicap, aux manifestations culturelles économiques qui s’organisent dans le continent. Nous avons d’énormes difficultés à prendre en charge les frais de voyage de tous ceux qu’ils veulent assister à ce festival qui est en train de devenir pour les artistes en situation de handicap ce que le Fespaco est pour le cinéma africain.
Parlez-nous du Concours d'Art qui est le fruit du partenariat entre vous et Handicap International et dont les lauréats participeront eux aussi à "Handifestival".
Le Concours d’Art est un aspect important de ce Festival. Il est un cadre d’émulation des artistes en situation de handicap. L’art peut faciliter l’inclusion et l’inversion des regards. En mettant en place ce concours et en inscrivant l’exposition qui en découle au Dak’art 2010, nous voulons que la personne en situation de handicap qui évolue dans ce cadre se sente concernée par les questions qui se posent dans son temps. "Handicap International", à travers le projet "Decisiph", a bien compris notre démarche et n’a pas hésité à nous accompagner. C’est un acquis de taille pour les personnes en situation de handicap de la sous-région et du continent.
Ce concours d'Arts sera t-il pérennisé ?
Nous comptons beaucoup sur le soutien de "Handicap International" pour pérenniser cette action. L’appui d’autres partenaires sera certainement déterminant et nous permettra d’élargir le Concours vers d’autres formes d’expressions artistiques.
Propos recueillis par Bernado Houenoussi
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