Dans le cadre d'une interview de l'ancien candidat à la présidence de la République, sur la gestion
de Patrice Talon, après 10 mois de pouvoir
Dix mois après son
accession à la magistrature suprême, le Président Patrice Talon est à l’œuvre
pour l’exécution de son plan d’actions. A l’épreuve du pouvoir, ses initiatives
et ses choix politiques ne font pas l’unanimité. Ainsi, l’ancien candidat à la présidence
de la République, Gabriel Laurex Ajavon, frère aîné de Sébastien Ajavon, qui a
bien voulu répondre aux questions de notre Rédaction, s’est consacré, en
matière de son regard sur les 10 mois au pouvoir du Chef de l’Etat, au
pilonnage de l’action gouvernementale, de même qu’il s’est ouvert sur certaines
coulisses de la dernière élection présidentielle, au sein de la Coalition de la
Rupture, ayant facilité l’arrivée au pouvoir de Patrice Talon qui ne serait donc
pas aussi irréprochable, au point de vue du financement du second tour de la
présidentielle …
Gabriel Laurex Ajavon |
Journal
’’Le Mutateur’’ :
Bonjour à vous, M. Gabriel Laurex Ajavon. En tant qu'ancien candidat à
l'élection présidentielle des 6 et 20 mars 2016, au Bénin, comment
appréciez-vous la gestion du Président de la République, Patrice Talon, surtout
que demain, mardi 6 février 2017, il totalisera 10 mois au pouvoir ?
Gabriel
Laurex Ajavon :
J’avais eu à parler de cette gestion le 19 juin 2016, sur une radio de la
place. Et, je disais, à l’époque, déjà, que le pays était très mal géré. Là, on
va de mal en pire, tout se dégrade : la filière des véhicules d’occasion
est à terre, alors qu’il aurait fallu peut-être réduire les taxes d’exportation
pour qu’elles ne pénalisent pas la chute du Naïra. Mais, on n’a rien
fait ; aujourd’hui, il n’y a plus rien. Plus de 2 mille Libanais sont déjà
partis du Bénin ; c’est un manque-à-gagner pour l’Etat ! Moi, je
dis : on perçoit chez l’usager près de 400 mille ; à peine 200 mille
vont dans la caisse de l’Etat, le reste, c’est des redistributions de la Ségub
(Société d’exploitation du guichet unique du Bénin, Ndlr). On aurait pu amputer
les redistributions-là de moitié pour que les Nigérians continuent à arriver,
pour qu’on maintienne au moins les 200 mille qui vont dans la caisse de l’Etat.
Mais, je ne sais pas si c’est volontairement ou involontairement qu’on a voulu
tuer cette filière qui nourrit quand même des milliers de Béninois.
On fait des contrats de
marché de gré-à-gré, à l’aéroport, partout. On gère le Bénin comme l’on gère
une Sarl (Société à responsabilité limitée, Ndlr), même pas comme une Sa
(Société anonyme, Ndlr), mais comme une Sarl. Les étudiants sont fâchés, à
juste titre, parce qu’ils doivent payer maintenant des inscriptions dont ils
n’avaient l’habitude, et ils ne disposent plus de la liberté d’association. Et,
dans le même temps, on annonce la gratuité des enregistrements aux Domaines. Je
vous donne un exemple simple : si l’enregistrement aux Domaines était de
12% sur les biens acquis, l’Etat aurait perçu, en plus des 900 et quelque
millions que le Président Talon veut payer pour s’approprier le domaine de
l’Etat, 12% de ce montant et, d’après les dires d’un cadre de l’Agence
nationale de la propriété foncière, rien que ces taxes, ces recettes rapportent
à l’Etat béninois, chaque année, plus de 50 milliards.
La gratuité de
l’inscription des étudiants coûte combien par an ? Je pense qu’on prend
des mesures qui ne favorisent que le Chef de l’Etat et son entourage, alors que
le Bénin est un patrimoine commun ; c’est à nous tous et, partant de là,
le Chef de l’Etat doit rendre compte. On ne peut pas gérer un pays comme l’on
gère sa société.
Voulez-vous
dire que le Président de la République, depuis son accession à la magistrature
suprême, n'a rien réussi ? Il y a, tout au moins, le Programme d’actions du
Gouvernement (Pag) qui a été lancé le 16 décembre 2016 …
En tant que show, la
présentation a été réussie, mais est-ce que c’est le show qu’on va
bouffer ? C’est le show qui va nous nourrir ? Non. Il faut aller dans
le Programme d’actions du Gouvernement. C’est bien beau, mais, quand on prend
seulement le Budget général de l’Etat, pour l’année 2017, le Président va
trouver les 2010 milliards où ? On calcule le risque avant de prêter à
quelqu’un ! Le risque sur le Bénin, aujourd’hui, est élevé ; le Bénin
ne peut pas lever des fonds à 1%. Donc, si le risque est élevé, le Bénin voudra
même emprunter à 7% et il ne trouvera pas les fonds, parce qu’avant de prêter,
il faut être sûr que celui qui emprunte a les moyens de rembourser.
Libérer l’espace
public, c’est une bonne chose, mais il aurait fallu prendre des mesures
d’accompagnement, parce que les pauvres, ils ont emprunté de l’argent dans les
institutions de microfinance, ils ont des échéances à payer, ils vont les
rembourser comment, maintenant que tout est détruit ?
Je pense que la plus
grosse erreur qui ait été faite est que Talon a voulu gérer seul ;
« une seule hirondelle ne fait pas le printemps ». On ne peut pas
gérer sans humilité ; il faut être humble, écouter tout le monde. L’homme
est une créature divine et, tout ce que Dieu fait est bon ; ça veut dire
qu’il y a du bon dans chaque individu que nous sommes.
En
affirmant que le Président de la République a voulu gérer seul, de quoi
parlez-vous, M. Ajavon ?
Depuis son accession au
pouvoir jusqu’à ce jour, je n’ai jamais échangé avec lui. Pourtant, j’étais
membre de la Coalition de la Rupture ; on avait dit que M. Patrice Talon
allait nous donner les moyens pour lui faire campagne au second tour ; il
y en a qui ont reçu de l’argent de lui pour faire campagne mais, moi, je lui ai
fait campagne avec mes propres sous. Cela, c’est quelque chose qu’il me doit et
qu’il me paiera, tôt ou tard, parce que les preuves sont là que j’ai dépensé
mon argent pour faire campagne pour lui ! Et, je ne suis peut-être pas
seul dans le cas. Même les autres candidats, la lune de miel a duré combien de
temps avec eux ? Moi, je n’ai pas été candidat pour être ambassadeur dans
un pays ou pour être nommé ministre ; j’ai été candidat parce que je veux
gérer ce pays et, je me suis préparé pour.
Face
à toutes ces dénonciations, quelles solutions constructives proposez-vous, pour
chacune des critiques faites ?
Je pars du fait que
personne ne nous juge ; ce sont nos actes et nos paroles qui nous jugent.
Si M. Patrice Talon dit qu’il pense d’abord à lui, c’est normal, c’est humain
et, c’est légitime et, en parlant de la gestion de ses sociétés,
d’accord ! Mais, en parlant de la gestion du patrimoine commun qui est le
Bénin, ce n’est pas normal. Vous savez, la différence qu’il y a entre les
occidentaux et nous, Africains, c’est que les occidentaux pensent d’abord à
leur pays, à l’Etat, parce qu’ils savent qu’ils ne sont rien sans ce pays, que la
force qu’ils ont vient de ce pays ; ils le font avant de penser à leur
petite personne. Mais, les Africains, c’est des mange-petit ; ils ne
pensent qu’à leur petit ventre, ils ne se soucient pas de leur pays, alors
qu’ils ne sont rien sans ce pays.
Et,
vous pensez sûrement que c’est le cas du Président Patrice Talon …
Si celui qui a financé
sa campagne au second tour ne s’entend plus avec lui, si cette personne a
failli se retrouver en prison pour quelque chose qu’il n’a pas fait, suivez mon
regard, tirez la conclusion vous-même.
Que
pourriez-vous faire pour donner une concrétisation à vos idées de
développement, qui ne sont pas certainement celles du Gouvernement ?
Je pense que c’est une
question de volonté, d’abord. Si M. Patrice Talon n’a pas la volonté de
développer le Bénin, s’il veut juste devenir plus riche que Dangoté, je ne sais
pas quoi lui faire, je ne serai pas utile pour lui. Mais, si c’est pour développer
le Bénin à partir des ressources du Bénin, avec la participation de tous les
Béninois, je suis prêt et, c’est faisable. Mais, comment vous pouvez imaginer
que le Togo, à côté, qui fait la moitié du Bénin, a un port en eau profonde et
qu’un navire de 25 mille tonnes ne peut pas accoster au Bénin, pourtant, on a
près de 200 kilomètres de côte. Notre piste d’atterrissage ne fait que 2700
mètres, la piste de Lomé fait 3100 mètres ; c’est une question de volonté.
On veut gérer le Bénin comme si c’était un héritage personnel, ça ne peut pas
marcher, on a besoin de tous les Béninois pour développer ce pays, il faut être
humble, il faut les écouter, il faut échanger avec eux.
Quelle
est votre analyse concernant l’interdiction par le Préfet du Littoral, Modeste
Toboula, de l’utilisation des lieux publics, pour la prière du vendredi ?
Est-ce qu’un homme, une
créature divine, peut interdire qu’on adore son créateur ? C’est une
question que je pose. Moi, je suis catholique fervent ; je suis, tous les
matins, à l’église, parce que toute notre vie est action de grâces. C’est
pourquoi, tous les matins, je vais rendre grâces à Dieu, pour lui confier ma
journée, pour le remercier pour le sommeil qu’il m’a donné et pour mon réveil
en bonne santé. L’homme qui interdit de prier sur la voie publique n’est pas
quelqu’un qui est bien dans sa tête, parce que, s’il est humble, s’il n’est pas
prétentieux, il saura que son réveil, le lendemain, n’est pas de sa
volonté ; Dieu est toujours à sa place et, quand il nous donne un petit
pouvoir, on pense qu’on peut se substituer à lui. L’homme ne sera jamais Dieu,
l’homme restera toujours un homme au service des hommes, parce que Dieu l’a
voulu ainsi.
Vous
l’avez abordé un peu tout à l’heure : que pensez-vous de l'état actuel des
relations entre Patrice Talon et votre propre frère, Sébastien Ajavon ?
Vous savez, moi, j’ai
la crainte de Dieu, et, je ne sais pas mentir ; Sébastien Ajavon et
Patrice Talon n’ont jamais été amis. Même si, à l’époque, Sébastien a eu des
problèmes avec l’ancien Président, M. Yayi, c’est à cause de M. Patrice Talon.
Donc, cela a été une alliance de circonstance et, moi, je savais que ça n’irait
pas loin ; le 19 juin 2016, je l’avais dit sur une radio de la
place : le seul langage que Patrice Talon connaît, c’est celui d’employés
à employeur, il ne comprend pas le vocabulaire de collaborateur, il est le
patron et, c’est fini ! Donc, ça ne pouvait jamais marcher et, ce n’est
pas pour ça que M. Sébastien Ajavon ne va pas continuer à œuvrer pour le
développement de ce pays. Nous, dans la famille Ajavon, nous avons toujours
œuvré pour le développement de ce pays, pour le social ; parcourez tout le
Bénin et demandez d’après notre maman. Nous, on a toujours été dans le social,
parce que, quand Dieu vous donne, il ne faut pas croire que vous êtes quelque
chose, c’est une faveur que Dieu vous a faite. Donc, en reconnaissance, vous
devez lui rendre grâces en contribuant à l’évolution, à l’épanouissement de vos
concitoyens.
Le
peuple béninois peut-il s'attendre à une alliance d'actions entre les deux
frères Ajavon, surtout que le Chef de l'Etat semble désormais votre ennemi
commun ?
Sébastien Ajavon sera
toujours mon petit frère. Et, en tant que grand frère, même si, politiquement,
on ne voit pas les choses de la même façon, mon soutien lui est acquis, sans
conditions ; je le soutiendrai, en tant que grand frère, dans tous les
autres domaines. Mais, quand il s’agira de la politique, il va falloir qu’on
arrondisse les angles, pour qu’on voie ensemble ce qu’il est possible de faire
et ce qui n’est pas possible.
Qu'est
devenue la coalition de la Rupture à laquelle vous avez appartenu avec bon
nombre d'autres anciens présidentiables ?
Vous savez, parmi les
33 candidats, il y en a qui ont été candidat, juste pour accepter un poste
d’ambassadeur ou un poste ministériel ou un poste de Dg dans une institution mais,
moi, je ne peux pas parler à leur place ; je peux juste dire que, depuis
mon intervention sur une radio de la place, le 19 juin 2916, moi, je ne fais
plus partie de cette Coalition, parce que, quand vous faites de la politique,
il faut pouvoir dire la vérité ; quand vous ne parlez pas au bon moment,
après, vous n’êtes plus audible. Moi, je veux avoir un langage de vérité, un
langage franc avec les Béninois : tout ce que j’avais dit, le 19 juin, se
réalise. J’avais dit que 90% des Béninois étaient mécontents de Patrice
Talon ; aujourd’hui, quand j’échange avec les gens, on me dit :
« Ah, tu avais raison, tu avais raison ! ». Non, ce n’est pas
que j’avais raison, j’aurai toujours raison, parce que vous ne pouvez pas
trouver le bon remède si vous n’avez pas le bon diagnostic. Et, les Béninois ne
veulent pas faire un diagnostic et, comment voulez-vous qu’ils trouvent le bon
remède ? Il faut faire une analyse objective de la situation pur pouvoir
trouver une bonne solution.
M.
Ajavon, concernant les promesses qui avaient été faites au sein de la Coalition
de la Rupture, pendant le second tour de l’élection présidentielles,
pouvons-nous revenir sur les autres assurances qui avaient été données aux
présidentiables par Patrice Talon et qui n'ont pas été respectées ?
L’aspect pécuniaire,
l’aspect financier, ce n’est pas le plus important ; le plus important,
c’est gérer ensemble. Mais, il y en a beaucoup qui se sont contentés de
l’aspect financier parce qu’ils ne peuvent rien gérer, cela les engage et, ils
en répondront, un jour, devant les Béninois.
Serez-vous
encore candidat à l'élection présidentielle en 2021?
Pourquoi vous, les
journalistes, aimez-vous poser ce genre de questions ? Le fauteuil
présidentiel n’est pas pour moi une obsession et, on n’a pas forcément besoin
d’être Président de la République avant de contribuer au développement de notre
pays, le Bénin ; vous l’avez vu avec mon frère qui, tout en étant un
simple citoyen, a construit, entre autres, des modules de salles de classe, un
complexe pour la formation de jeunes footballeurs. Nous, les Ajavon, nous
sommes comme ça ! Donc, comme vous le voyez, 2021 est encore très
loin ; l’essentiel, aujourd’hui, est de contrer Patrice Talon, dans sa
volonté d’asphyxier les Béninois, à son seul profit : c’est mon cheval de
bataille immédiat.
Comment
le peuple béninois peut-il définir votre identité politique, actuellement ?
Il n’y a pas de
miracle. Aujourd’hui, le monde est devenu un petit village ; Obama met un
parfum à Washington, vous avez instantanément l’odeur, ici, au Bénin, mais les
hommes politiques ne l’ont pas compris, de même que les occidentaux, ils ne
savent pas qu’aujourd’hui, on ne peut plus gérer comme il y a trente ans, comme
il y a vingt ans. En effet, il n’y a rien de caché sous le soleil. Concernant
mon identité politique, je suis social-démocrate ; la démocratie, sans le
social, est vouée à l’échec.
Actuellement,
peut-on dire que vous êtes de la mouvance présidentielle ou de
l’opposition ?
Je suis de l’opposition
et, ce n’est pas le cas de tous ceux qui ont été aux dernières élections ;
je suis de l’opposition, parce que tout va de travers et, il faut avoir le
courage de le dire.
Avez-vous
pris des initiatives pour faire connaître vos idées au Président Talon, pour
lui faire connaître votre déception, votre désillusion ?
Il a mon numéro de
téléphone, je n’en ai jamais eu deux, j’en ai un seul et, il l’a. Moi, je n’ai
pas le sien. Donc, si quelqu’un doit appeler l’autre, c’est lui qui doit
m’appeler.
Au
sein de la Coalition de la Rupture, ne parveniez-vous pas à le joindre ?
En dehors des réunions,
on a eu à parler une fois, au téléphone, parce que je voulais le voir pour une
information et M. Sacca Lafia l’a appelé, puis il m’a passé le téléphone, on a
parlé.
Et,
c’était la seule occasion d’échanges avec le candidat qu’était Patrice
Talon ?
Oui, parce que je n’ai
pas à courir après lui pour parler du Bénin, pour trouver des solutions, pour
la gestion commune ; c’est à lui de m’appeler et, en tant que Béninois,
j’aurai l’obligation de me mettre à sa disposition pour parler du bien commun
qu’est notre cher et beau pays, le Bénin.
Comme
le Président ne vous appelle pas, ne serait-il pas approprié que vous preniez
l’initiative de le joindre, quitte à savoir qu’en son temps, vous auriez fait
tout ce qui était possible pour recoller les morceaux entre vous ?
Non, vous savez, je
suis très humble mais, j’ai ma fierté aussi. J’ai été présidentiable comme lui.
Je ne vais pas courir après Patrice Talon pour qu’on pense que c’est pour lui
prendre de l’argent ou quoi que ce soit. J’ai 55 ans, je n’ai jamais fait de
marchés d’Etat, je n’ai jamais travaillé pour quelqu’un, dans ma vie, et j’ai
un train de vie qui est au-dessus de celui de la moyenne des Béninois, donc, je
n’ai pas à courir après les gens.
Quels
sont vos projets d’ordre politique, à court et à moyen termes ?
Parcourir le pays,
échanger avec tous les Béninois.
Avez-vous
des vœux pour la nation béninoise ?
Je voudrais dire aux
Béninois, à mes frères, qu’on est bénis de Dieu, qu’on a le Nigeria à côté qui
fait plus de 180 millions d’habitants, qu’on a le Niger et le Burkina qui sont
enclavés, qu’on a près de 200 kilomètres de côte, qu’il faut qu’on se
comprenne, qu’on s’asseye et qu’on discute ; c’est seulement comme ça
qu’on pourra développer ce Bénin, parce qu’on a tout pour réussir, mais nous ne
voulons pas réussir parce qu’on ne pense qu’à nos ventres ; on ne pense
pas à ce pays, à cette terre, à cette nation qui nous a tout donné.
Propos
recueillis par Marcel Kpogodo
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire