jeudi 9 février 2017

Gabriel Laurex Ajavon : « [ Il faut] contrer Patrice Talon, dans sa volonté d’asphyxier les Béninois »

Dans le cadre d'une interview de l'ancien candidat à la présidence de la République, sur la gestion de Patrice Talon, après 10 mois de pouvoir


Dix mois après son accession à la magistrature suprême, le Président Patrice Talon est à l’œuvre pour l’exécution de son plan d’actions. A l’épreuve du pouvoir, ses initiatives et ses choix politiques ne font pas l’unanimité. Ainsi, l’ancien candidat à la présidence de la République, Gabriel Laurex Ajavon, frère aîné de Sébastien Ajavon, qui a bien voulu répondre aux questions de notre Rédaction, s’est consacré, en matière de son regard sur les 10 mois au pouvoir du Chef de l’Etat, au pilonnage de l’action gouvernementale, de même qu’il s’est ouvert sur certaines coulisses de la dernière élection présidentielle, au sein de la Coalition de la Rupture, ayant facilité l’arrivée au pouvoir de Patrice Talon qui ne serait donc pas aussi irréprochable, au point de vue du financement du second tour de la présidentielle …

Gabriel Laurex Ajavon
Journal ’’Le Mutateur’’ : Bonjour à vous, M. Gabriel Laurex Ajavon. En tant qu'ancien candidat à l'élection présidentielle des 6 et 20 mars 2016, au Bénin, comment appréciez-vous la gestion du Président de la République, Patrice Talon, surtout que demain, mardi 6 février 2017, il totalisera 10 mois au pouvoir ?

Gabriel Laurex Ajavon : J’avais eu à parler de cette gestion le 19 juin 2016, sur une radio de la place. Et, je disais, à l’époque, déjà, que le pays était très mal géré. Là, on va de mal en pire, tout se dégrade : la filière des véhicules d’occasion est à terre, alors qu’il aurait fallu peut-être réduire les taxes d’exportation pour qu’elles ne pénalisent pas la chute du Naïra. Mais, on n’a rien fait ; aujourd’hui, il n’y a plus rien. Plus de 2 mille Libanais sont déjà partis du Bénin ; c’est un manque-à-gagner pour l’Etat ! Moi, je dis : on perçoit chez l’usager près de 400 mille ; à peine 200 mille vont dans la caisse de l’Etat, le reste, c’est des redistributions de la Ségub (Société d’exploitation du guichet unique du Bénin, Ndlr). On aurait pu amputer les redistributions-là de moitié pour que les Nigérians continuent à arriver, pour qu’on maintienne au moins les 200 mille qui vont dans la caisse de l’Etat. Mais, je ne sais pas si c’est volontairement ou involontairement qu’on a voulu tuer cette filière qui nourrit quand même des milliers de Béninois.
On fait des contrats de marché de gré-à-gré, à l’aéroport, partout. On gère le Bénin comme l’on gère une Sarl (Société à responsabilité limitée, Ndlr), même pas comme une Sa (Société anonyme, Ndlr), mais comme une Sarl. Les étudiants sont fâchés, à juste titre, parce qu’ils doivent payer maintenant des inscriptions dont ils n’avaient l’habitude, et ils ne disposent plus de la liberté d’association. Et, dans le même temps, on annonce la gratuité des enregistrements aux Domaines. Je vous donne un exemple simple : si l’enregistrement aux Domaines était de 12% sur les biens acquis, l’Etat aurait perçu, en plus des 900 et quelque millions que le Président Talon veut payer pour s’approprier le domaine de l’Etat, 12% de ce montant et, d’après les dires d’un cadre de l’Agence nationale de la propriété foncière, rien que ces taxes, ces recettes rapportent à l’Etat béninois, chaque année, plus de 50 milliards.
La gratuité de l’inscription des étudiants coûte combien par an ? Je pense qu’on prend des mesures qui ne favorisent que le Chef de l’Etat et son entourage, alors que le Bénin est un patrimoine commun ; c’est à nous tous et, partant de là, le Chef de l’Etat doit rendre compte. On ne peut pas gérer un pays comme l’on gère sa société.  



Voulez-vous dire que le Président de la République, depuis son accession à la magistrature suprême, n'a rien réussi ? Il y a, tout au moins, le Programme d’actions du Gouvernement (Pag) qui a été lancé le 16 décembre 2016 …

En tant que show, la présentation a été réussie, mais est-ce que c’est le show qu’on va bouffer ? C’est le show qui va nous nourrir ? Non. Il faut aller dans le Programme d’actions du Gouvernement. C’est bien beau, mais, quand on prend seulement le Budget général de l’Etat, pour l’année 2017, le Président va trouver les 2010 milliards où ? On calcule le risque avant de prêter à quelqu’un ! Le risque sur le Bénin, aujourd’hui, est élevé ; le Bénin ne peut pas lever des fonds à 1%. Donc, si le risque est élevé, le Bénin voudra même emprunter à 7% et il ne trouvera pas les fonds, parce qu’avant de prêter, il faut être sûr que celui qui emprunte a les moyens de rembourser.
Libérer l’espace public, c’est une bonne chose, mais il aurait fallu prendre des mesures d’accompagnement, parce que les pauvres, ils ont emprunté de l’argent dans les institutions de microfinance, ils ont des échéances à payer, ils vont les rembourser comment, maintenant que tout est détruit ?
Je pense que la plus grosse erreur qui ait été faite est que Talon a voulu gérer seul ; « une seule hirondelle ne fait pas le printemps ». On ne peut pas gérer sans humilité ; il faut être humble, écouter tout le monde. L’homme est une créature divine et, tout ce que Dieu fait est bon ; ça veut dire qu’il y a du bon dans chaque individu que nous sommes.



En affirmant que le Président de la République a voulu gérer seul, de quoi parlez-vous, M. Ajavon ?

Depuis son accession au pouvoir jusqu’à ce jour, je n’ai jamais échangé avec lui. Pourtant, j’étais membre de la Coalition de la Rupture ; on avait dit que M. Patrice Talon allait nous donner les moyens pour lui faire campagne au second tour ; il y en a qui ont reçu de l’argent de lui pour faire campagne mais, moi, je lui ai fait campagne avec mes propres sous. Cela, c’est quelque chose qu’il me doit et qu’il me paiera, tôt ou tard, parce que les preuves sont là que j’ai dépensé mon argent pour faire campagne pour lui ! Et, je ne suis peut-être pas seul dans le cas. Même les autres candidats, la lune de miel a duré combien de temps avec eux ? Moi, je n’ai pas été candidat pour être ambassadeur dans un pays ou pour être nommé ministre ; j’ai été candidat parce que je veux gérer ce pays et, je me suis préparé pour.



Face à toutes ces dénonciations, quelles solutions constructives proposez-vous, pour chacune des critiques faites ?

Je pars du fait que personne ne nous juge ; ce sont nos actes et nos paroles qui nous jugent. Si M. Patrice Talon dit qu’il pense d’abord à lui, c’est normal, c’est humain et, c’est légitime et, en parlant de la gestion de ses sociétés, d’accord ! Mais, en parlant de la gestion du patrimoine commun qui est le Bénin, ce n’est pas normal. Vous savez, la différence qu’il y a entre les occidentaux et nous, Africains, c’est que les occidentaux pensent d’abord à leur pays, à l’Etat, parce qu’ils savent qu’ils ne sont rien sans ce pays, que la force qu’ils ont vient de ce pays ; ils le font avant de penser à leur petite personne. Mais, les Africains, c’est des mange-petit ; ils ne pensent qu’à leur petit ventre, ils ne se soucient pas de leur pays, alors qu’ils ne sont rien sans ce pays.



Et, vous pensez sûrement que c’est le cas du Président Patrice Talon …

Si celui qui a financé sa campagne au second tour ne s’entend plus avec lui, si cette personne a failli se retrouver en prison pour quelque chose qu’il n’a pas fait, suivez mon regard, tirez la conclusion vous-même.



Que pourriez-vous faire pour donner une concrétisation à vos idées de développement, qui ne sont pas certainement celles du Gouvernement ?

Je pense que c’est une question de volonté, d’abord. Si M. Patrice Talon n’a pas la volonté de développer le Bénin, s’il veut juste devenir plus riche que Dangoté, je ne sais pas quoi lui faire, je ne serai pas utile pour lui. Mais, si c’est pour développer le Bénin à partir des ressources du Bénin, avec la participation de tous les Béninois, je suis prêt et, c’est faisable. Mais, comment vous pouvez imaginer que le Togo, à côté, qui fait la moitié du Bénin, a un port en eau profonde et qu’un navire de 25 mille tonnes ne peut pas accoster au Bénin, pourtant, on a près de 200 kilomètres de côte. Notre piste d’atterrissage ne fait que 2700 mètres, la piste de Lomé fait 3100 mètres ; c’est une question de volonté. On veut gérer le Bénin comme si c’était un héritage personnel, ça ne peut pas marcher, on a besoin de tous les Béninois pour développer ce pays, il faut être humble, il faut les écouter, il faut échanger avec eux.



Quelle est votre analyse concernant l’interdiction par le Préfet du Littoral, Modeste Toboula, de l’utilisation des lieux publics, pour la prière du vendredi ?

Est-ce qu’un homme, une créature divine, peut interdire qu’on adore son créateur ? C’est une question que je pose. Moi, je suis catholique fervent ; je suis, tous les matins, à l’église, parce que toute notre vie est action de grâces. C’est pourquoi, tous les matins, je vais rendre grâces à Dieu, pour lui confier ma journée, pour le remercier pour le sommeil qu’il m’a donné et pour mon réveil en bonne santé. L’homme qui interdit de prier sur la voie publique n’est pas quelqu’un qui est bien dans sa tête, parce que, s’il est humble, s’il n’est pas prétentieux, il saura que son réveil, le lendemain, n’est pas de sa volonté ; Dieu est toujours à sa place et, quand il nous donne un petit pouvoir, on pense qu’on peut se substituer à lui. L’homme ne sera jamais Dieu, l’homme restera toujours un homme au service des hommes, parce que Dieu l’a voulu ainsi.
   


Vous l’avez abordé un peu tout à l’heure : que pensez-vous de l'état actuel des relations entre Patrice Talon et votre propre frère, Sébastien Ajavon ?

Vous savez, moi, j’ai la crainte de Dieu, et, je ne sais pas mentir ; Sébastien Ajavon et Patrice Talon n’ont jamais été amis. Même si, à l’époque, Sébastien a eu des problèmes avec l’ancien Président, M. Yayi, c’est à cause de M. Patrice Talon. Donc, cela a été une alliance de circonstance et, moi, je savais que ça n’irait pas loin ; le 19 juin 2016, je l’avais dit sur une radio de la place : le seul langage que Patrice Talon connaît, c’est celui d’employés à employeur, il ne comprend pas le vocabulaire de collaborateur, il est le patron et, c’est fini ! Donc, ça ne pouvait jamais marcher et, ce n’est pas pour ça que M. Sébastien Ajavon ne va pas continuer à œuvrer pour le développement de ce pays. Nous, dans la famille Ajavon, nous avons toujours œuvré pour le développement de ce pays, pour le social ; parcourez tout le Bénin et demandez d’après notre maman. Nous, on a toujours été dans le social, parce que, quand Dieu vous donne, il ne faut pas croire que vous êtes quelque chose, c’est une faveur que Dieu vous a faite. Donc, en reconnaissance, vous devez lui rendre grâces en contribuant à l’évolution, à l’épanouissement de vos concitoyens.     



Le peuple béninois peut-il s'attendre à une alliance d'actions entre les deux frères Ajavon, surtout que le Chef de l'Etat semble désormais votre ennemi commun ?


Sébastien Ajavon sera toujours mon petit frère. Et, en tant que grand frère, même si, politiquement, on ne voit pas les choses de la même façon, mon soutien lui est acquis, sans conditions ; je le soutiendrai, en tant que grand frère, dans tous les autres domaines. Mais, quand il s’agira de la politique, il va falloir qu’on arrondisse les angles, pour qu’on voie ensemble ce qu’il est possible de faire et ce qui n’est pas possible.



Qu'est devenue la coalition de la Rupture à laquelle vous avez appartenu avec bon nombre d'autres anciens présidentiables ?

Vous savez, parmi les 33 candidats, il y en a qui ont été candidat, juste pour accepter un poste d’ambassadeur ou un poste ministériel ou un poste de Dg dans une institution mais, moi, je ne peux pas parler à leur place ; je peux juste dire que, depuis mon intervention sur une radio de la place, le 19 juin 2916, moi, je ne fais plus partie de cette Coalition, parce que, quand vous faites de la politique, il faut pouvoir dire la vérité ; quand vous ne parlez pas au bon moment, après, vous n’êtes plus audible. Moi, je veux avoir un langage de vérité, un langage franc avec les Béninois : tout ce que j’avais dit, le 19 juin, se réalise. J’avais dit que 90% des Béninois étaient mécontents de Patrice Talon ; aujourd’hui, quand j’échange avec les gens, on me dit : « Ah, tu avais raison, tu avais raison ! ». Non, ce n’est pas que j’avais raison, j’aurai toujours raison, parce que vous ne pouvez pas trouver le bon remède si vous n’avez pas le bon diagnostic. Et, les Béninois ne veulent pas faire un diagnostic et, comment voulez-vous qu’ils trouvent le bon remède ? Il faut faire une analyse objective de la situation pur pouvoir trouver une bonne solution.  



M. Ajavon, concernant les promesses qui avaient été faites au sein de la Coalition de la Rupture, pendant le second tour de l’élection présidentielles, pouvons-nous revenir sur les autres assurances qui avaient été données aux présidentiables par Patrice Talon et qui n'ont pas été respectées ?

L’aspect pécuniaire, l’aspect financier, ce n’est pas le plus important ; le plus important, c’est gérer ensemble. Mais, il y en a beaucoup qui se sont contentés de l’aspect financier parce qu’ils ne peuvent rien gérer, cela les engage et, ils en répondront, un jour, devant les Béninois.



Serez-vous encore candidat à l'élection présidentielle en 2021?

Pourquoi vous, les journalistes, aimez-vous poser ce genre de questions ? Le fauteuil présidentiel n’est pas pour moi une obsession et, on n’a pas forcément besoin d’être Président de la République avant de contribuer au développement de notre pays, le Bénin ; vous l’avez vu avec mon frère qui, tout en étant un simple citoyen, a construit, entre autres, des modules de salles de classe, un complexe pour la formation de jeunes footballeurs. Nous, les Ajavon, nous sommes comme ça ! Donc, comme vous le voyez, 2021 est encore très loin ; l’essentiel, aujourd’hui, est de contrer Patrice Talon, dans sa volonté d’asphyxier les Béninois, à son seul profit : c’est mon cheval de bataille immédiat.



Comment le peuple béninois peut-il définir votre identité politique, actuellement ?

Il n’y a pas de miracle. Aujourd’hui, le monde est devenu un petit village ; Obama met un parfum à Washington, vous avez instantanément l’odeur, ici, au Bénin, mais les hommes politiques ne l’ont pas compris, de même que les occidentaux, ils ne savent pas qu’aujourd’hui, on ne peut plus gérer comme il y a trente ans, comme il y a vingt ans. En effet, il n’y a rien de caché sous le soleil. Concernant mon identité politique, je suis social-démocrate ; la démocratie, sans le social, est vouée à l’échec.



Actuellement, peut-on dire que vous êtes de la mouvance présidentielle ou de l’opposition ?

Je suis de l’opposition et, ce n’est pas le cas de tous ceux qui ont été aux dernières élections ; je suis de l’opposition, parce que tout va de travers et, il faut avoir le courage de le dire.



Avez-vous pris des initiatives pour faire connaître vos idées au Président Talon, pour lui faire connaître votre déception, votre désillusion ?

Il a mon numéro de téléphone, je n’en ai jamais eu deux, j’en ai un seul et, il l’a. Moi, je n’ai pas le sien. Donc, si quelqu’un doit appeler l’autre, c’est lui qui doit m’appeler.



Au sein de la Coalition de la Rupture, ne parveniez-vous pas à le joindre ?

En dehors des réunions, on a eu à parler une fois, au téléphone, parce que je voulais le voir pour une information et M. Sacca Lafia l’a appelé, puis il m’a passé le téléphone, on a parlé.


Et, c’était la seule occasion d’échanges avec le candidat qu’était Patrice Talon ?

Oui, parce que je n’ai pas à courir après lui pour parler du Bénin, pour trouver des solutions, pour la gestion commune ; c’est à lui de m’appeler et, en tant que Béninois, j’aurai l’obligation de me mettre à sa disposition pour parler du bien commun qu’est notre cher et beau pays, le Bénin.



Comme le Président ne vous appelle pas, ne serait-il pas approprié que vous preniez l’initiative de le joindre, quitte à savoir qu’en son temps, vous auriez fait tout ce qui était possible pour recoller les morceaux entre vous ?

Non, vous savez, je suis très humble mais, j’ai ma fierté aussi. J’ai été présidentiable comme lui. Je ne vais pas courir après Patrice Talon pour qu’on pense que c’est pour lui prendre de l’argent ou quoi que ce soit. J’ai 55 ans, je n’ai jamais fait de marchés d’Etat, je n’ai jamais travaillé pour quelqu’un, dans ma vie, et j’ai un train de vie qui est au-dessus de celui de la moyenne des Béninois, donc, je n’ai pas à courir après les gens.



Quels sont vos projets d’ordre politique, à court et à moyen termes ?

Parcourir le pays, échanger avec tous les Béninois. 



Avez-vous des vœux pour la nation béninoise ?

Je voudrais dire aux Béninois, à mes frères, qu’on est bénis de Dieu, qu’on a le Nigeria à côté qui fait plus de 180 millions d’habitants, qu’on a le Niger et le Burkina qui sont enclavés, qu’on a près de 200 kilomètres de côte, qu’il faut qu’on se comprenne, qu’on s’asseye et qu’on discute ; c’est seulement comme ça qu’on pourra développer ce Bénin, parce qu’on a tout pour réussir, mais nous ne voulons pas réussir parce qu’on ne pense qu’à nos ventres ; on ne pense pas à ce pays, à cette terre, à cette nation qui nous a tout donné.


Propos recueillis par Marcel Kpogodo

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