Dans le cadre d’une
interview exclusive accordée par la personnalité
S’il est une voix
autorisée qu’on devrait plus entendre sur le dossier de la demande par le Bénin
de la restitution par la France des biens culturels emportés pendant la
colonisation, nous avons celui qui est à la fois comédien, metteur en scène,
dramaturge, promoteur culturel béninois et gestionnaire d’un groupe de presse :
Ousmane Alédji. La considération que cette personnalité fait à notre Rédaction
d’une nouvelle rupture de son silence sur la question est à la mesure d’une
défense fine et pointue de ce projet de restitution, piloté par le Gouvernement
du Président Patrice Talon, par des arguments de poids, fondés sur une maîtrise
sans pareille de tous les types d’environnements humains et de sites, concernant la
question. Au Centre culturel ''Artisttik Africa'', découverte, à travers cette interview exclusive, d’une argumentation
surprenante, menée par un tempérament de bulldozer, muni d’une démarche
pragmatique, qui, notamment, font exploser la réflexion sur le sujet …
Ousmane Alédji |
M.
Alédji, l’opinion nationale veut vous entendre vous prononcer, plus amplement, après
votre passage sur Rfi, sur la question de la rétrocession des biens culturels
au Bénin par la France. Merci d’avoir accepté de répondre à nos questions.
Ousmane
Alédji :
Tout
l’honneur est pour moi.
M
Aledji, le 26 août 2016, le Gouvernement béninois, pour faire suite à une décision
du Conseil des Ministres, a adressé, à la France, une demande de restitution
des biens culturels pillés pendant la colonisation. Selon vous, que faut-il
comprendre par cette initiative ?
D’abord, c’est une première
en Afrique. Je profite de votre micro pour féliciter le Gouvernement béninois
et son Chef. Il y a quelques années encore, on ne pouvait pas imaginer un Chef
d’Etat africain dans cette posture-là. C’est rare, un Président qui ne tremble
pas quand il s’agit d’aller, de se tenir devant nos partenaires. La demande du
Bénin est une première historique qui mérite d’être soulignée et appréciée. Ceci,
d’autant plus qu’aujourd’hui, les échanges Nord-sud, Afrique-France, les échanges
entre la France et l’Afrique au sud du Sahara, précisément, sont en débat.
J’apprécie que le Bénin prenne le leadership dans cette démarche-là. C’est une posture
majeure et une démarche risquée, il faut le dire.
Risqué
pour qui et pourquoi ?
Pour le Chef de
l’Etat ! C’est d’abord lui qui en répond. Cette démarche est très mal vue par
des gens dont la capacité de nuisance est connue. Tout le monde vous voit,
parle de vous, vous menacez des intérêts, vous dérangez des chapelles et des
religions. Il y a une partie de l’élite française et quelques vieux
conservateurs de la classe politique française, par exemple, qui agressent
carrément son propre Chef d’Etat ; vous imaginez comment cette élite
traite le nôtre. Bref ! Pour vous répondre, en une phrase, cette demande
du Bénin procède du plus grand projet de développement culturel qu’un Etat
africain ait entrepris depuis ces cinquante dernières années.
Vous
êtes sérieux, M Alédji ?
Absolument ! La
démonstration va être longue, mais je peux vous la faire, si nous en avions le
temps.
Un
projet de développement d’un pays africain qui dépend encore du bon vouloir de
la France ?
Pardonnez-moi, cher
ami, ne soyons pas naïf. Nous sommes, dans le cas d’espèce, confrontés à la réalité
de nos relations avec notre ancien colonisateur. Je me garde de remuer le
couteau dans la plaie. Mais, c’est évident que si ce débat a lieu, c’est bien
parce que ce colonisateur s’est approprié, jusqu’à présent, indument et
impunément, nos biens, et que rien ne s’est passé, que personne n’a jamais bronché. La demande du Bénin, même tardive, répond à
ses besoins de développement. « Le bon vouloir de la France », comme
vous dites, est-il nouveau ? A-t-il jamais dérangé quelqu’un ? Pour
une fois que nous ne sommes pas en posture de mendiant mais d’ayant-droits,
pour une fois que nous réclamons ce qui nous est dû, nous devrions avoir des
scrupules alors que nous n’éprouvons aucune gène à quémander, devant caméras et
micros ?
Avons-nous
des chances de voir cette réclamation aboutir ?
Ça reste un combat. Nous
bénéficions, me semble-t-il, et c’est heureux de le constater, d’une disponibilité
d‘esprit des plus hautes autorités françaises et de l’actuel Président
français, M. Emmanuel Macron. Je crois que si nous nous prenons au sérieux,
nous allons y arriver. Tout est une question de pédagogie et d’organisation. Je
suis optimiste.
Si
nous nous prenons au sérieux, dites-vous… Qu’est ce que cela implique ?
Cela implique, pour
nous, Béninois, d’être en responsabilité vis-à-vis de cette posture et
d’accompagner le Chef de l’Etat dans cette démarche. Nous devons être à la
hauteur de la réputation de notre pays ; un pays réputé très riche
cultuellement et culturellement, avec un patrimoine culturel unique, varié et
dense. Chaque Béninois doit s’engager et fournir l’effort nécessaire pour la
conservation, la préservation et la promotion de ce patrimoine ; je parle
d’une dynamique participative portée par tout béninois, même le plus modeste.
Pour
ceux qui ne comprennent pas grand-chose à la question de la demande par le
Bénin de la restitution de ses biens pillés pendant la colonisation, qu’est-ce
que vous avez à leur en expliquer ? Cela veut dire quoi pour le Béninois
lambda ?
Pour faire simple, la
guerre coloniale que la France a livrée au Bénin n’a pas fait que des dégats
économiques, que des victimes humaines ; elle a fait aussi des dégats d’ordre
spirituel et d’ordre patrimonial et culturel. Et, dans cette dimension, il y a
le vol – c’est le mot qui convient, même si ça déplaît – de nos objets, de
quelques objets sacrés, de quelques objets à caractère symbolique, de quelques
objets à caractère artistique pur. Tous ces objets anciens qui témoignent du
foisonnement de notre richesse artistique et culturelle, de l’époque, toutes
ces richesses ont été emportées, tous ces objets ont été emportés par la
France. Donc, en plus des cadavres qu’ils nous ont laissé enterrer par
nous-mêmes, ils ont emporté avec eux ces objets sacrés, symboliques à valeur de
trésors nationaux. Je parlais du plus grand projet de développement culturel de
ces cinquante dernières années …
Aujourd’hui, le Bénin réclame
que ses trésors lui soient restitués, dans la perspective de les restaurer et
de les installer dans les musées prévus par le Programme d’actions du
Gouvernement (Pag), en vue d’enrichir et de doper son offre touristique. Voilà,
simplement expliquée, la situation. Cela respecte, bien sûr, différents
protocoles ; je crois savoir que nous sommes sur la bonne voie.
Le
12 décembre 2016, un refus catégorique a été opposée par la France à cette
demande et, plusieurs éléments d’observation montrent que le Bénin a opté pour
la négociation : « […] nous sommes en concertation », a affirmé l’ex-Ministre
de la Culture, Ange N’Koué, le 29 mars 2017, dans une interview que lui a
accordée ’’Le Monde Afrique’’. « Nous sommes dans une démarche de négociation,
de coopération, […], a déclaré, à ce même propos, le Président Talon, le lundi
5 mars 2018, à l’Elysée, à Paris, dans sa conférence de presse conjointe avec
le Président Emmanuel Macron. Ne pensez-vous pas que la porte de sortie pour le
Bénin se trouve ailleurs que par la négociation ?
Non, non, pas du
tout ! C’est la meilleure porte de sortie : la négociation ou, si
vous préférez, la diplomatie. La démarche, comme l’a dit le Chef de l’Etat
béninois, n’est pas une démarche de pugilat, agressive ; on n’est pas dans
un bras-de-force, dans des rapports de force ou l’on va devant la justice. Il
me semble que ce sont les humains qui font les lois. Donc, je place une bonne
entente au-dessus des lois. Les valeurs qui nous irriguent et notre histoire
commune, français et béninois, nous obligent à la courtoisie et à la retenue. C’est
seulement quand nous nous serions montrés incapables de bons procédés et
d’élégance que nous pourrons envisager des choix contraignants. Je vous invite
à considérer que la réponse faite au Bénin par l’ancien ministre français, Jean
Marc Ayrault, est caduque, donc derrière nous.
S’il
y avait d’autres Jean-Marc Ayrault pour bloquer ce projet, comment allons-nous
nous y prendre ?
Faisons confiance, pour
l’instant, à nos deux Chefs d’Etat, MM. Talon et Macron. Ils ne sont pas dupes,
je ne crois pas. J’entends bien les frayeurs, notamment, de ces conservateurs indélicats
à nous obliger à rouvrir des placards détestables pour les horreurs qu’ils
couvent. Dans ce registre, singulièrement, je crois que leur Président, quoique
jeune, a une sacrée avance sur eux.
Je pense même que la
réponse de M. Macron est le signe d’une hauteur d’esprit, et d’une vision,
somme toute, rafraichissantes. Il est tout simplement admirable. Enfin, jusqu’à
ce qu’il me donne des raisons de dire le contraire, je l’observe et, il me
plaît, il me plaît.
Apparemment,
faire rapatrier ces biens culturels illégalement emportés constitue un
véritable défi, étant donné qu’au moins 5000 pièces sont réclamées. Quel prix
le Bénin doit-il payer pour relever ce défi ?
D’abord, les
statistiques ne sont pas exhaustives, elles sont à relativiser, à la hausse ou
vers le bas, mais on est dans les normes, on sait à peu près de quoi il s’agit.
Comme l’ont suggéré les Chefs d’Etat, je pense que d’ici à quelques semaines,
on verra naître une Commission mixte franco-béninoise pour étudier, pour
réfléchir, avec beaucoup de calme et de sérieux, sur les statistiques, sur
comment procéder à l’identification des objets, comment les répertorier, en
dresser la liste et, après, réfléchir sur les modalités de leur restitution.
Le
préalable, comme beaucoup le disent, c’est d’abord des infrastructures dignes
du nom, pour accueillir ces œuvres …
Je travaille sur l’environnement
culturel béninois depuis trente ans, c’est la première fois que j’ai une
projection du développement culturel de notre pays sur cinq, dix ans ; je
peux vous dire que, si on y arrive, quelle que soit la valeur des objets, d’où
qu’ils viennent, le Bénin sera capable de les loger, de les installer, de façon
à ce que même le monde entier se déplace vers la destination ’’Bénin’’. C’est
ce qu’on souhaite. Personne ne dit qu’on ira reprendre nos objets pour venir
les réinstaller dans la poussière et les abandonner aux termites. Même moi, je
ne serais pas d’accord, si c’était cela la démarche. Mais, non !
Maintenant, on y est, on est prêts, mais il reste les débats sur les prétextes
qu’on avance ; ces débats-là, pour moi, sont de faux débats parce que, de
toute façon, sur le principe, ces objets nous appartiennent ! Un autre
principe sur lequel nous pouvons aussi nous entendre, entre nous, ici, citoyens
béninois et Gouvernement : « Si
vous voulez vraiment qu’on vous accompagne, M. le Président de la République,
MM. les Ministres, donnez-nous la garantie que les objets que vous réclamez,
que ces objets, revenus au pays, ne seront pas abandonnés ou entassés dans des
bois ou dans des cantines pourries ». Je crois que critiquer publiquement
cette démarche du Gouvernement, c’est travailler contre notre pays.
On
a l’impression que le Bénin n’a les moyens de cette récupération parce qu’il
n’y a même pas d’infrastructures pour accueillir ces objets, il n’existe pas
d’infrastructures aux normes internationales requises …
Nous avons tous fait ce
constat alarmant, d’où la pertinence des projets contenus dans le Pag, d’où la
pertinence, pour nous, de nous engager et d’amener le Gouvernement à réaliser
ces infrastructures en respectant les normes de modernité requises. Cela dit,
le manque de cadres ou d’infrastructures ne saurait justifier le refus de
l’autre.
Certains
de vos collègues émettent des réserves, d’autres sont carrément contre la
démarche du Gouvernement.
J’ai entendu une ou
deux colères se répandre sur la place publique. Il ne faut pas leur en tenir
rigueur. J’aurais peut-être fait de même si je n’avais pas connaissance des
détails du Pag. Là, j’essaie de les convaincre avec les arguments qui sont les
miens pour les rallier à la cause. Ce sont des artistes majeurs dont la voix
porte.
Essayez
avec nous, M Alédji, faites comme s’ils vous écoutaient. Imaginez qu’ils soient
avec nous ici. Ils vont vous lire.
Bien, vous m’aurez
cherché. (rires) Alors, le Pag est pensé pour être exécuté suivant un
calendrier étalé sur cinq, voire dix ans, en réponse, entre autres, au manque
d’infrastructures professionnelles adaptées à nos besoins. J’insiste, à tous
nos besoins, y compris les musées et les cadres susceptibles d’héberger, dans les
mêmes conditions techniques et sécuritaires qu’ils ont en Europe, les objets
que nous réclamons à la France. Ce travail a commencé et avance à grands pas.
De la même façon que
nous commençons à réclamer nos biens, nous avons conscience que cela va mettre
des mois, pourquoi pas des années ? L’ingéniosité de la démarche béninoise
est son caractère anticipatif. Je veux dire, le fait d’adresser à la fois une
demande de restitution à la France et de lancer les études de faisabilité pour
la réalisation des musées d’Abomey, de Porto-Novo, d’Allada et de Ouidah, procède
de la mise en œuvre cohérente et accélérée du Pag. Notre souhait est que les
deux démarches aboutissent en même temps. Imaginez qu’au même moment où nous
allons finir la réalisation de ses projets phares, que nos objets reviennent ;
la boucle sera parfaitement bouclée, puisque tout va être harmonisé. Mais, si
l’on ne démarre pas cela maintenant, on va finir les infrastructures et, c’est
en ce moment qu’on va lancer la procédure pour la restitution des biens et,
cela peut durer une éternité, avec le risque que l’on transforme ces
infrastructures coûteuses en des palais de congrès et pour quelques réunions et
cochonneries politiques. Donc, on anticipe pour gagner du temps. On ne va pas
nous faire le procès d’avoir de la vision, de développer une capacité
d’anticipation. Je crois que nous devons faire comprendre aux gens que
l’aujourd’hui est un constat, mais que demain se rêve ; et il faut le
rêver grand, sinon nous ne méritons pas d’être sur terre. Celui qui n’est pas capable
de rêver et de rêver grand est indigne du souffle que Dieu lui prête. Sérieusement !
Peut-on
avoir une idée sur les projets du Pag qui permettent de nous rassurer que
quelque chose se prépare pour accueillir ces biens, au cas où la procédure
aboutirait ?
Bien sûr ! Je sais
que sur Abomey, par exemple, il y a le projet d’un vaste musée, avec une arène des
vodouns non masqués. Il est très avancé, les études de faisabilité sont lancées,
bientôt, on va entrer dans la phase de la réalisation physique de l’ouvrage. Il
en est de même à Porto-Novo avec une arène des vodouns masqués. Il y a ensuite
Allada et, surtout, Ouidah où se trouvent les forts anglais, français et
portugais, qui seront exhumés des décombres dans lesquels ils sont abandonnés.
Il y a un vaste projet concernant la restauration de la cité historique de
Ouidah, avec tout ce que cela comporte comme ambition d’en faire une
destination touristique majeure. Donc, il y a deux ou trois musées qui vont
s’installer dans cette ville, si l’on compte le fort portugais qui est
actuellement le musée de la ville de Ouidah. Et, un autre musée sera implanté, à
quelques encablures de la ’’Porte du non retour’’ avec une arène où vont se
dérouler les rituels de la fête du 10 Janvier, etc. C’est du concret, tout ça.
Et, on ne réalise pas de tels projets en un claquement de doigts.
A
combien de milliards s’évaluent les quatre pôles muséaux du Pag ?
Pour tous les projets
touristiques du Pag, on tourne autour de 600 milliards de Francs Cfa. J’avais
fait un certain procès au Gouvernement, à une époque ; je ne comprenais
pas pourquoi il ne mettait en avant que le secteur touristique. Je pense
toujours qu’il faut mettre tout le secteur culturel sur la table et dire :
« Le Bénin, pour les cinq années à venir, met 1000 milliards dans son
secteur culturel ! Aucun Etat, en Afrique, au sud du Sahara, n’a fait, ne
fait ça ! C’est une première mondiale ! C’est mille milliards sur
cinq ans! ». En matière de chiffres, le Bénin a de quoi calmer les
sceptiques.
Les
quatre grands musées prévus par le Pag seront des infrastructures gérées par
l’Etat. Or, nous savons que ce que gère l’Etat laisse à désirer, en matière de
résultats économiques. Est-ce qu’il n’est pas mieux que les Français gardent
nos biens et nous envoient des ristournes de la visite de ceux-ci dans leurs
musées, ce qui nous permettra de financer notre développement culturel ?
En gros, que les autres
travaillent pour nous parce que nous en sommes incapables … Je comprends vos
appréhensions. Mais, vous savez, la mode actuelle, c’est la délégation de gestion.
Pourquoi on ne le ferait pas pour les musées qu’on va construire? Et, je crois
même que c’est l’option ; l’Etat va réaliser les infrastructures et,
après, il va commettre des cabinets ou des bureaux, par appel d’offres, pour en
prendre en charge la gestion. Si ce n’était pas envisagé, on va en arriver là,
je crois.
En
avons-nous l’expertise sur place ?
Là où nous n’en
disposons pas, nous allons recourir aux cabinets internationaux. Mais, je crois
qu’il faut apprendre à faire confiance aux Béninois, à notre capacité à faire
les choses sérieusement. C’est vrai que jusqu’à une époque récente, on
dilapidait les fonds, les gens étaient très peu sérieux à s’occuper du travail
qui est le leur, mais les choses évoluent et évoluent dans le bon sens. Je
crois savoir qu’aujourd’hui, dans le domaine des arts et de la culture, celui
du patrimoine et des musées, il existe quelques compétences certaines, des
expertises certaines et, si l’on les mettait toutes à contribution, on serait à
l’abri des problèmes de gestion de notre patrimoine. Non. Rassurez-vous, on
prendra les précautions pour que, justement, le procès qui est en train de nous
être fait aujourd’hui ne revienne pas ou ne se justifie pas demain. Pour la
gestion de ces infrastructures-là, je crois savoir qu’il y a une option de
délégation de gestion axée sur les résultats, en termes, de chiffres, de
statistiques et de manne financière pour le Trésor public.
Face
aux musées béninois mal entretenus et, notamment, avec celui d’Abomey, souvent
victime d’incendies et dont des pièces disparaissent, cela n’est-il pas de
mauvais augure pour ces 5000 pièces qu’on espère pouvoir accueillir ?
Vous savez, si je vous
réponds sur la question, on va m’accuser d’être toujours en train de jeter la
pierre aux autres. Donc, je ne vais pas creuser le sujet, mais je vais l’aborder
rapidement. D’abord, ce que nous avons appelé musées, jusqu’à présent, était
des palais royaux et, ce sont toujours des palais. L’Etat béninois, à cause,
entre autres, des nombreux programmes d’ajustement structurel (Pas) qu’on nous
a infligés pendant des années, n’a jamais entrepris la construction, dans les
règles, d’un musée contemporain; cela n’existe pas au Bénin, comme vous le
disiez tout à l’heure. Donc, ce sont des palais qu’on a transformés et adaptés
aux normes muséales, soi-disant.
Dans une démarche comme
celle-là, ce qu’on adapte au concept n’est pas le concept réalisé ; il y a
toujours des faiblesses ici, des fissures là-bas. C’est ce qu’on vit parce que
ceux qui sont chargés de veiller sur les palais, de les entretenir, ne sont pas
formés pour travailler dans des musées professionnels aux normes
contemporaines. Nous avions donc une démarche biaisée. Sur le plan technique,
il faut savoir que ces palais sont construits en terre rouge. Avec le temps, la
poussière et l’humidité forment un dépôt dont l’acidité érode et dégrade les
objets. Mais, qui sont ceux qui nous ont fait croire, qui sont ceux qui nous
ont amenés à faire de ces lieux-là des musées ? Qui sont nos
receleurs ? Je laisse ces questions en l’air, vu que nous savons qui nous
sommes.
Donc, le procès qu’on
fait à nos palais, à leur état, est un faux procès, puisque ce sont des palais,
ce ne sont pas des musées ! Mais, encore une fois, sérieusement, si je
vous attrape avec la couronne de mon grand père, je vous la prends. Que je la
porte après sur ma calvitie ou sur mes cornes, c’est mon problème. Donc, il ne
faut pas que les gens s’enlisent ; je ne crois même pas qu’ils aient les
arguments suffisants pour nous faire ce procès-là.
Quand
on vous écoute, on sent un homme déterminé qui maîtrise le sujet dont il parle,
il reste vrai que la partie française va poser des conditions, croyez-vous que
nous soyons prêts à les satisfaire ?
Sans aucun doute !
Absolument ! Je suis persuadé que les Français, ceux qui ont de la
lumière, ceux qui, me semble-t-il, sont dans une option évolutive des échanges
Nord-Sud et qui ne restent pas sur les legs coloniaux, vont être des
interlocuteurs crédibles. A l’inverse, ceux d’entre eux qui continuent de
croire que le monde est comme il était il y a deux siècles, ne devront s’en
prendre qu’à eux-mêmes. Moi, je crois que nous sommes prêts. Ils savent aussi
qu’à l’impossible nul n’est tenu. Maintenant, est-il bénéfique pour la France
qui, de temps en temps, voit venir des réclamations, des agressions verbales,
attaquée qu’elle est, de toutes parts, pour des faits historiques peu glorieux,
de poser des conditions avant de restituer ces objets ? Là est toute la
question.
Et
quel est votre point de vue sur le sujet ?
Moi, je crois que la France
a intérêt à vider le sujet de la restitution des objets, rapidement, pour
plusieurs raisons. D’abord, parce qu’il me semble que quand des Portugais, des
Espagnols, des Brésiliens, des Américains viennent en France pour aller dans
les musées, ce qu’ils voient les amène à faire le procès de ce pays. Donc, cela
ne glorifie pas la France. Contrairement à ce que certains croient, ils se font
peut-être de l’argent, mais les gens les paient pour aller trouver des prétextes
pour les insulter. Donc, cela n’honore pas la France ; la grande France
doit pouvoir dépasser ça pour restaurer sa propre image, pour refaire sa propre
histoire et pour éviter que des débats lourds reviennent en surface. Voilà la première
raison.
La deuxième : le
réalisme recommande que la France mette cela dans la balance comme un objet
d’échange, comme un lieu d’échanges et de dialogue avec le Sud : « On
va vous rendre vos biens mais … mais … mais … ». Donc, elle pousse les
Etats du Sud à investir dans le secteur de la culture et dans le secteur du
tourisme. Cela nous arrange, nous, peuples africains, que la France pousse nos
dirigeants à nous construire des infrastructures capables d’accueillir nos
objets, de faire des musées ici, d’élargir l’offre touristique au Sud. De ce fait,
elle va reconquérir une opinion publique africaine de plus en plus critique à
son encontre. La symbolique d’un tel geste lui confère tout son caractère
historique.
Troisième raison :
aujourd’hui 60 à 75% des objets volés en Afrique sont dans des réserves, ne
sont pas exposés, ne sont pas dans les vitrines, dans les galeries ! Ils
sont stockés dans des cantines et entassés dans des souterrains et leur
entretien coûte extrêmement cher. Donc, la France ne profite pas tant que ça
des objets qui lui valent des injures et des attaques de toute la communauté
humaine. Elle a donc intérêt à les rendre. On nous dit : « Vous
n’avez pas d’infrastructures pour les conserver et les montrer », je réponds :
« Vous ne pouvez pas continuer de nous les refuser pour aller les cacher
dans vos souterrains, là-bas … ». Alors, le procès qu’on nous fait, on
peut aussi le retourner contre leurs auteurs.
Quatrième raison :
je crois que, touristiquement parlant, la France n’a pas vraiment besoin des
objets africains pour doper son offre touristique. La destination française est
connue ; en termes de propositions touristiques, c’est la première
destination mondiale, alors que nous, nous n’avons à montrer à nos touristes
que nos forêts, nos palais et nos temples vodouns. Ce n’est pas rien, certes, mais
nous aspirons à mieux.
Cinquième raison :
la démarche béninoise est irréversible, si notre génération ne la fait pas
aboutir, celle de nos enfants et après, celle de nos petits-enfants reprendra
le flambeau. Ainsi de suite ! Avec les déversements de propos et des
exhumations de faits qui pourraient faire très mal. Voilà, je pourrais
continuer mais…
M.
Alédji, certains prétendent que la demande du Gouvernement béninois nuit à la
qualité de nos relations avec la France …
Je n’en crois rien.
Ceux qui disent cela ont gardé en eux leurs racines d’esclaves incurables. Il
ne faut pas se laisser intimider par un petit clan de vieux conservateurs
râleurs ; ils ne représentent en rien la France. La France moderne existe
et celle-là dispose, croyez-moi, d’un nombre impressionnant d’experts qui
comprennent les enjeux. Ils savent que cette demande du Bénin n’est pas
l’expression d’un caprice mais procède bien d’un projet de développement. Ils
savent qu’au lieu de nous donner dix millions d’euros par ici, vingt millions d’euros
par là, il vaut mieux nous restituer nos objets pour que nous les mettions dans
nos musées modernes pour générer une économie touristique importante capable de
relever notre Pib et d’impacter durablement le développement de notre pays. Ils savent tout cela. La France connaît bien
les enjeux et sait défendre ses intérêts. Elle a beaucoup à y gagner. Je
vous le garantis.
Et
pourtant, il y a des opposants dans les deux camps
Ils vont nous rallier
quand ils verront les premières réalisations. Quand j’ai entendu le Président
Emmanuel Macron à Ouagadougou et, récemment, lors de sa conférence de presse
avec le Président Patrice Talon (Le lundi 5 mars 2018, Ndlr), je me suis
dit : « Ce monsieur-là, a tout
compris … ». Le rôle des leaders, c’est aussi de montrer la voie à suivre. J’espère
que les Français vont le préserver et le garder longtemps, parce que c’est une
vision nouvelle, rafraîchissante. C’est ce que je pense. Même si je ne suis pas
Français.
Pourriez-vous
rappeler, pour nos lecteurs, le contenu des propos du Président Emmanuel Macron
à Ouagadougou ?
Ha ha ! C’est une
colle ? Emmanuel Macron disait, devant la jeunesse burkinabè, qu’il n’est
pas normal que les objets relevant du patrimoine culturel africain ne soient
accessibles aux Africains que dans les musées d’Europe. Il s’est engagé à
rendre disponibles, sous certaines conditions, les œuvres africaines à Dakar, à
Lagos et à Cotonou. Je résume, bien entendu.
Au
cours de la conférence de presse, à laquelle vous venez de faire référence, le
Président Emmanuel Macron a promis d’envoyer deux experts pour faire un peu
comme un état des lieux. Un tel état des lieux, apparemment négatif, sur la
capacité du Bénin à conserver valablement les biens qu’on va lui retourner, ne
sera pas un moyen pour faire retarder les choses ?
Merci. Cela est
possible. Le même Emmanuel Macron a dit, devant les caméras et les
journalistes, que la France est disposée à mettre de l’argent dans le projet de
restauration et de revalorisation de la Cité Lacustre de Ganvié. Cela, c’est un
projet ! Donc, si l’on doit faire l’état des lieux, ce n’est pas uniquement
l’état des lieux des palais royaux, qu’il faut faire, mais celui des projets en
cours d’exécution aussi, celui de l’appui aux projets en cours d’exécution
aussi, parce que ça, ça démarre là ; on est en train de mettre les
fondations de musées contemporains, partout au Bénin.
Donc, on les attend,
ces experts français. On espère que ce ne sont pas des gens braqués. On
échangera avec eux sur l’existant et on évaluera les capacités des projets qui
sont en cours d’exécution aussi. Moi, je fais confiance à l’humain en chacun de
nous. Certains sont des fanatiques, mais il y en a qui savent relativiser, qui ont
la raison féroce. Je crois que M. Emmanuel Macron va honorer ses engagements. C’est
peut-être naïf, mais j’y crois.
Ousmane Alédji, un bon café d'après-interview ... |
Une
certaine simulation, Ousmane Alédji : si vous étiez Ministre de la Culture
aujourd’hui, comment mèneriez-vous le dossier du retour des biens, de façon à y
faire triompher la vision du Président Talon, le Bénin, tout simplement ?
Je vous remercie pour la
considération, mais vu que je n’y pense pas, je n’ai pas de réponse pour vous.
Merci,
M. Ousmane Alédji
Propos
recueillis par Marcel Kpogodo
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