mercredi 3 mai 2017

« Le chien de garde est désormais le chien de compagnie », dixit Gérard Guèdègbé sur la presse béninoise et africaine

Dans le cadre de la célébration de la Journée internationale de la liberté de presse 

Ce mercredi 3 mai 2017, jour de la célébration de la Journée internationale de la liberté de presse, est l'occasion choisie par le journaliste béninois, Gérard Guèdègbé, et Président de l'Initiative pour la communication et la liberté de presse en Afrique (Icleaf), de faire valoir une analyse de pointe sur le fonctionnement actuel de la presse béninoise et africaine ...

Gérard Guèdègbé

Des esprits critiques sous hypnose en temps critiques


Aujourd’hui 3 mai 2017, le monde entier célèbre,une fois encore, la Journée Mondiale de la Liberté de la Presse sur le thème : «  Des esprits critiques pour des temps critiques : le rôle des médias dans la promotion de sociétés pacifiques, justes et inclusives ». Le 3 mai, faut-il le rappeler,  a été proclamé Journée mondiale de la liberté de la presse par l’Assemblée générale des Nations Unies, en 1993, suivant la recommandation adoptée lors de la 26è session de la Conférence générale de l’UNESCO, en 1991.
C’est justement le lieu et le moment  de rendre un hommage digne à ces milliers de femmes et d’hommes qui exercent leur métier, jour et nuit, sous la tempête et le soleil, dans la joie et dans la foi du devoir, sans parfois prendre conscience des risques du lendemain.  Merci à ces professionnels de la presse qui arpentent  les chemins rocailleux de la jungle pour donner du souffle au cri de détresse de cette population qui vit la pollution de cette usine de fabrication de ciment qui, au mépris des normes environnementales, gavent les poumons de ses habitants de clinker. Cette population trouve en la presse le messie qui vient la délivrer de la corruption ambiante qui a réussi à dessaisir les autorités compétentes de leur mandat de protection civile. Que d’hommages ne méritent-ils pas, ces hommes et ces femmes des médias, qui se sont singulièrement distingués pour couvrir les dernières campagnes électorales,sous le coup de menaces et d’intimidations, car voulant s’ériger en rempart au bal éhonté des démagogues hypertrophiés qui avaient plus d’un tour dans leur sacoche de mensonges, pour rallier les électeurs à leur cause. Je reconnais et je salue le combat de cette minorité qui, au moyen de sa plume et de son micro, barre la route à l’oligarchie, au sacrifice de sa vie, dans certaines régions du monde-, où la bonne gouvernance est restée à l’état larvaire.
La liste risque de s’en étendre à l’infini, mais je ne saurais oublier ces soldats de la presse qui descendent dans les foyers de tension, dans l’épicentre des épidémies meurtrières et des violations massives des droits de l’homme, pour montrer les désastres humains qui s’opèrent derrière l’écran. Qu’ils soient ici remerciés et félicités pour le combat qu’ils mènent pour repousser les barrières de l’injustice.
Notre engagement à barrer la route à l’anormal et à promouvoir le juste, le sain et le vrai, au sein de la société, constitue le fondement de notre mandat, très habilement illustré par l’image du ’’chien de garde’’. La raison d’être social d’un journaliste est d’être au rendez-vous du droit de savoir du citoyen, en lui donnant des informations d’intérêt public. Aujourd’hui, aussi bien les professionnels de la presse que l’opinion publique ne cessent de s’interroger sur ce qui nous reste encore de ce rôle de chien de garde, devant les misères et les défis du développement.^



Sous la hantise des nouveaux défis

Aujourd’hui plus qu’hier, la société se trouve confrontée à de nouvelles menaces et à de nouveaux défis auxquels devraient s’adapter les médias, pour jouer, au mieux, leur rôle. Le développement des Technologies de l’information et de la communication ont rendu plus sophistiqués les crimes et les actes de corruption qui fragilisent les piliers de la bonne gouvernance. Mieux, les effets des changements climatiques nous montrent le profil d’une nature victime d’un surmenage apocalyptique, avec des chaleurs massacrantes et des pluies diluviennes, comme à l’époque de Noé. Aussi, les menaces sécuritaires habituelles se sont enrichies du fléau du terrorisme, qui ensanglante la terre par des tueries barbares et aveugles, sous le regard parfois désarmé des forces de sécurité. Outre le SIDA et les cancers, les fièvres hémorragiques à virus Ebola ou Lassa ont montré les failles de notre système sanitaire et ont, une fois encore, remis en cause les théories et les hypothèses de nos braves chercheurs.
Le schéma le plus inquiétant est qu’aujourd’hui les pouvoirs politiques, les puissances d’argent et les autres groupes de pression ont envahi le champ de la liberté de la presse, où ils déploient massivement leur arsenal liberticide, donnant ainsi du crédit à l’image du journaliste français, Edwy Plénel, qui pense que : « Les médias sont comme de petits poissons face à de gros requins dans une mer polluée »
Et, donc, face à ces nouveaux défis de notre temps, qui tendent à élargir les marges des privilégiés pour restreindre celles de la majorité silencieuse, victime des injustices sociales, on devrait s’attendre à voir le « chien » modifier sa manière de monter la garde. Mais, à quoi assistons-nous plutôt ? Il suffit de prêter une oreille attentive aux inquiétudes persistantes du citoyen pour y découvrir notre nouvelle image. Le citoyen s’inquiète de voir de plus en plus des journalistes peu ou mal formés, une presse corrompue, manipulée, qui entretient la morosité intellectuelle et qui a tourné le dos à l’intérêt public, au profit de l’image et du bon vouloir des plus forts. 



 Le chien de garde est désormais le chien de compagnie

Face aux nouveaux défis du monde et, devant la qualité peu satisfaisante de la prestation de la grande partie de la presse, on est parfois tenté de croire que les acteurs des médias ont oublié leur mandat de chien public de garde. Les plus gros requins semblent avoir avalé les petits poissons censés porter la voix des sans-voix. Lorsque le salaire existe et qu’il est régulier dans la vie des journalistes, plus de 80 % d’entre eux reçoivent 40.000 et 120.000 F CFA, avec le coût de la vie qui ne cesse de croître à la vitesse de la lumière. Il est évident qu’avec cette précarité du niveau de vie, le journaliste est fortement exposé aux chocs externes de l’environnement pollué, soigneusement préparé pour appâter sa liberté, son indépendance et pour mettre ainsi en déroute son honnêteté, sa crédibilité et son éthique. Mais, on ne peut traiter la question de la rémunération des acteurs de la presse sans passer au scanner le profil de l’entreprise de presse au Bénin et dans la  sous-région.
Il faut dire que nous avons assisté, ces dernières années, à une prolifération presqu’anarchique des titres de journaux, qui prennent le statut d’entreprise  de presse sans en être véritablement une. La plupart sont des boîtes monoparentales, sans une vision ni une structure entrepreneuriale  digne du nom,  créées, le plus souvent, pour donner corps aux relations incestueuses occasionnelles entre la presse et les puissances d’argent, entre les hommes politiques, le pouvoir en place et ses tentacules dans l’appareil administratif, notamment, les entreprises et les offices d’Etat. Ces journaux,  qui deviennent des espaces d’influence et de propagande des intérêts particuliers, font la pluie et le mauvais temps, généralement, l’instant d’une élection, foulant au pied les règles basiques de l’éthique et de la déontologie du métier qu’ils sont censés exercer, en pleine conscience. Ils s’abreuvent à la source des insultes, des calomnies, de la diffamation et propagent, dans un langage peu soigné, les rumeurs les plus folles, pour réussir leur « mission ». Avec un marché peu structuré de la publicité, étriqué et fortement teinté de clientélisme, il faut quand même bien survivre, après la manne électorale. L’instinct de survie ayant peu d’égard pour les règles d’éthique et de déontologie, c’est ainsi que la presse, dans sa grande majorité, se trouve piégée dans une servitude douillette qui l’oblige à privilégier l’intérêt particulier au détriment de l’intérêt public. Nous sommes désormais plus sensibles à l’image de l’autorité locale ou étatique qu’au gain réel que tirent les populations d’une action publique. Nous choisissons, pour le pouvoir en place, ses opposants et les ennemis d’Etat, et  nous mettons en exergue les anges patriotes. Mieux, nous recrutons aussi, de force, dans les colonnes de nos journaux et sur nos ondes, plus de militants pour certains mouvements politiques, et déclarons la déchéance d’autres partis politiques, pourtant bien ancrés sur le terrain.
C’est faire preuve d’humilité que de reconnaître que la presse est, aujourd’hui, de loin,perçue comme ce chien de garde qui place l’intérêt public au fronton de son mandat. Elle est plutôt vue par le public comme étant au cœur d’une sorte de connivence qui frise la traîtrise, vu qu’elle est désormais championne dans l’art de prêcher le faux pour le vrai.



« On ne saurait espérer d’un tigre qu’il devienne végétarien en lui jetant chaque matin un morceau de viande »

S’il est facile de dire que la presse, avec raison d’ailleurs, ne joue pas assez son rôle de chien de garde, il est tout aussi paradoxal de constater avec quelle hypocrisie intellectuelle nos autorités, les acteurs de la société civile et l’opinion publique viennent faire le procès de la presse sans chercher à définir les sources, les mobiles et les responsabilités collective et individuelle de chacun. Il est évident que la précarité financière, normative, réglementaire  dans laquelle végète la presse, aujourd’hui, est une condition nécessaire et une occasion propice à l’accaparement de sa liberté et de son indépendance. On n’a pas besoin de l’intelligence d’Archimède pour  comprendre qu’une presse bien formée, réglementée suivant des normes et des principes précis et jouissant d’une indépendance financière pourra  échapper aux griffes des manipulateurs. L’état comateux et cahoteux de la presse est encore le seul gage d’assurance pour ceux et celles qui tiennent à « prostituer » son indépendance contre des espèces sonnantes de contrebande.
La méthode est connue que, dans le désert aride où il fait une chaleur d’enfer,  par divers jeux de réseaux et d’amitiés, on arrive à se positionner sous les quelques rares robinets d’eau fraîche (source politique, publique ou privée) et, gare à celui ou à celle qui osera se montrer critique envers le distributeur exclusif ! S’il est habile, il pourra s’insérer à la source d’un robinet concurrent et appliquer le principe du caméléon. S’il rate l’insertion, la survie de son espèce est menacée, car point de vie dans un désert sans coin d’eau. Ainsi, à quelques exceptions près, la presse vit dans les liens de ses bailleurs et peine à exercer son mandat.



Le financement public comme issue de secours

La presse étant l’un des baromètres précieux de la santé démocratique d’un pays, sa liberté et son indépendance doivent être garanties par l’Etat soucieux de renforcer les balises des libertés publiques. Aujourd’hui, l’information, et non la rumeur orchestrée, est reconnue d’utilité publique, car elle est un outil de bonne gouvernance des affaires publiques et des citoyens. Ainsi, on ne devrait plus chercher à donner un caractère marchand à l’information publique si nous voulons maintenir sa crédibilité et sa neutralité. Si les entreprises de presse sont soumises aux mêmes obligations fiscales que celles qui vendent du poisson ou des produits de quincaillerie, il n’y a pas de raison que l’entrepreneur de presse se mette dans une logique de gain et de profit. Il est donc urgent d’adapter un régime fiscal spécial à l’entreprise de presse. Le ’’chien de garde’’ reprendra son mandat si, l’Etat, de complicité avec les acteurs, peut mettre en place un système de financement de la presse, assorti de conditions rigoureuses devant garantir des situations satisfaisantes de vie et de travail au journaliste, au sein de sa rédaction.
Le modèle actuel et peu valorisant de l’aide de l’Etat à la presse privée n’est qu’un nid de controverses et de frustrations, et ne peut produire que des îlots de résultats précaires. Le Fonds de la Presse devra être créé pour galvaniser les efforts de ceux d’entre nous qui font dos à la médiocrité ambiante et qui présentent des modèles économiques innovants et durables. Il faudra encourager les structures de formation,présentes sur le terrain, à professionnaliser davantage l’offre de formation,afin de leur permettre de mettre sur le marché des « soldats »  bien équipés et non des aspirants au métier de la presse.



Gérard Guèdègbé, Expert Formateur-Médias

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