Selon une enquête sur la vie de nos forces de
sécurité
(Il faut à tout prix redorer le blason de cette institution, pour éviter une implosion catastrophique pour le Bénin)
Parmi les institutions
capitales qui travaillent à l’assurance de la sécurité des personnes et des
biens, il faut évoquer la police nationale. Voilà une mission sensible et
capitale qui contraste avec l’image que cette corporation reflète auprès des Béninois.
Quelques recherches montrent qu’elle est minée de l’intérieur par un malaise
profond qui la menace d’une implosion terrible et gravement délétère aux
conséquences incalculable pour la nation. Entrée dans l’univers d’une
institution dont les conditions de vie et de travail affaiblissent l’influence
de ses membres et contribuent à faire d’elle une institution à la traîne,
malgré tout le prestige et l’influence qu’elle suggère, de l’extérieur …
Sacca lafia, Minstre béninois de l'Intérieur et de la sécurité publique |
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2015-20 : une Loi à désillusions
Le 2 avril 2015, date
historique d’une institution clé de la République, à l’Assemblée
nationale : les Députés de la 6ème législature viennent de
procéder au vote de la Loi n° 2015-20 portant Statut spécial des personnels des
forces de sécurité publique et assimilées. C’est la totale jubilation dans le
rang des fonctionnaires de la police, de la douane et de ceux des eaux, forêts
et chasse ; ils ne parviennent pas à contenir leur profonde joie et leur
inédit épanouissement ; l’espoir est maintenant permis que leurs
conditions de vie et de travail s’améliorent, ce qui leur permettrait de
s’épanouir dans leur fonction. Quelques mois plus tard, le 16 juin de la même année, deux autres bonnes
nouvelles : la Cour constitutionnelle déclarait cette Loi conforme à la
Constitution du 11 décembre 1990 et, trois jours après, c’est le Chef de l’Etat
de l’époque, le Docteur Boni Yayi, qui procédait à la promulgation de la Loi
concernée. C’est ainsi qu’elle est devenue la Loi n° 2015-20 du 19 juin 2015.
Et, il faut attendre jusque dans les premiers mois de l’année 2016 pour voir 29
décrets d’application, signés par rapport à cette Loi.
Mais, comme si le
mauvais avait décidé de s’acharner contre ces types de fonctionnaires et,
notamment, contre les policiers, le Conseil des Ministres du mercredi 13 avril
2016, le premier du pouvoir de la Rupture et du Nouveau départ, décidait de
procéder à l’abrogation de 19 des 29 décrets d’application, signés par le
régime défunt de Boni Yayi, la majorité de ces textes supprimés se rapportant,
notamment, à l’amélioration des conditions salariales des forces de sécurité
publique et assimilées. Ces décrets sont les suivants :
1- Décret
d’application de la loi 2015-20 du 19 juin 2015 portant statut spécial des
personnels des forces de sécurité publiques et assimilées notamment :
2- Décret
n°2016-127 du 5 avril 2016 portant règlement des habillements et des attributs
du personnel des Douanes ;
3- Décret
n°2016-128 du 5 avril 2016 portant statuts particuliers des Corps et Personnels
de l’Administration des Douanes et Droits Indirects ;
4- Décret
n°2016-129 du 5 avril 2016 portant règlement de service de l’Administration des
Douanes ;
5- Décret
n°2016-130 du 5 avril 2016 portant règlement de service à la Police
Nationale ;
6- Décret
n°2016-131 du 5 avril 2016 portant allocation d’indemnités aux fonctionnaires
de police recrutés spécialistes ;
7- Décret
n°2016-132 du 5 avril 2016 portant allocation d’indemnités et avantages aux
fonctionnaires de police affectés dans les offices, unités, services et
brigades spécialisés ;
8- Décret
n°2016-133 du 5 avril 2016 portant avantages spécifiques alloués aux personnels
de santé de la police nationale ;
9- Décret
n°2016-134 du 5 avril 2016 portant création, attributions, organisation et
fonctionnement de la compagnie de musique à la police nationale + primes ;
10- Décret
n°2016-135 du 5 avril 2016 portant création, attribution, organisation et
fonctionnement de la Direction du service de santé de la police
nationale ;
11- Décret
n°2016-136 du 5 avril 2016 portant création, attribution et fonctionnement des
unités spécialisées à la police nationale ;
12- Décret
n°2016-138 du 5 avril 2016 portant allocation d’indemnités forfaitaires aux
autorités de la police nationale et à leurs collaborateurs immédiats ;
13- Décret
n°2016-139 du 5 avril 2016 portant attributions de primes de qualifications aux
fonctionnaires de la police nationale titulaire du diplôme du brevet
professionnel ;
14- Décret
n°2016-140 du 5 avril 2016 fixant les émoluments et avantages accordés aux
officiers généraux des forces de sécurité publique et assimilées ;
15- Décret
n°2016-141 du 5 avril 2016 portant attributions des indemnités de logement aux
personnels de forces de sécurité publique et assimilées ;
16- Décret
n°2016-142 du 5 avril 2016 fixant une indemnité de sujétions particulières aux
personnels des forces de sécurité publique et assimilées ;
17- Décret
n°2016-143 du 5 avril 2016 fixant les modalités de prise en charge des frais
d’obsèques des personnels des forces de sécurité publique et assimilées, de
leur conjoint et de leurs enfants ;
18- Décret n°2016-144
du 5 avril 2016 portant attribution de primes de premières installations aux
personnels des forces de sécurité publique et assimilées ;
19- Décret
n°2016-145 du 5 avril 2016 portant attributions de primes de risque aux
personnels des forces de sécurité publique et assimilés.
Depuis l’intervention de cette série
d’abrogations, les personnels des forces de sécurité publique et assimilées
sont frappés par une démotivation des plus fortes, en attendant que des
conditions réglementaires meilleures viennent faire renaître à leur niveau
l’espoir d’obtenir de meilleures conditions de vie et de travail.
En réalité, la Loi n°
2015-20 du 19 juin 2015 comporte 38 pages répartis en 243 articles ; elle
a été signée par l’ex-Chef de l’Etat, Boni Yayi, et par plusieurs autres des
membres de son Gouvernement, à cette époque : Lionel Zinsou, le Premier
ministre chargé du Développement économique, de l’évaluation des politiques
publiques et de la promotion de la bonne gouvernance, François Abiola, le
Vice-Premier ministre chargé de l’Enseignement supérieur et de la recherche
scientifique, Komi Koutché, le Ministre d’Etat chargé de l’Economie, des
finances et des programmes de dénationalisation, Martine Evelyne A. da
Silva-Ahouanto, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, de la législation et
des droits de l’homme, Théophile Worou, Ministre de l’Environnement, chargé de
la Gestion des changements climatiques, du reboisement et de la protection des
ressources naturelles et forestières, Aboubakar Yaya, Ministre du Travail, de
la fonction publique, de la réforme administrative et institutionnelle, et,
enfin, Placide Azandé, Ministre de l’Intérieur, de la sécurité publique et des
cultes.
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Du rêve au désenchantement
Le défilé du 1er
août : une occasion hors pair pour les forces de sécurité et assimilées,
d’une part, et pour les forces de défense, d’autre part, d’arborer le bel
uniforme des grands jours pour accomplir un défilé magistral et prestigieux,
que les populations n’aiment jamais se faire conter, tant cela est
démultiplicateur d’un sens patriotique qui atteint son point culminant lorsque
des chants guerriers, portés à même la voix gutturale des défilants, inondent
l’atmosphère et les oreilles et rappellent, tous les Béninois, tous points de
différence confondus, à défendre leur patrie. Au-delà des frissons que cette
ambiance musicale déclenche de même que de la chair de poule qu’elle provoque,
elle fait naître des vocations. Ainsi est le cas de Narcisse, un jeune policier
rencontré dans l’une des villes du Bénin et que nous nommons par un prénom
d’emprunt, vu les menaces pouvant peser sur sa carrière : « Les
policiers, dans leur uniforme bleu brillant, sur la voie du défilé,
m’émerveillaient, cela m’a poussé à décider d’entrer dans la police que je
croyais un corps de hautes et bonnes conditions de vie ». Hervé, son
collègue, d’une autre localité du Bénin, fait la même révélation, taxant le
défilé comme un système fabricateur de la vocation policière. Loin de ces
précédents, Angelo, du nom d’emprunt d’un policier qui a bien voulu se confier
à nous, sous anonymat, révèle les conditions peu vocationnelles de son entrée
dans la corporation policière : « Je n’aimais pas particulièrement la
police, mais comme j’ai mis enceinte la fille d’un commissaire de police et que
je n’avais aucun métier, le père de mon amie a joué de ses relations pour que
j’entre dans ce métier afin que je gagne quelque chose pour nourrir ma petite
famille, ce qui fut fait ». Mais, à la différence de son prédécesseur de
Narcisse, la désillusion d’Hervé se teinte d’une sentence plus qu’amère :
« Je ne souhaiterai jamais que mon enfant entre dans la police ».
Rien de moins que les conditions de travail pour entretenir ce
désenchantement : « Cela fait ma cinquième année dans la police et,
tout va de mal en pire », affirme Narcisse, désespéré. Et, selon lui, le
régime de la Rupture n’est pas venu pour arranger les choses : « Après
avoir fragilisé la Loi Yayi, le régime Talon a fait enlever tous les groupes de
sécurité sur toute l’étendue du territoire national, c’est
horrible ! Il est venu pour marquer négativement la police ». Et,
selon lui, la raison de ce probable acharnement du Chef de l’Etat sur la police
n’est pas à aller chercher trop loin : « C’est une manière pour le
Président de régler son compte à la police pour l’avoir arrêté, au temps du
régime défunt, et pour l’avoir rendu victime de nombreuses tracasseries, à
cause des affaires de tentative d’empoisonnement et de coup d’Etat ; on a
vu tout ce que l’ancien Dgpn Houndégnon (Directeur général de la police
nationale, Ndlr) avait fait, à cette époque, avec les produits
radioactifs », suggère Hervé, de son côté, qui, lui, avait quitté la
police municipale, croyant améliorer ses conditions dans celle nationale. Le
comble de l’humiliation des policiers, pour Narcisse : « Le
Gouvernement a instauré un numéro vert contre nous, ce qui nous dégrade
complètement ; on aurait pu prendre des mesures, à l’interne, pour
sanctionner et ramener à l’ordre les fautifs. Aujourd’hui, c’est juste notre
uniforme qui nous donne encore une valeur dans la police, sinon, c’est le
calvaire à tous les points de vue », ajoutera Simplice, posté, de nuit, à
l’un des carrefours de la ville de Cotonou. « Le numéro vert »,
continue-t-il, « donne le pouvoir aux populations de nous manquer de
respect, surtout que les gens sont aussi autorisés à nous filmer »,
conclue-t-il.
- La pauvreté au quotidien
Les conditions de vie
et de travail des policiers ne sont pas des plus reluisantes. Pour Narcisse, après
5 ans de service dans la police, son salaire est de 84 mille francs Cfa, toutes
primes comprises. Marié et père d’un enfant, il s’est vu dans l’obligation de
contracter un prêt en banque pour réussir à acheter un terrain : « Si
tu es policier et que tu n’es pas en service à une frontière, ou que tu ne fais
pas un prêt en banque, tu ne peux pas acheter une parcelle ; mon prêt me
pompe près de 30 mille tous les mois et je dois me débrouiller avec le reste
pour faire face à mes charges, on essaie de jongler … ». De son côté, un
brin de nostalgie dans les yeux, Hervé ne peut manquer d’exprimer son désarroi
social : « Au temps du Président Yayi, tous les trimestres, les
policiers percevaient 18% de leur salaire, en guise de prime, par trimestre, et
100 mille francs, par semestre, ce qui n’est plus le cas, sous le nouveau
régime qui veut fusionner la gendarmerie et la police, on ne sait à quel saint
se vouer », finit-il. « Il est inquiétant de voir que dans la
police, les simples agents ne puissent aller dans les missions de l’Onu, ce qui
pouvait permettre d’améliorer leurs conditions financières, ce qui n’est pas le
cas chez les militaires où même les soldats de deuxième classe vont en
mission », se plaint-il, sans s’interrompre : « Chez nous, il
faut attendre au moins une quinzaine d’années de service, tout en étant
brigadier, inspecteur ou commissaire », ne manque-t-il pas d’appuyer. En
outre, Alban, assis sur une moto, à un autre des carrefours de Cotonou, finit
par nous confier, après moult refus : « Dans leur travail, les
policiers utilisent leur propre engin, et ils ne bénéficient pas de frais de
carburation. Aussi, les principes liés au temps de repos ne sont pas respectés
et, un policier peut voir sa journée de repos coupée n’importe quand pour une
urgence avec le regret que les primes de mission, qui nous reviennent ne sont
pas souvent réglées parce que détournées par la hiérarchie, sans que les brimés
puissent s’en plaindre de peur de faire face à des représailles, à
l’interne : il est difficile d’être policier au Bénin, c’est un métier
rempli d’injustices et, il est impossible de revendiquer ses droits, la
police béninoise couve beaucoup de frustrations », finit-il, lassé de notre
insistance à lui faire nous parler. « Ce sont les patrons qui se taillent la
part du lion, surtout en matière de garde des espaces économiques, alors que ce
sont les policiers qui restent sur le terrain, risquant en permanence leur vie,
harcelé de toutes parts par les moustiques et les intempéries ! Comment, dans
des conditions aussi difficiles économiquement, nous pouvons livrer notre
poitrine aux malfrats ? Certains, devant des situations, préfèrent ainsi
rester sur place ». Et, à notre grande surprise, il laisse échapper une
révélation de taille : « En fait, pour affronter la grande
criminalité, tous les policiers ne sont pas formés au même niveau ; c’est
le cas de ceux qui sont entrés dans le corps par affaire et à qui l’on a fait
fuir les formations. Ainsi, ils sont impuissants devant les malfrats lourdement
armés : beaucoup de policiers ne sont pas à la place qu’il faut, c’est eux
qui fuient devant les criminels armés jusqu’aux dents ».
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Les commissaires, maîtres des îlots
Face aux policiers à la
base, il faut trouver les policiers gradés qui sont indexés comme ceux qui bénéficient
d’un nombre impressionnant d’avantages financiers, ce qui fait qu’ils sont plus
à l’aise que les subalternes, les îlots étant une de leur source de revenus.
Narcisse en parle : « Les îlots sont les bâtiments d’institutions
financières ou du même genre, que nous devons garder, surtout de nuit ;
les commissaires sur le territoire de qui se trouvent ces îlots reçoivent une
bonne rémunération de la part de ces institutions, mais savez-vous qu’ils ne
pensent pas souvent à nous qui sommes restés sur le terrain, face à la pluie,
au soleil et aux moustiques ? Quand on nous voit en uniforme, on imagine
que nous sommes à l’aise ; si l’on ne vous étale pas ce que nous vivons,
vous ne pouvez jamais vous rendre compte de la souffrance des policiers »,
finit-il, très amer. Angelo, de son côté, a un autre son de témoignage :
« Parfois, les responsables de ces institutions financières nous croyant
bien rémunérés par notre commissaire, s’arrogent des droits sur nous, et nous
rejetons cela, c’est une situation qui crée des conflits ouverts sur les sites
de garde ».
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Au cœur de l’interventionnisme
Un autre mal frappant
notre police et qu’il nous est arrivé de découvrir, au cours de nos recherches,
est l’interventionnisme, le fait pour un policier ayant arrêté le véhicule d’un
usager, pour une infraction, voit intervenir un collègue de même rang ou un gradé,
pour lui demander de libérer le véhicule et les pièces : « Cela
dégrade notre corporation », affirme Hervé « et, nous nous retrouvons
exposés aux populations, surtout quand c’est un haut gradé qui crie au
téléphone devant l’interpellé, l’autorité du policier est ainsi bafouée, nous
n’avons alors plus de personnalité devant les usagers, nous sommes
fragilisés ». Face à cette situation, Narcisse tire de grandes conclusions :
« Notre mal est en notre propre sein ».
Analyse : Les
révélations faites par quelques policiers qui ont bien voulu nous aider dans
notre investigation montrent le malaise qui couve dans la police nationale. Il
serait souhaitable que le régime du Nouveau départ insiste dans le sens des
mesures prises, actuellement, visant à améliorer de manière remarquable les
conditions professionnelles et sociales des policiers de notre pays. Il y va
d’une assurance véritable de la sécurité des populations béninoises.
Réalisation : La
Rédaction du Journal Le Mutateur
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