Dans une interview
exclusive accordée à notre Rédaction
Cinquantenaire
tout neuf, ce mercredi 20 septembre 2017, Claude Kokou Balogoun fête son
anniversaire. Membre élu, en juin 2014, comme représentant des artistes et des
acteurs culturels au Conseil économique et social (Ces), à une majorité
écrasante de 538 voix favorables pour 13 abstentions, cette personnalité a bien
voulu nous accorder une interview exclusive sur les voies et moyens efficaces
pour faire vivre à nouveau les arts et la culture du Bénin, ce que Claude Kokou
Balogoun capitalise en un concept très simple qu’il a sorti des tréfonds
de son esprit créatif : le Fonds de démarrage. Comme l’on le conçoit, dans les
cultures africaines, c’est à partir de 45 ans que l’homme a le droit à la
parole et, avec 50, il a voix au chapitre, puisqu’il est désormais considéré
comme un sage.
Donc,
sage tout frais, constitue une voix autorisée pour débattre des questions
culturelles de son pays, le Conseiller Claude Kokou Balogoun, artiste, acteur
culturel, unique figure des artistes et des acteurs culturels au Ces, Président-Directeur
général de la Société ’’Gangan Productions’’ aux prestations audiovisuelles lui
ayant permis d’avoir la maîtrise des réalités du fonctionnement du domaine
artistique et culturel, d’y détenir une réelle influence.
C’est
ainsi qu’il faudrait le suivre, dans cet entretien consistant, inédit, nous parler,
après un bien rigoureux déblayage du milieu, de son idée de résurrection du
secteur culturel : le Fonds de démarrage.
Claude Kokou Balogoun, membre élu du Conseil économique et social (Ces) du Bénin |
Journal
’’Le Mutateur’’ :
Bonjour Claude Balogoun. Représentant des artistes et des acteurs culturels au
Conseil économique et social (Ces), élu depuis le 27 juin 2014, et Consultant
en Industries culturelles en Afrique, vous avez voix au chapitre pour évoquer
des réflexions sur le fonctionnement au Bénin du secteur des Arts et de la
culture. Ainsi, depuis quelques jours, vos interventions sur les médias portent
sur les répercussions positives de la culture sur le décollage économique d’un
pays africain comme le Bénin. Qu’en est-il exactement ?
Claude
Balogoun :
Mes sorties médiatiques se justifient par le fait que le milieu culturel
connaît une crise, une crise qui se manifeste par le blocage des activités
culturelles, d’une manière générale. C’est une crise qui se justifie par
l’immobilisme dans lequel le milieu culturel végète. Une crise qui est,
d’abord, institutionnelle et, puis, conjoncturelle, une crise qui aurait pu
être jugulée très rapidement par les autorités en charge de la Culture mais,
une crise qui perdure.
En tant que
représentant des artistes et des acteurs culturels au Conseil économique et
social (Ces), l’un des postes électifs importants dans le milieu culturel, j’ai
le devoir de mener des réflexions sur la situation, d’opérer des choix à ce
sujet et de faire des propositions. Ce devoir me pousse à faire des sorties, et
à participer à un certain nombre d’émissions radiophoniques et télévisées.
D’abord, mes
interventions doivent souvent se situer dans le cadre du poste officiel que
j’occupe ; je suis représentant des artistes et des acteurs culturels au
Ces, donc, membre d’une institution de la République, prévue par la Constitution
et qui gère les artistes. Et, quel qu’en soit le Gouvernement, l’Etat demeure
l’Etat. On ne peut pas, étant à ce niveau de responsabilités, au sein de
l’appareil étatique, s’adonner à des exercices de critiques à l’emporte-pièce.
C’est pour cela que j’ai attendu de faire quelques recherches, avant de me
prononcer.
L’une de mes recherches
s’est fondée sur la promesse du Candidat Talon, pendant qu’il était candidat à
la présidence de la République. Onze points étaient prévus dans le projet de
société qu’il a présenté à la population.
Ma recherche a ensuite
été orientée vers le Programme d’actions du Gouvernement (Pag), d’une part,
pour y voir ce qui était prévu pour les artistes et les acteurs culturels et,
d’autre part, vers le Budget général de l’Etat. Vous n’êtes pas sans savoir que
le Ces reçoit le Budget de l’Etat, l’étudie et en donne son avis, chaque année.
Donc, j’ai vu ce qui y était prévu ; nous avons donné notre opinion, d’une
manière générale, au Ces.
Mes recherches sont
enfin allées au fond de la crise qui mine le secteur culturel, pour me rendre
compte - comme beaucoup d’autres personnes - que le débat se cristallise d’abord
sur le Fonds d’aide la culture (Fac) et, ensuite, sur le blocage des élections
au niveau des membres du Conseil d’administration de cette institution, surtout
que le Fac constitue le seul Fonds vers lequel la majorité des artistes et des
acteurs culturels se tournent, chaque année. C’est ce Fonds qui constitue à la
fois un élément de réduction de la pauvreté dans le milieu culturel, et un
élément de productivité de ce secteur.
Voilà que ce Fonds
connaît une crise institutionnelle et que cette crise est venue s’opposer au
désir de l’actuel Gouvernement de changer de fusil d’épaule et de proposer
d’autres options de gestion de ce Fonds. A ce
niveau, certains acteurs culturels se préoccupent peu de ce qu’il y ait crise
ou pas. D’autres critiquent royalement le manque de déblocage de la
crise ; ils sont au front et dénoncent vertement le manque de stratégie
pour une sortie rapide de crise. Dans le même temps, d’autres souhaiteraient
que la dette qui est laissée en rade - les reliquats des activités culturelles
de 2016, impayés - soit remboursée.
Dans cette ambiance, le
Gouvernement actuel a engagé une série de réformes, mais ces réformes mettent
du temps à produire des résultats parce que, malheureusement, l’équipe en place
a adopté une procédure qui se base énormément sur les audits. Cette option, qui
a pour soubassement les informations qui circulent sur les réseaux sociaux,
n’arrange pas vraiment les choses, n’arrange pas la mise en place des réformes
alors que les acteurs culturels - dont je fais partie - attendent le déblocage
de la crise pour continuer à travailler.
Au vu de tous ces
éléments d’appréciation, est-ce qu’un Conseiller de la République, étant
l’unique du secteur, devrait continuer à garder le silence ? Garder le
silence pousse les gens à me prêter des intentions et à m’acculer d’accusations
non fondées, pour la plupart d’entre elles. Je n’ai pas la paix, là-dessus.
Parler aussi, c’est, comme l’on le dit, en fon, faire une prière sur l’autel
des ancêtres, au village ; si l’on ne traite pas avec les représentations
de ces ancêtres, directement, il faudra avoir affaire aux prêtresses servant de
courroie de transmission vers eux. Donc, je ne suis pas à gauche ni à droite.
Toutes les
considérations que je vous ai exposées, je les ai mises ensemble pour faire mon
analyse ; le diagnostic m’a poussé à trouver que, c’est parce qu’à notre
niveau, nous, acteurs culturels, la pauvreté et la paupérisation, sont notre
lot quotidien, que c’est parce que nous manquons de travail, que c’est parce
qu’il y a le manque d’un système qui devrait mettre tout le monde au travail. Evidemment, ma réflexion a été aussi poussée par mon
statut d’entrepreneur culturel, spécialiste des Industries culturelles, ayant
fait un Master sur ce sujet et possédant une vue globale sur tout ce qui se
passe.
Toutes ces données
m’ont nourri pour me pousser à réfléchir en adoptant une démarche scientifique
et non partisane, ce qui me met au-dessus ceux qui sont pour ou contre les
réformes.
L’un des problèmes
ayant été soulevé, lorsque je faisais mon Master en 2010, était celui du manque
de financement, qui avait trouvé un début de solution à travers le Fonds d’aide
à la culture. Maintenant qu’il y a une crise, le problème se pose à nouveau.
Et, la solution à cela est celle que je voudrais proposer au Gouvernement, à
travers mes sorties. Celles-ci ne relèvent pas d’un mandat du Ces ni des
artistes ni du Cabinet du Ministère la Culture, dont je ne suis même pas
proche. C’est une démarche personnelle, en tant que représentant des artistes
et des acteurs culturels, en tant qu’artiste créateur travaillant dans ce
système, en tant que Directeur d’une entreprise culturelle, connaissant le flux
économique que celle-ci pratique et le nombre d’acteurs culturels qui viennent
travailler pour elle. Et, je me dis que si ce petit exemple s’étale sur tout le
pays, les acteurs culturels auront plus de travail, donc, plus d’argent. En
conséquence, ils seront plus autonomes.
Les
Arts et la culture peuvent-ils développer économiquement le Bénin ou est-ce
l’inverse ?
Les deux se tiennent.
Autant les arts et la culture développent l’économie, autant l’économie finance
les arts et la culture : quelle activité pouvez-vous faire, d’une manière
industrielle, sans avoir besoin de financements ? Cela n’existe pas. Si
l’Etat béninois essaie d’investir dans le coton pour gagner de l’argent par le
coton, on devra comprendre que lorsqu’on travaille réellement à investir dans
quelque chose, c’est pour en tirer un bénéfice.
De plus en plus, dans
tous les pays du monde, nous sommes à l’ère de ce qu’on appelle l’économie
culturelle. Elle voudra, pour résumer, d’une manière empirique, que tous les
produits culturels soient vendus pour générer des revenus. Lorsqu’on est dans
une dynamique d’économie culturelle, on devrait comprendre en quoi la culture
peut contribuer au développement d’un pays. Le Nigeria est devenu la première
puissance économique de l’Afrique, depuis bientôt cinq, six ans, avec la
contribution de ce qu’on appelle le ’’Nollywood’’. Qu’est-ce que c’est ? Le
’’Nollywood’’ est un système de production de films, ce qui suppose la culture.
Ce n’est pas le pétrole qui a fait du Nigeria la première puissance ;
c’est plutôt son art. Dans plusieurs autres pays, en Algérie, en Tunisie, la
culture et le tourisme sont deux secteurs qui rapportent énormément de devises.
Il est reconnu sur le plan mondial qu’il y a trois disciplines qui contribuent
efficacement à la réduction du chômage, à la création de l’emploi et de la
richesse : la culture, le tourisme et le sport. Des fois, dans certains
pays, la culture passe en avant par rapport au sport. Dans la plupart des pays,
d’ailleurs. Par exemple, avec une bonne organisation de l’industrie
cinématographique, acheter un ticket pour suivre un film devient un acte
simple, et ce sont des devises qui sont enregistrées. Un dernier exemple :
les Etats-Unis d’Amérique. Les Etats Unis d’Amérique ne disposent pas d’un
Ministère de la Culture ; la culture appartient aux privés, mais apportent
énormément au Pib, à travers les films, la musique, la mode et par une kyrielle
d’activités qui font vendre la culture américaine et les stars américaines.
Donc, ce n’est même plus une question à se poser, juste qu’il faut bien
organiser et bien structurer, pour que ce qui est investi donne des retombées
après, dans le moyen et le long terme.
Selon
vous, qu’est-ce qu’une économie culturelle ?
L’économie culturelle,
expliqué dans un langage simple, c’est de créer une œuvre culturelle, de la
proposer au public contre un paiement, de manière à ce que ce qui est investi
soit rentabilisé, de façon à ce que ce qui est gagné, à la fin, dépasse
largement et, suffisamment, ce qui est investi, pour faire du profit. Et, cette
économie culturelle est entre les mains de ce qu’on appelle les entreprises
culturelles qui sont des structures, dans tous les pays du monde, légalement
constituées et qui se comportent comme des entreprises de Btp (Bâtiments et
travaux publics, Ndlr) ou comme des entreprises de vente de tomates, entre
autres.
Ces entreprises
culturelles identifient un artiste ou une œuvre artistique, et vont chercher le
public pour la consommation de cette œuvre-là ; elles apportent l’œuvre
vers le public qu’elles font payer pour consommer l’œuvre et pour réaliser des
profits sur elle. Ces profits permettent de payer l’artiste créateur de cette
œuvre, permettent de payer l’équipe qui tourne autour de l’artiste, permettent
de payer les travailleurs qui exercent dans l’entreprise en tant que
fonctionnaires et permettent de payer des impôts et des taxes à l’Etat, contribuant
ainsi, directement, au Pib.
Si nous prenons, par
exemple, la discipline de la musique, l’œuvre dont je parle est comme une
chanson qui est sortie. Celle-ci peut être exploitée de plusieurs manières.
D’abord, en tant qu’œuvre sur un support comme la clé Usb, la clé internet ou
le Cd, ce qui doit générer des entrées, parce que le Cd vendu peut l’être à
cinq mille francs, par exemple, alors que sa fabrication coûterait environ
mille cinq cent francs Cfa. Et, tous les intermédiaires, pour le vendre et le
revendre, y disposent d’une marge raisonnable.
Ce produit, la chanson
qui est créée, peut aussi être exploité par l’artiste en spectacle sur
scène ; c’est une autre façon de vendre l’œuvre : celui qui paie son
ticket, pour aller en salle, regarde l’artiste prester et chanter cette
œuvre-là, sur scène et, le ticket payé génère des ressources qui permettent de
payer tout ce qu’il y a comme ingénierie autour, notamment. Ceci devrait se
réaliser dans toutes les disciplines et dans tous les divers métiers qu’il y a
au niveau des Arts et de la culture.
Donc, l’économie
culturelle, c’est un système choisi ou accepté par un pays pour lui permettre
de faire des entrées de devises, d’abord, pour sa caisse, ensuite, pour celle
des entreprises qui y travaillent et, enfin, des devises pour les artistes
créateurs concernés, le tout, d’une manière officielle. Ceci n’a rien à voir
avec les festivals, les activités culturelles à but non lucratif ni avec celles
des Ong et des associations, entre autres. Même les activités des Ong,
notamment, sont financées et, les prestations effectuées sur ces différents
festivals sont payées. Comment ? D’une manière officielle.
L’économie culturelle
est aussi une école de pensée ; il y en a qui sont contre, il y en a qui
sont pour. Principalement, il y a les défenseurs du ’’Toute culture gratuite’’
selon qui tout ce qui est culturel ne produit pas de profit. Néanmoins, ceux
qui le disent et le pratiquent tirent profit de leurs activités culturelles
pour s’acheter des moyens de déplacement, des maisons, entre autres, pour vivre
de cela. Donc, si l’on travaille un peu, d’une manière économique, là-dessus,
on peut faire du profit aussi, pour qu’il y ait des paramètres clairs de
quantification, sur l’économie nationale.
Pouvez-vous
récapituler les conditions de l’existence d’une véritable économie culturelle
pour le Bénin ?
Les conditions de
l’économie culturelle sont multiples. D’abord, il faudrait que le cadre
institutionnel et réglementaire existe. Du point de vue institutionnel, l’Etat
béninois a mis à notre disposition un Ministère de la Culture et certaines
directions techniques qui doivent s’occuper de l’économie culturelle.
D’un autre côté, le
cadre réglementaire aussi existe un peu, c’est-à-dire qu’il y a un certain
nombre de textes de loi, qui régentent et régissent le secteur. Au Bénin, nous
avons déjà la Charte culturelle qui a prévu une série de dispositions, mais il
reste des décrets d’application ou des arrêtés à prendre, pour mettre en place
certaines facettes de cette Charte culturelle, afin que l’économie culturelle
puisse exister.
Les conditions, c’est
aussi la structuration du secteur culturel par rapport aux artistes :
comment ils s’organisent ? Ensuite, nous avons la formation des
entrepreneurs culturels ; c’est la création de ce qu’on appelle le tissu
d’ingénierie culturelle, parce que c’est l’ingénierie culturelle qui favorise l’économie
en question. Donc, si le tissu d’ingénierie culturelle est mis en place, chacun
connaît son rôle et son travail et l’accomplit, d’une manière officielle.
La condition pour
l’existence d’une économie culturelle, c’est de travailler d’une manière formelle.
Donc, les acteurs culturels doivent sortir de l’informel et créer des
entreprises, d’une manière claire, pour permettre qu’on voie la traçabilité de
ce qu’ils pratiquent comme activité. Il s’agit aussi de prendre en compte la
formation, je l’ai dit, tantôt. Au bout de la formation, la création artistique
doit être d’un niveau acceptable pour les consommateurs que nous sommes, non
seulement au niveau national mais, aussi, à l’international. Nous avons aussi,
comme condition, une affiliation du tissu économique culturel du Bénin au tissu
économique culturel d’autres pays qui sont plus développés que nous, pour que
les créations que nous faisons au Bénin puissent être exportées vers ces
pays-là, et promues par et pour ce fait.
La condition,
également, c’est une série de dispositions à prendre pour que chacun sache ce
qu’il fait et puisse exercer son art sereinement et officiellement. Il y a
aussi la médiation culturelle à faire pour que le public sache qu’une œuvre est
sortie et qu’elle l’intéresse, qu’il s’y retrouve, de façon à la consommer.
Est-ce
que l’existence d’un Ministère de la Culture n’est pas un frein au
développement d’une entreprise culturelle au Bénin ?
On ne peut pas mettre
la charrue avant les bœufs. Vous savez que nous travaillons beaucoup dans
l’informel au Bénin, qu’il y a des textes de loi qui existent et que nous
faisons exprès de les méconnaître, pour mieux évoluer ; ce n’est pas le
cas dans tous les pays où l’on s’organise mieux. Par exemple, aux Etats-Unis
d’Amérique, la décentralisation de l’action gouvernementale est plus prononcée ;
le système est organisé de sorte que si vous voulez exercer dans un certain domaine,
vous êtes mis au courant des textes de loi, qui le régissent, et le contrôle
régulier et rigoureux a pour conséquence le respect des textes.
Au Bénin, un pays en
voie de développement, nous avons encore besoin d’un Ministère de la Culture,
pour réglementer, cadrer et canaliser l’exercice du métier d’artiste, d’acteur
culturel, mais nous avons surtout besoin que ces instances prennent leur
travail plus au sérieux.
Vous savez qu’à un
moment donné, un distributeur d’œuvres de l’esprit, qui vendait même celles-ci
à trois cent francs, a provoqué l’intervention du Ministre de la Culture
d’alors, le Professeur Soumanou Toléba — puisque c’était lui le Ministre —, qui
a fixé, chez tout le monde, le prix à mille francs et deux mille. S’il n’y
avait pas eu cet arbitrage, peut-être que les prix seraient encore plus bas que
ce qu’ils sont, aujourd’hui.
Donc, on ne peut pas
supprimer le Ministère de la Culture, sous prétexte qu’on va faire l’expérience
des Etats-Unis. Nous devons rester conscients que nous n’avons pas encore le
cadrage institutionnel et le cadrage administratif qu’il faut et que nous
ne respectons pas suffisamment les règles établies.
Vous savez aussi qu’il
y a plein de gens qui exercent un métier qu’ils n’ont pas appris, ils ne
cherchent même pas à s’imprégner de la réglementation du secteur avant de
commencer à l’exercer. Cela étant, il est normal qu’il y ait non seulement des
exactions mais aussi des infractions à des procédures et à des lois. Et, il
revient au Ministère de la Culture, avec ses directions techniques, de ramener
les gens à l’ordre, de recadrer les choses.
Au Bénin,
l’intervention de l’Etat dans la culture est encore importante et prédominante.
On ne peut brutalement renoncer à l’intervention financière de l’Etat dans la
culture et se confier uniquement aux privés ; ce n’est pas possible. Il
faut un cadre institutionnel qui s’occupe de cela, d’où, une fois encore, le
Ministère de la Culture.
Au
cours de vos interventions, ces dernières semaines, sur des chaînes de
télévision, certaines expressions sont souvent revenues : ’’Ingénierie
culturelle’’ et ’’industrie culturelle’’. Comment définissez-vous chacune
d’elles ? Comment chacune d’elles fonctionne-t-elle ?
L’ingénierie culturelle
est le tissu de conception de la culture, d’une manière générale. Pour que
l’économie culturelle soit rentable, il faut des cadres supérieurs pour
concevoir cela ; c’est eux qui sont dans l’ingénierie culturelle. Le
théâtre a ses ingénieurs culturels : un metteur en scène est un cadre
culturel, de même qu’un écrivain d’un certain niveau, un diffuseur de
spectacles, un tourneur de spectacles est un cadre de conception, … Tous
ceux-là doivent pouvoir être formés, discipline par discipline, secteur par
secteur.
Un autre exemple :
la création du matériel de production est confiée aux ingénieurs qui conçoivent
cela. Donc, l’ingénierie culturelle, c’est toute la machinerie, toute la
technicité, toute la conception de gestion, de planification, tout le côté
intellectuel de l’industrie culturelle qui est confié au tissu qu’on appelle le
tissu de l’ingénierie culturelle.
C’est pour dire que,
dans ce système d’ingénierie culturelle, n’importe qui ne peut pas tout faire.
Au Bénin, on en est encore là : chacun se lève, on voit faire, on veut
faire et on fait ; que ce soit bon ou pas, on le fait quand même. Mais, il
y a des ingénieurs qui sont formés pour cela, des spécialistes, des intellectuels,
qui sont formés, spécifiquement pour cela ; celui qui est un spécialiste
du théâtre n’est pas forcément un spécialiste de la musique ni des beaux arts
ni du cinéma. Donc, le tissu de l’ingénierie culturelle doit aussi pouvoir
se mettre en place à travers la formation des personnes et par une formation
supérieure.
L’ingénierie
culturelle, ce sont aussi les sections de l’industrie, qui s’occupent des parts
de prestations dans l’industrie ; il y a la section chargée de la
duplication, celle chargée de la diffusion, de la promotion, de la location du
matériel, des voyages, du transport du matériel. Ainsi de suite.
Quant à l’industrie
culturelle, c’est l’ensemble des professions qui produisent des biens matériels
par la mise en œuvre de créations artistiques et culturelles. La notion
d’industrie culturelle renvoie essentiellement à la fabrication et à la
diffusion, en série, de produits qui reflètent, véhiculent et diffusent des
idées, des messages, des symboles, des opinions, des informations, des valeurs
morales et éthiques, propres à leur milieu d’origine. Donc, c’est une action en
série, en quantité. Lorsque vous sortez un Cd et que vous le dupliquez en mille
exemplaires, vous n’êtes pas encore dans l’industrie culturelle, il faut tendre
vers les dix mille, les cinquante mille, les cent mille exemplaires, pour
commencer à parler d’industrie.
Donc, une industrie
culturelle, pour résumer, c’est l’ensemble du tissu économique qui s’occupe de
la fabrication des œuvres artistiques et culturelles, et de la diffusion, en
quantité et en série, de ces œuvres. Elle est devenue importante, parce que
c’est elle qui soutient l’économie culturelle. Lorsque vous êtes couturier et
que vous faites une seule tenue et, une fois par semaine, vous ne pouvez pas
être dans l’industrie, vous ne pouvez pas être rentable mais, lorsque vous
commencez, par semaine, à en faire deux cents, là, cela commence à être
intéressant pour vous. C’est pourquoi, au Nigeria, il y a beaucoup de
productions par semaine, de piètre comme de bonne qualité et, c’est dans cette
quantité qu’il y a les meilleures qui sortent du lot. Dans la quantité de cette
production, ’’Nollywood’’ s’est développé pour influencer l’économie du
Nigeria.
Si nous prenons
l’exemple simple de la duplication des Cd, nous avons un système de gravage
direct sur ce support et, c’est un seul Cd par ordinateur, nous en avons un
autre, en série ; tout dépend de l’appareil. On peut obtenir soit 10, soit
20 Cd, gravés simultanément. Quand on entre dans l’industrie, on a affaire à
une machine qui sort des milliers de Cd, à la minute. C’est en cela que lorsque
l’industrie va se mettre en place, le Ministère de l’Industrie va s’intéresser
véritablement à la culture, parce que l’ingénierie va se mettre en place et,
certaines usines de duplication en quantité vont s’installer ; elles
dépendront aussi bien du Ministère de la Culture que de celui de l’Industrie.
Je dois vous préciser
qu’avant le fonctionnement de l’industrie et la mise en place de l’ingénierie
culturelle, il y a ce qu’on appelle l’audit culturel qui doit se faire secteur
par secteur. L’audit permettra d’avoir une idée claire de l’état des
lieux dans chaque domaine : qu’est-ce que cela contient ? Qu’est-ce
qui ne fonctionne pas ? Qu’est-ce qui fonctionne ?
Que se passe-t-il,
souvent, chez nous ? Nous voyons souvent à côté, dans les pays voisins,
des mutations intéressantes. Et, nous nous disons: « Pourquoi ça se passe, à
côté, comme ça, c’est-à-dire au Nigeria, au Togo ou en Côte d’Ivoire, et
pourquoi pas au Bénin ? ». Et, après, normalement, nous faisons des
propositions pour que, désormais, cela se passe chez nous, comme dans les
autres pays, pour qu’on puisse se développer. Ce faisant, il est aussi normal
que l’amélioration ne soit pas soutenue et qu’elle évolue en dents de scie.
Pour cause, le fait qu’on ne fasse pas l’exercice d’un audit profond du
secteur.
Donc, il y a la notion
de l’audit culturel qui nous manque, de plus en plus. C’est l’audit culturel,
par exemple, qui m’a permis de savoir qu’un Fonds d’aide à la culture n’existe
qu’au Bénin, donc, pas au Togo ni au Nigeria ni en Côte d’Ivoire ni dans aucun
autre pays. Certains sont venus s’inspirer du Bénin, mais ils n’ont pas pu
mettre en place une telle structure ; le Togo a démarré mais a arrêté. Le
Fonds d’aide, sous la forme actuelle, n’existe pas ailleurs. Il faut alors
l’audit ; il nous dira comment faire pour que le Fonds d’aide que nous
avons soit travaillé pour être mis au service des acteurs culturels,
réellement.
Quelle
stratégie pensez-vous que les artistes et les acteurs culturels peuvent
développer pour intégrer l’ingénierie culturelle et l’industrie culturelle, afin
qu’ils contribuent, par leur exercice, au décollage économique du Bénin ?
Il n’y a pas dix mille
stratégies. Dans tout pays, quand on ne sait pas, on demande, quand on ne
connaît pas, on va apprendre, parce que nul n’est éternellement intelligent.
Nous avons la chance que, de plus en plus, il y ait des écoles qui se créent au
Bénin et, des filières qui s’ouvrent pour la formation des spécialistes de la
culture. Oui, il s’agit de se mettre à l’écoute de ces spécialistes de la
culture, de chercher à comprendre comment cela fonctionne. En plus, il faut
chercher à travailler d’une manière officielle, formelle.
L’audit nous a fait
découvrir que 80% du tissu culturel est dans l’informel à cause de son déficit
en information. Et, si les acteurs culturels commencent à s’informer, ils vont
chercher à quitter l’informel. Donc, il n’y a rien à faire, il s’agit de
toucher les spécialistes, qui sont très nombreux, et de savoir comment ça se
passe. Par exemple, tous les acteurs culturels doivent avoir, chacun, leur
numéro Ifu (Identifiant fiscal unique, Ndlr). Sans cela, vous n’êtes pas
reconnu, en tant qu’entité dans l’Etat. Et, rien de ce que vous menez
comme activités culturelles d’ordre économique n’est quantifié nulle
part ; c’est dans l’informel.
Ensuite, ceux qui
veulent demeurer et se développer dans l’entreprise associative demeurent dans
les associations ou dans des Ong culturelles qui travaillent sur des pans du
tissu de l’ingénierie culturelle ou de l’industrie culturelle. Et, ceux qui
sont capables de créer des entreprises devront faire face à des taxes vis-à-vis
de l’Etat. Ce qu’il faut faire, tout simplement, c’est de se rendre de plus en
plus formel, de s’informer et de se conformer aux processus mis en place par l’Etat,
sans oublier que chaque format correspond à un type de financement bien
spécifique.
La
piraterie n’est-elle pas un peu un handicap au développement de l’industrie culturelle ?
Lorsque vous posez la
question de la piraterie, j’ai pitié. J’ai pitié tout simplement parce que nous
savons tous que c’est au Nigeria que la piraterie s’exerce le plus, mais que
c’est encore le Nigeria qui est devenu la première puissance économique de
l’Afrique, à travers les Arts et la culture ; il y a un paradoxe ! Le
Nigeria a pu trouver une solution endogène au problème ; les acteurs
culturels ont officiellement décidé de composer avec les pirates, de manière à
ce que lorsqu’un film sort, dans leur structuration associative, ils ont une
instance qui censure les films, et qui décide de quel film sera édité et de
celui qui ne le sera pas. Et, à la sortie du film, le pirate aussi en est
informé et, il sait qu’il n’a pas le droit de le pirater. Ils ont un moratoire
par rapport à cette piraterie, parce que l’industrie elle-même a compris
qu’elle a besoin de la piraterie pour vendre, pour entretenir son public. Donc,
on dispose d’un certain moment pour que le film ne soit pas piraté.
Dans le même temps,
ceux qu’on appelle pirates ne mènent pas leur activité dans l’informel, au
Nigeria ; c’est aussi des industries qui sont bien connues et qui ne
piratent que les films qui ont fini d’être exploités. Mais, malheureusement, le
Bénin n’a pas réfléchi à fond pour trouver la solution endogène qui lui
corresponde, à la piraterie. Aussi, notre pays n’a pas une seule usine de
duplication de Cd, de sorte que tous nos films sont dupliqués au Nigeria. Dans
ce pays, ils s’en préoccupent peu ; le Bénin ne fait partie de leur
’’gentleman agreement’’, de leur entente, là-bas. Donc, ils dupliquent ce qui
leur tombe sous la main. Et, à travers les distributeurs finaux, ils
envahissent le territoire béninois, pour la vente. C’est au Bénin de réfléchir
pour trouver une solution endogène pour le règlement du problème de la
piraterie.
Evidemment, il y a une
structure qui s’appelle la Commission nationale de lutte contre la piraterie
(Cnlp), qui lutte contre la piraterie ; elle dispose de combien, comme
budget ? A-t-elle une unité d’intervention à sa disposition ?
Peut-elle couvrir toute les frontières du Bénin ? Comment opère-t-elle sur
le terrain, pour des effets dissuasifs ? En 2005, l’Etat a pris un texte
contre la piraterie, mais quel en est le niveau de mise en exécution ?
C’est l’audit culturel qui va révéler cela. Quelle solution endogène
pouvons-nous trouver pour aller contre la piraterie ? Selon moi, la Cnlp
devrait être érigée en un projet inclusif qui tienne compte aussi du
consommateur qui achète les produits piratés.
Personnellement, je
pense que la piraterie est une mauvaise chose, mais qu’elle ne devrait nous
dissuader de l’effort que nous devons faire pour développer l’économie
culturelle. Nous devons continuer, tout en renforçant la lutte contre la
piraterie, qui est l’un des piliers de cette économie culturelle.
Dans
le cadre de la facilitation du fonctionnement de l’ingénierie culturelle et de
l’industrie culturelle, quelle partition séparée, d’une part, et coordonnée,
d’autre part, imaginez-vous pour le Gouvernement, pour le Parlement et pour
d’autres institutions de contre-pouvoir comme la Cour constitutionnelle, le
Conseil économique et social (Ces) et la Haute autorité de l’audiovisuel et de
la communication (Haac) ?
Premièrement, pour que
l’économie culturelle se développe à travers la mise en place de l’ingénierie
culturelle et de l’industrie culturelle, le Gouvernement doit d’abord renforcer
l’armature juridique, présenter d’autres types de projets de loi.
Pour les cinéastes, par
exemple, il y a le Code de la cinématographie, qui n’existe pas. Pour les
mécènes, il faut une loi sur le mécénat. Deuxièmement, il doit renforcer la
détection et la formation des acteurs culturels, pour l’installation du tissu
de l’ingénierie culturelle. Troisièmement, il doit renforcer le financement en
orientant et en donnant une mission claire au Fonds d’aide à la culture, dont
je suis contre la diminution du budget. Ceci dit, le Fonds a besoin d’être
réorienté en en renforçant le financement à travers le Fonds de bonification,
le Fonds de garantie et d’autres types de fonds dont le Fonds de démarrage, le Fonds de
mise au travail de tous les acteurs culturels.
Je dois faire remarquer
qu’au niveau du Gouvernement, il faut renforcer l’autonomisation des
municipalités et la décentralisation culturelle, de façon à ce que les Communes
sachent, chacune à son niveau, ce qu’elle doit faire pour que la culture locale
soit développée et rendue meilleure.
En ce qui concerne le
Parlement, il s’agit d’apporter de la célérité dans l’analyse et le vote des
lois que propose le Gouvernement. Et, les parlementaires doivent pouvoir faire
des propositions de loi, également, parce qu’eux aussi sont parmi nous.
Quant à la Cour
constitutionnelle, évidemment, son rôle est de contrôler si les lois votées
sont conformes à la Constitution. Le Conseil économique et social, d’abord, va
tout faire pour que la Loi organique qui est en proposition sur le Ces puisse
être votée, pour que le nombre de ses Conseillers augmente, de même que celui
des artistes et celui des commissions permanentes, afin que les avis concernant
le plan culturel soient beaucoup plus pertinents.
Quant au rôle que la
Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac) peut jouer, c’est
ce qu’elle accomplit déjà : suivre les télévisions et les radios et les
canaliser, prendre des décisions pour que le pourcentage de diffusion des
œuvres de l’esprit, créées au Bénin, s’accroisse. C’est prendre des décisions
pour que les redevances que ces télévisions et ces radios doivent payer au
Bureau béninois des droits d’auteur et des droits voisins (Bubédra), pour le
compte des créateurs, soient respectées véritablement.
Donc, je pense que la
Haac fait déjà le travail qu’il faut, mais doit pouvoir faire plus pour que
certaines productions ne passent plus sur les chaînes de télévisions et que les
productions qui sont diffusables vis-à-vis de la morale, de la norme,
notamment, puissent passer.
Dans
son Projet de modification constitutionnelle, le Gouvernement avait proposé la
suppression du Ces …
Supprimer le Ces serait
une erreur monumentale, parce que le Conseil économique et social est l’une des
institutions les plus importantes du Bénin, à travers certaines actions que le
grand public ne connaît pas. D’abord, n’eût été la présence du Ces, les
élections passées n’auraient pas pu avoir lieu, parce qu’il y avait une crise
institutionnelle entre la structure chargée d’organiser les élections et le Gouvernement,
à l’époque. C’est le Ces qui a fait l’arbitrage dans cette situation. Aucune
autre institution de la République n’a ces prérogatives consistant à mettre les
gens ensemble, à discuter, à trancher et à trouver une solution, parce qu’on
avait une date butoir. Donc, supprimer une institution de ce genre, c’est
bizarre. Et, ce qui a été extraordinaire dans le Projet de loi de modification,
émis par le Gouvernement : il n’y avait aucun argument pour motiver la
suppression. Je n’ose pas dire que cela frisait une proposition fantaisiste. Le
Ces est une institution qui existe dans plus de 170 pays du monde ; la
France en dispose et, on appelle cela le Conseil économique, social et
environnemental (Cese), qui fait beaucoup de propositions.
Il y a quelques années,
la crise qui avait eu lieu entre les syndicalistes et le Gouvernement du
Président Boni Yayi avait été réglée par le Ces, de même que celle à la Chambre
de Commerce et celle de l’Université d’Abomey-Calavi. Ces réalités, nous ne les
évoquons pas parce que les textes ne nous le permettent pas. Mais, comme,
maintenant, il y a une menace qui pèse sur l’existence du Ces, il vaut mieux
qu’on révèle ce que cette institution fait dans le pays.
Et puis, le Ces est la
seule institution qui reçoit les textes de loi à caractère économique,
culturel, notamment, que le Gouvernement propose ; il donne son avis avant
que cela n’aille à l’Assemblée. En réalité, lorsque l’avis du Ces n’accompagne
pas le Budget de l’Etat et d’autres documents de ce genre, l’Assemblée pose des
questions. Nous n’y sommes que 30 et, nous prions pour passer à 45. Cette Chambre
est assez importante.
Au Cameroun, par
exemple, c’est elle qui conseille directement le Chef de l’Etat ; la Côte
d’Ivoire l’avait supprimée, à cause de la guerre mais elle l’a réinstaurée, en
mettant Fologo, à sa tête. Et, quand cela avait été supprimé, vous voyez
comment la guerre a perduré. Donc, les législateurs et les membres du
Gouvernement doivent réfléchir autrement, dans la perspective que cette
institution d’apaisement, de médiation et de paix, demeure. Elle est prévue par
la Constitution ; elle est aussi légale que constitutionnelle.
Et,
le peuple béninois ? Comment le faire passer du statut d’acteur passif et
destructeur à celui d’un agent outillé qui s’activera au développement de
l’industrie culturelle ?
La notion de peuple est
complexe. En matière culturelle, on parlera plutôt de la notion de public. Or,
le public est dans le peuple qui est la population, d’une manière générale. Le
public se crée - dans le peuple - en fonction de la discipline artistique et
culturelle.
Vous parlez là d’un
travail de médiation culturelle. C’est le médiateur culturel qui travaille sur
le peuple pour identifier en son sein ce qui peut constituer le public. Son
rôle est important et lourd.
D’abord, il faut que le
médiateur culturel travaille à identifier, par discipline, le public afférent,
le public intéressé et, par zone géographique ; c’est ce public qui est
entretenu, par un travail constant et continu de nourriture, par l’apport
d’œuvres artistiques et d’actions culturelles. Le public est comme un
bébé à qui la maman donne le sein. Quand le moment de le prendre arrive et
qu’il ne le trouve pas, il commence à pleurer. S’il pleure et qu’il ne trouve
pas le sein, il se contente de ce qu’il trouve à côté à mettre dans la bouche.
Donc, l’autre gros travail revient encore à l’artiste qui doit créer ce que
j’appelle le sein, à ce public qui est le bébé et, ce, constamment.
Lorsque vous avez une
salle de spectacles et que vous y programmez un spectacle que le public aime,
vous en programmez un autre que le public aime, à un rythme, à une fréquence
bien soutenue, votre public est domicilié, votre public est fidélisé. Vous
fidélisez votre public à travers la fréquence des spectacles et par leur
qualité aussi. Mais, si cette fréquence commence à prendre un coup, parce que
le spécialiste en ingénierie culturelle, qui doit s’occuper de sélectionner les
spectacles, pour la salle, n’est pas outillé, le public va commencer à se
décourager et, comme le bébé, il se mettra à regarder à gauche et à droite, et
à chercher ailleurs.
En outre, le public
consomme ce que nous lui donnons. Le bébé qui naît ne demande pas que sa maman
lui donne le sein gauche ou le sein droit, c’est le sein que le bébé voit qu’il
tète ; si vous lui présentez du lait et que ça l’intéresse, il le boit et
se contente de cela, sans savoir si cela apporte des nutriments autres que ceux
du sein. Le jour où vous lui donnez le choix entre le sein maternel et le
biberon dans lequel vous mettez une bouillie mal faite, le bébé décidera. A
partir de cet instant, il commencera à repousser votre main, si c’est le
biberon, et se contentera de son sein. Tout cela, pour dire que ce sont les
acteurs culturels, les médiateurs culturels qui font du public ce qu’il est ou
doit être.
En revanche, la
population a un rôle de gendarme à jouer avec les acteurs, en ce qui concerne
la lutte contre la piraterie et en ce qui concerne la fierté béninoise, le
’’consommer béninois’’. Le public ne peut que se limiter à cela ; il ne
pourra rien faire d’autre. Lorsqu’on parle de consommer, il ne s’agit pas de le
faire gratuitement car on ne peut plus continuer à faire l’art, gratuitement ad vitam eternam. Il faut que quelqu’un
paye ! C’est pour cela que, les festivals, lorsqu’on les organise, l’Etat
paie pour nous, pour les organiser. Donc, l’Etat paie la salle pour le public,
mais cela ne développe pas l’industrie, cela ne développe pas le tissu culturel
économiquement. On doit apprêter la population au retour en salle et à la
consommation des biens culturels. Et, il nous revient, encore une fois, à nous,
acteurs culturels, de proposer une fréquence de présentation de produits
culturels, une fidélisation propre et une qualité remarquable d’œuvres de
l’esprit.
Sur
la question du financement du secteur béninois des Arts et de la culture, vos
idées, - très connues - sont assez claires. Vous parlez avec aisance de ’’Fonds
d’aide’’, de ’’Fonds de bonification’’ et de ’’Fonds de démarrage’’. Quelle
définition proposez-vous pour chacune de ces expressions ? Comment pourra
s’exercer chacune d’elles, dans le contexte béninois, pour développer
l’économie culturelle ?
Avant d’arriver à la
définition de ces notions, je voudrais faire un bref état des lieux du
financement au Bénin.
Le financement des
activités culturelles au Bénin se fait par plusieurs filons, pistes ou
guichets, jusque-là. Nous avons, d’abord, l’Etat, d’une manière générale et, à
travers lui, il y a quatre canaux. Le premier canal connu de tous, est le Fonds
d’aide à la culture (Fac), qui finance des projets, — des gros projets, des
projets individuels —, la prise en charge de certaines maladies, au niveau des
artistes, le coût des obsèques de créateurs décédés, certaines bourses de voyage
et plusieurs autres activités.
Nous avons également un
Fonds logé au Ministère de la Communication, et qui est le Fonds d’appui à la
production audiovisuelle (Fapa), qui finance la création cinématographique,
pour les télévisions.
Il faut compter aussi
avec un financement direct du Gouvernement, émanant de la plateforme qui
finance de très gros projets, que ce soit sur le plan national ou
international. Ce dernier canal est laissé à la souveraineté, à la discrétion
du Gouvernement, sur la proposition de différentes directions techniques du
Ministère de la Culture, comme la Direction de la cinématographie, l’ancienne
Direction de la production artistique et culturelle, actuellement, Direction
des arts et du livre, le Fonds d’aide à la culture, notamment. Cette plateforme
gouvernementale détient un budget en pot commun, qui soutient les dépenses de
souveraineté, dans lequel l’Etat puise et, c’est le Conseil des Ministres, qui
en décide. N’obtient pas cela qui veut ; l’accord de financement dépend de
la pertinence du projet, de sa taille, de son niveau d’envergure
internationale. Donc, cela relève des dépenses de souveraineté de l’Etat. Mais,
tout le monde n’envoie pas des dossiers là-bas, non plus.
Le quatrième canal de
financement relève du sponsoring des entreprises de l’Etat : Sobémap
(Société béninoise de manutention portuaire, Ndlr), l’ex-Sonapra (Société
nationale pour la promotion agricole, Ndlr), la Loterie nationale du Bénin (Lnb)
et, le Port autonome de Cotonou (Pac), entre autres.
Outre ces structures,
nous avons, toujours au Bénin, les mécènes qui sont des opérateurs économiques,
de manière générale ; ils soutiennent financièrement certains artistes,
certaines activités culturelles.
L’autre piste de
financement est constituée par les recettes que l’œuvre de l’esprit créée
produit en ce qui concerne l’exploitation. Une autre est le Bubédra qui est une
source de paiement des redevances aux artistes. Et, la dernière source de financement
concerne les Partenaires techniques et financiers (Ptf) ; à travers différents
guichets tels que l’ex-Pscc (Programme société civile et culture, Ndlr), par le
passé, l’Ambassade de France, à travers la Coopération culturelle, l’Ambassade
des Etats-Unis, la Coopération belge, la Coopération suisse, ils subventionnent des productions culturelles ou
des voyages pour des activités culturelles.
Il faut dire que, ces
deux dernières années, les financements ont progressivement décru et que, de
plus en plus, les acteurs ressentent des difficultés de mobilisation de
financement. Voilà l’Etat des lieux du financement culturel au Bénin, à travers
les huit points que je viens d’énumérer.
Pour répondre donc à
votre question, je relève, à votre attention, que malgré l’existence des huit sources de
financement ci dessus évoqués, les acteurs culturels ont de gros soucis pour le
développement de l’industrie culturelle et du tissu économique culturel. Ces
soucis se sont accrus lorsque la crise du Fonds d’aide est arrivée, par la
diminution du montant qui devait lui être alloué. Cette crise a cristallisé le
terrain et a interpellé des réformes à faire. Mais, ces réformes mettent du
temps à être mises œuvre, pour des raisons jusque là non dévoilées. Cela
tarde ; un an après, c’est trop ! Vous comprenez, bien sûr, que
lorsqu’on passe de 5 à 2,4 milliards, cela ne suffira pas forcément, alors
qu’il y a des dettes qui attendaient. A partir de cet instant, personnellement,
j’ai estimé que le Fonds d’aide ne suffirait plus forcément pour continuer de
contribuer à la réduction de la pauvreté dans le milieu culturel et au
développement du tissu économique culturel.
On en était là lorsque
l’Etat a proposé le Fonds de bonification, dont je ne reviens pas sur le
contenu, ici. Cela devrait être un Fonds sous forme d’un Fonds de garantie pour
les entreprises culturelles. En réalité, je l’ai développé au début : si
un pays doit économiquement se développer, c’est grâce aux entreprises qui
créent la richesse, d’une manière générale et, dans le milieu culturel, en
particulier, ce sont les entreprises aussi qui créent la richesse. Donc, les entreprises culturelles aux normes
doivent pouvoir avoir accès à ces fonds-là, pour développer des produits
culturels économiquement viables, rentables.
Et, lorsque j’ai fait
l’audit culturel général, j’ai regardé du côté du Nigeria, du côté de
l’Algérie, de la Tunisie, du côté des autres pays qui se développent, et j’ai
compris qu’une volonté politique s’est affichée dans notre pays, à travers
l’augmentation du budget du Ministère du Tourisme et de la culture. Mais, cela
a mis du temps à se faire sentir. J’ai constaté qu’il y a de la volonté qui
s’est manifestée dans les projets qui sont listés dans le Pag (Programme
d’action du Gouvernement, Ndlr) et dans le Budget de l’Etat. Mais, cela met du
temps à s’appliquer. Ayant fait tout le tour, je me suis rendu compte que même
si l’on met cela en route, cela ne permettra pas à l’acteur culturel de sortir
de la pauvreté, cela ne permettra pas le développement, tout de suite, du tissu
économique.
Au stade actuel de
notre vie culturelle, l’acteur culturel béninois n’a pas des commandes, il n’a
pas du travail. C’est parce qu’on ne lui commande pas un travail que l’oisiveté
s’installe et, l’oisiveté conduit à du bavardage, elle conduit à l’utilisation
des réseaux sociaux pour critiquer des choses futiles. L’oisiveté renforce la
crise et crée des difficultés énormes. Alors, personnellement, j’ai commencé,
de plus en plus, à parler d’un Fonds de démarrage, qui est, en réalité, un
Fonds de mise au travail du milieu artistique, un Fonds de remise au travail
des acteurs culturels. Et, si vous le voulez, je vous détaille que j’appelle le
Fonds de démarrage.
Ce que j’appelle Fonds de
démarrage n’existe encore nulle part. C’est nouveau. C’est un concept. Il ne
correspond pas à une définition d’internet ou à un Fonds qui permet de démarrer
un projet nouveau. Je ne tiens pas non plus à ce que cela s’appelle
définitivement ’’Fonds de démarrage’’ ; c’est une proposition que j’avance
autour de laquelle j’aurais bien aimé que tous les acteurs culturels puissent
échanger, pour lui trouver le nom qui convient. On pourrait l’appeler un
’’Fonds de remise au travail’’ de tous les acteurs culturels, ou un ’’Fonds de
mise en chantier du milieu culturel’’.
Le Fonds de démarrage,
pour moi, d’abord, a des caractéristiques. La première : c’est un Fonds
ponctuel, un fond de commande et, un contrat entre l’Etat, le commanditaire,
et les acteurs culturels, qui sont les exécutants.
Il est ponctuel parce
que ce n’est pas un Fonds à instituer en
loi, qui va être un Fonds continu, c’est un Fonds fonctionnel sur deux ou trois
ans. Il s’agit d’un Fonds pour commande parce qu’il existera pour commander du
travail au milieu artistique, d’une manière générale. Troisièmement, c’est
l’Etat qui commande le travail. Donc, c’est l’Etat qui met le Fonds en question
en place. Quatrièmement, ce sont les acteurs culturels béninois qui doivent
être les exécutants, exclusivement, de ces commandes-là. Voilà les quatre
caractéristiques du Fonds de démarrage.
L’idée m’en est venue d’un économiste
britannique qui s’appelle John Keynes. A la crise économique de 1929, il avait
proposé une idée de remise au travail de tout l’appareil économique parce qu’en
réalité, il y avait eu de la surproduction, avant cette année-là, ce qui a créé
de la mévente et, la crise est intervenue ; il ya eu des licenciements et
beaucoup de travailleurs étaient au chômage, c’était la morosité totale.
Il a alors affirmé
qu’il fallait mettre les gens au travail. Dans son explication, il a demandé à
un groupe de personnes de creuser un trou ; ils l’ont fait. Et, on les a
payés. Ils étaient heureux. Ensuite, il leur a demandé de fermer le trou, ils
l’ont fait et on les a encore payés ; ils étaient à nouveau très heureux.
Selon lui, si les gens trouvent du travail et qu’ils travaillent, ils seront
heureux. Donc, il a suggéré à l’Etat de faire du financement, de mettre en
place un fonds pour financer la mise au travail de tous les hommes, dans le
tissu économique. Lorsque cela a été fait, automatiquement, la machine de
production a redémarré.
Donc, c’est démarrer la
machine que constitue le tissu économique culturel du Bénin, c’est ça qui est
l’image que j’évoque en parlant de Fonds de démarrage. Quels en sont les
avantages ?
D’abord, cela permet de
mettre presque tout le monde au travail. Ensuite, cela aide à réduire
drastiquement la pauvreté, immédiatement ; cela facilite la création d’un
grand nombre d’emplois et la réduction drastique de la tension sociale, tout de
suite. Par ailleurs, un tel système amène les gens à travailler d’une manière
officielle, formelle, parce que la particularité de ce Fonds sera que lorsque
le travail est commandé, toux ceux qui vont exercer dans le système, jusqu’au
balayeur, seront déclarés, avec une cotisation directe.
De plus, les produits
issus de cette commande appartiennent à l’Etat. Et, ce sont des produits qui
vont être vendus pour le compte de l’Etat. Ainsi, les artistes, l’ingénierie
cultuelle et l’industrie qui se met en place redémarrent. L’autre avantage
reste que l’acteur culturel, l’artiste qui travaille dans le système, est payé
directement, sort de la pauvreté et peut continuer à faire d’autres créations,
parce qu’il est plus à l’aise. Aussi, les entreprises qui vont gagner les
commandes vont faire des profits et pourront continuer à fonctionner, lorsque
le Fonds va s’arrêter. C’est un Fonds qui va se comporter comme un Projet, avec
une durée de vie précise.
Autre chose :
désormais, on aura un état des lieux, qui nous permettrait d’avoir la
traçabilité claire de tout ce que nous dépensons, de tous ceux qui ont travaillé,
de tous ceux qui ont un potentiel. Ainsi de suite. Et, tous ceux-là auront
clairement leurs répercussions sur le Pib.
Au bout des deux ou
trois ans d’exercice du Fonds de démarrage, l’Etat va commencer à entrer dans
ses fonds, progressivement, surtout que les produits culturels ne sont pas
facilement périssables ; tant qu’ils seront demandés. Non seulement
les fonds investis seront rentabilisés mais, aussi, des bénéfices seront
enregistrés. Puis, comme tout le monde travaille au clair, de manière
officielle, les redevances seront virées directement sur les comptes du
Bubédra, pour les artistes. De même, comme les entreprises auront fait du
profit, les créateurs pourront continuer à se comporter officiellement, comme
cela. A partir de ce moment, les indices qui influencent les flux économiques
qu’on remarquera sur le Pib vont être quantifiables, en même temps. Voilà
quelques avantages réels du Fonds de démarrage.
Comment cela va-t-il se
faire ?
La mise en route de ce
Fonds consistera à choisir vingt entreprises culturelles : dix, la
première année et dix, la deuxième. Et, par discipline. Je prendrai l’exemple
du cinéma pour extrapoler. On demandera à une entreprise culturelle, ‘’Togbo
films’’ d’Ignace Yètchénou, par exemple, de produire une série de 200 épisodes,
sur le Bénin. Il va recruter des scénaristes qui se mettront ensemble pour
écrire sur les réalités béninoises. Toutes ces recrues seront déclarées
officiellement, payées correctement et des taxes vont être prélevées et
reversées, pour elles, à la Caisse nationale de sécurité sociale (Cnss). Des
comédiens vont être recrutés, sur les 200 épisodes, ce qui fait, au moins, un
an de travail, de même que des techniciens, et la série va être produite,
peut-être en fon, en dendi ou dans n’importe quelle langue nationale. Et, la
version nationale va être vendue aux télévisions nationales, en priorité, pour
être diffusée. Donc, déjà, l’Etat commence à gagner de l’argent. Tout cela est
au clair, il n’y a pas de négociations secrètes, c’est l’Etat qui vend. Mais,
si l’Etat vend à l’Etat, on sait comment cela se passe ; tout doit être
comptabilisé pour qu’on puisse en voir la traçabilité claire. Le film va être
doublé en français, pour les pays francophones. Vous imaginez combien de
télévisions peuvent l’acheter. Il sera doublé en anglais, pour les pays
anglophones. Et, ce sont les Béninois qui vont faire cela : la série ’’La
Chacala’’ a été doublée au Bénin et vendue partout dans les pays francophones.
Il va être doublé en espagnol, pour les pays hispanophones. Etc. C’est une
chaîne qui ne s’arrête pas ; tant qu’on découvre une nouvelle langue, avec
son marché qui intéresse, on peut doubler cela et, ce sont les Béninois qui
vont assurer ce doublage. On trouvera les gens qui vont doubler les voix et, ce
sera vendu.
De même, la vente ne
s’arrête pas, parce que si une télévision diffuse 200 épisodes, en une saison,
après, cette télévision peut opérer une rediffusion. Si elle avait acheté les
200 épisodes à peut-être 100 millions, cela peut être réduit à 50 millions.
Mais, la télévision est obligée de racheter les droits, avant de faire cette
rediffusion. Donc, cela entre dans le patrimoine direct. Conséquence : le
patrimoine artistique audiovisuel aussi est renforcé.
Quand on prend la
musique, c’est pareil, de même que le livre, le théâtre, mais c’est l’audit
culturel qui, discipline par discipline, va proposer les options de choix.
En résumé, l’Etat met
l’argent pour produire, et vend, puis les droits sont versés aux artistes, et
les taxes à l’Etat. Donc, l’artiste est payé et, comme c’est le cas, il ne
bavarde plus. Dans la première année, une série de productions vont être faites
par les disciplines qui vont être choisies. Dans la deuxième, ce sera pareil
et, la troisième va être celle de la promotion, de la vente des produits, et de
la rentabilisation de tout ce qu’on a investi.
En clair, cette
proposition inspirée de la méthode Keynes est ma contribution personnelle et,
en tant que Conseiller, pour la sortie de crise du secteur cultuel. Elle vient
comme une troisième jambe pour l’Etat et va s’ajouter au Fonds d’Aide et au
Fonds de bonification, pour mettre tout le monde au travail. Le Fonds d’Aide
est continu parce qu’il relève d’une Loi, le Fonds de bonification est aussi
continu parce que c’est de l’argent qu’on peut emprunter, mais la commande
qu’on doit faire pour que tout le système se mette en route, n’existe pas. Sans
cela, la classe culturelle aura beau se battre autour du Fonds d’Aide et,
autour de Fonds de bonification, le problème de pauvreté va demeurer.
Avez-vous
un appel à lancer aux artistes et aux acteurs culturels, eux qui seront au
centre de ce processus du Fonds de démarrage ?
Ce que j’ai à dire aux
acteurs culturels est simple : il faut que nous arrêtions de suspecter
l’autre ; la suspicion n’a jamais construit une nation. Nous avons,
chacun, des défauts, mais face à une situation qui s’impose à nous, nous avons
besoin de procéder calmement, d’analyser afin de trouver des issues. Ce n’est
pas parce que je n’aime pas X que lorsqu’il propose une idée, il faut la
rejeter systématiquement.
A travers le Fonds de
démarrage, tous les acteurs culturels, tous les professionnels des arts et même
les amateurs auront à faire : le musicien, le guitariste, le percussionniste,
le comédien, le metteur en scène, le régisseur, le cinéaste, …, tout le monde,
si ce système se met en place.
Avant d’arriver au
Fonds de bonification, c’est ensemble que devant les différents gouvernements,
les différents Présidents, nous, acteurs culturels, dirigés par la Faaben (Fédération
des associations d’artistes du Bénin, Ndlr), avons réclamé à cor et à cri,
l’augmentation du montant alloué au Fonds d’aide. Nous l’avons obtenue. Nous
avons demandé, à cor et à cri, aussi, le Théâtre national ; nous avons
failli avoir une salle, mais on a des chances d’avoir notre Théâtre, bientôt.
C’est encore possible que nous nous mettions autour de cette idée pour obtenir
cette troisième jambe : le Fonds de démarrage, en plus des autres
Fonds ! Si cela est lancé, ce n’est pas Claude Balogoun seul qui en
profitera ; je peux même ne pas y être associé. Mon véritable souhait est
que nous laissions de côtés nos guéguerres, nos luttes intestines et que nous
passions à d’autres choses concrètes pour la classe culturelle.
Selon
votre vision, toute aussi claire, comment structurer, de manière efficace et
productive, le secteur béninois des Arts et de la culture, de façon à permettre
à tous les acteurs culturels de se retrouver au sein d’un grand creuset
d’influence ? Comment faire adhérer ces acteurs à ce système ?
La structuration du
milieu culturel est une autre paire de manche, très grosse. Il y a quelques
années, un certain nombre d’acteurs culturels majeurs se sont retrouvés à
Togbin, chez Alougbine Dine, pour échanger sur la structuration du secteur.
C’était à l’époque du Pscc. Certains partenaires financiers étrangers m’avaient
contacté pour manifester une inquiétude : « Si vous ne vous
structurez pas comme les artisans, vous ne pourrez pas bénéficier de gros
financements étrangers ». C’est ainsi que j’ai suggéré cette séance qui
avait eu lieu, en présence de plusieurs personnalités : le doyen Alougbine
Dine, le Ministre Ali Houdou, Pascal Wanou, Gaston Eguédji, Florent Hessou,
Ally Sissy, notamment ; nous avions passé une bonne journée de discussions.
Et, j’expliquais, à
l’époque, puisqu’il n’y avait qu’une structure faîtière qui était la Faaben que,
pour arriver à une bonne structuration, il fallait que les disciplines
s’organisent en fédérations, et que tant qu’on n’évoluerait pas discipline par
discipline, la structure faîtière que devrait être la confédération, ne serait
pas une bonne chose. J’avais expliqué à tous comment il fallait faire pour y
arriver. Tout le monde était presque d’accord. L’un des problèmes qu’il y avait
concernait l’existence d’un grand nombre de crises, et il fallait passer à la
pacification. Un Comité de pacification avait été mis en place, à cet effet. Il
n’avait pas pu fonctionner quand le Ministre Toléba avait quitté le
Gouvernement.
L’autre problème qu’on
avait eu, à l’époque : j’avais expliqué que si l’on devait faire une confédération
à l’image de la Faaben, cela ne marcherait pas, c’est-à-dire que si, dans le
Bureau, devaient siéger tous les responsables des associations et des
fédérations, cela ne marcherait pas, et que la confédération devait avoir
l’ossature du Pscc, à l’époque, qu’elle devait avoir la forme du Fitheb
(Festival international de théâtre du Bénin, Ndlr), par exemple : une
direction exécutive, avec un Conseil d’Administration qui l’accompagnerait, et
que nous, responsables d’associations, devrions être dans le Conseil
d’Administration, qui devait lancer un appel à candidatures. La structure
devait recruter une secrétaire, un comptable et un agent, puis un Directeur ou
un Coordonnateur qui devait gérer la confédération ; il était aussi
question que lorsque la Maison des Artistes serait créée, cette confédération y
siège. Donc, les clivages qui existaient entre nous se tairaient un peu lorsque
nous saurions que tous les acteurs culturels, les fédérations ne siègeraient
que dans le Conseil d’Administration, pour donner des directives au
Coordonnateur. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il y avait crise entre Pascal
Wanou et Orden Alladatin, entre Alèkpéhanhou et Hounti-Kiki, entre Claude
Balogoun et Florent Hessou, … Donc, si Claude Balogoun se retrouvait dans ce
Bureau, sans Florent Hessou par exemple, nous n’aurions pas réglé les
problèmes.
C’est pour éviter cela
qu’il fallait opter pour cette forme qui était de mettre les gens dans le
Conseil d’administration et de recruter un Coordonnateur, pour un mandat à
durée déterminée, renouvelable peut-être.
Nous en étions là et la
proposition avait été faite, au sein de la Faaben dont j’étais membre, que
cette Fédération, qui était hétéroclite, puisse se casser pour laisser naître
de nouvelles fédérations. A ce niveau, les disciplines respectives avaient commencé
à initier leur fédération et, la structuration avait commencé. Il fallait, à un
moment donné, trouver la façon dont on irait à la confédération. Et, l’idée de
la Cbaac (Confédération béninoise des acteurs des arts et de la culture, Ndlr)
est née.
Certains étant pressés
et, ne voulant pas attendre, elle a été créée avec des fédérations qui
existaient et, d’autres n’y sont pas venues. Donc, mon objectif n’avait pas été
atteint ; si certaines fédérations n’étaient pas arrivées, on ne pouvait
pas avoir une seule structure faîtière. Cela a commencé à créer d’autres
problèmes ; les musiciens ont voulu créer leur confédération, ce qui en
donnait deux, désormais. Et, par la suite, beaucoup d’autres confédérations
sont nées. Donc, nous sommes arrivés à un niveau confédéral ; le travail
que j’avais effectué pour qu’on arrive à une confédération a reçu un coup.
A partir de cet
instant, de plus en plus, j’ai refait l’état des lieux et, j’ai réfléchi pour
arriver à conclure ceci : arrivons maintenant à une Chambre des
confédérations. Donc, au lieu d’une confédération faîtière, on va avoir une Chambre,
comme celle de l’Agriculture, celle des Artisans, notamment. Mais, si cette
chambre n’a pas la forme que j’ai évoquée, c’est-à-dire que si elle n’est pas
gérée par un coordonnateur, avec une administration, plus un Conseil
d’Administration à côté, le problème ne sera pas résolu. Mon objectif est que
les acteurs culturels s’écoutent, qu’on se comprenne, qu’on se parle et qu’on
se mette d’accord : permettons aux disciplines ne disposant pas encore
d’une confédération de la créer, comme au cinéma où les deux fédérations
existantes peuvent se constituer en une confédération. Et, toutes ces
confédérations viendront à la Chambre. Que l’organisation de la Chambre
intègre, une fois pour toutes, l’existence d’un Conseil d’administration, où
siègeront le représentant des confédérations, et l’existence d’un Bureau dont
le Coordonnateur sera recruté sur appel à candidatures. Voilà la situation qui
pourrait arranger tout le monde, sinon cela va être difficile de pacifier tout
le secteur et d’y aller. Mais, si l’on ne fait pas cela, tout de suite, une
autre chambre va naître et, une autre va menacer de naître à nouveau.
L’autre forme de
résolution, c’est que l’Etat prenne ses responsabilités et
dise : « Stop, on arrête ça ! ». On peut même passer
par l’annulation de tout ce qui existe et reprendre. Lorsque la situation se
clarifiera et qu’on sera en Chambre, nous pourrons être mieux pris au sérieux
chez les Ptf. Et, lorsqu’on aura mis en place la Maison des Artistes, chaque
confédération aura son bureau, de même que la Chambre qui se chargera de
partager toutes les informations, en même temps, avec tout le monde.
Un
appel par rapport à la crise ? Un mot de conclusion ?
Le mot de conclusion,
c’est l’apaisement : moins de suspicion, moins d’injures, moins de
soupçons, moins de calomnies, au profit de l’acceptation de l’autre et de
l’amour. La crise va être réglée et, pour cette fin, je reste convaincu que le
Chef de l’Etat n’est pas sourd à la voix des acteurs culturels. Un jour,
il décidera de ce qui sera bon, selon sa gouvernance. Si les acteurs culturels
pouvaient avoir un peu de patience, et travailler, travailler dans ce qu’ils
savent faire le mieux, avec ou sans financement, tôt ou tard, l’Etat nous
écoutera. En ce qui concerne le Fonds de démarrage, je proposerais que nous
nous mettions autour d’une table et que nous en discutions. En ce qui concerne
la structuration du secteur, je l’ai dit : tant que nous n’allons pas
étouffer nos ego et tourner dos aux petits calculs individualistes, nous ne
pourrons pas y arriver.
Propos
recueillis par Marcel Kpogodo
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