mercredi 1 février 2012

La question de la mobilisation sociale au Bénin


Interview


Dieudonné Sedjro Eclou: 
 "Si la fronde ne représente pour les uns et les autres un coût d’opportunité supérieur à ce qu’il faut y  investir, les gens ne vont pas s’y résoudre"


Sociologue, Dieudonné Sedjro Eclou, détaille dans cet entretien les éléments qui pourront favoriser une « mobilisation sociale de protestation » au Bénin.



                                              Dieudonné Sedjro Eclou
                                                    Photo : Ouvertures



Le Mutateur –Les béninois se plaignent constamment de la hausse du coût de la vie. Mais, cela ne débouche pas encore en une mobilisation sociale. Pourquoi 


Dieudonné Sedjro Eclou - De façon classique, c’est un ensemble de facteurs qui contribue à ce que nous voyons sous la forme d’une mobilisation sociale de protestation. Parmi ces facteurs, il y a tout au moins le contexte, la question de l’opportunité de cette mobilisation et les acteurs en présence. En parlant du contexte, le Bénin est surtout un pays de transit, dont l’économie repose sur des services. Même s’il produit du coton, ce produit n’apparaît pas directement dans le vécu quotidien de tous les citoyens. Car la grande majorité des béninois se trouvant dans les champs, cultive autre chose que le coton ; elle est également dans l’enseignement, la santé,  bref dans les bureaux. Ce n’est donc pas du jour au lendemain que cette grande majorité, peut appréhender une inflation comme un problème commun. Parlons maintenant du facteur lié à l’opportunité. C’est difficile de mener une fronde sociale, lorsque toutes les instances du pouvoir sont unies contre, car l’Etat a le monopole de la violence légitime. A titre d’exemple, lorsque la loi  interdisant aux douaniers de faire la grève a été adoptée en septembre dernier par le parlement, ceux-ci ne pouvaient plus continuer leur mouvement de grève au risque de se faire radier de la fonction publique. Si la fronde ne représente pour les uns et les autres un coût d’opportunité supérieur à ce qu’il faut y  investir, les gens ne vont pas s’y résoudre. Or une des garanties, c’est de s’assurer par exemple que vous êtes juridiquement protégés et autorisés à protester avant de s’engager. 


-Que dites-vous du rôle du secteur informel, qui constitue un maillon important dans l’économie du Bénin ?

 
Du président jusqu’au dernier des citoyens, tout le monde s’approvisionne dans le secteur informel. Dans notre pays, il atténue l’inflation qui de ce fait n’est pas ressentie pas de façon virulente. Par conséquent, il inhibe les capacités de mobilisation sociale. Personne ne s’est demandé comment les gens ont pu survivre entre 1988 et 1990, lorsque les salaires n’étaient plus payés. N’eut été l’informel, on n’aurait pas pu tenir. Lorsqu’il y a une hausse du prix de certains produits très usités, les gens trouvent toujours des mécanismes dans l’informel pour s’en sortir. Ce secteur agit comme une soupape de sécurité. Pour le moment, les gens arrivent au plan microéconomique à s’organiser pour amortir les chocs liés à la hausse du coût de la vie. Mais cela fragilise l’Etat, car de facto cela diminue sa détermination pour phagocyter le secteur informel. Tôt ou tard, il faudra formaliser intégralement notre économie. Le jour où cela se fera, l’assiette du citoyen s’en ressentira directement.


- Quant est-il maintenant des acteurs qui constituent l’un des éléments pour une mobilisation sociale ? 


Il faut d’abord qu’ils soient crédibles, car au Bénin il y a une crise liée aux acteurs que sont les syndicats voire les syndiqués. Il y a également une crise de militantisme, et les espaces de militantisme sont inexistants. C’est le même cas, pour les espaces de débats citoyens. L’unanimisme politique qui prévaut actuellement, ne se prête guère à une mobilisation sociale. Culturellement au Bénin lorsqu’il qu’il y a un problème, nous avons appris à parler plutôt qu’à descendre dans la rue. Quand il y a par exemple des problèmes liés aux élections, les principaux acteurs quelque soit leur champ d’action ou de compétence, organisent des conférences de presse pour manifester leurs désaccords. C’est la forme la plus courante d’expression du mécontentement ici. C’est après que la question de la mobilisation se pose. Je crois que le béninois a tellement peur de ce qu’on peut dire sur lui, que c’est assez suffisant pour le faire changé d’avis s’il est sur le mauvais chemin. Nous avons également dans notre pays, un lobby anonyme composé de personnes âgées, qui lorsque la situation devient tendue et explosive à certains moments vont vers les autorités, afin de pouvoir leur faire garder raison. Ces personnes savent donc subtilement manœuvrer pour donner des conseils judicieux à ces autorités.


-Mais une éventuelle étincelle pourrait partir d’où ?


En 1989, nous étions en cessation de paiement, et le salaire des fonctionnaires n’était plus pays. C’était l’une des principales causes de la fronde sociale, qui a permis l’organisation de la conférence nationale de février 90. S’il y a un abattement des salaires, ou de nouveau une situation de cessation de paiement, vous verrez qu’il y aura un mouvement national.  C’est pourquoi tous les gouvernements qui se sont succédé depuis février 90, s’évertuent à éviter une telle situation. C’est parce qu’in fine, ceux qui organisent les mouvements ce ne sont jamais les paysans, mais les salariés, les cadres et les intellectuels qui constituent la classe moyenne.


Propos recueillis par Bernado Houenoussi

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