Interview
Dieudonné Sedjro Eclou:
"Si la fronde ne
représente pour les uns et les autres un coût d’opportunité supérieur à ce
qu’il faut y investir, les gens ne vont
pas s’y résoudre"
Sociologue, Dieudonné
Sedjro Eclou, détaille dans cet entretien les éléments qui pourront favoriser
une « mobilisation sociale de
protestation » au Bénin.
Dieudonné
Sedjro Eclou,
Photo : Ouvertures
Le
Mutateur –Les béninois se plaignent constamment de la hausse du coût de la
vie. Mais, cela ne débouche pas encore en une mobilisation sociale.
Pourquoi
Dieudonné
Sedjro Eclou - De façon classique, c’est un ensemble de
facteurs qui contribue à ce que nous voyons sous la forme d’une mobilisation
sociale de protestation. Parmi ces facteurs, il y a tout au moins le contexte,
la question de l’opportunité de cette mobilisation et les acteurs en présence.
En parlant du contexte, le Bénin est surtout un pays de transit, dont l’économie
repose sur des services. Même s’il produit du coton, ce produit n’apparaît pas
directement dans le vécu quotidien de tous les citoyens. Car la grande majorité
des béninois se trouvant dans les champs, cultive autre chose que le
coton ; elle est également dans l’enseignement, la santé, bref dans les bureaux. Ce n’est donc pas du
jour au lendemain que cette grande majorité, peut appréhender une inflation
comme un problème commun. Parlons maintenant du facteur lié à l’opportunité.
C’est difficile de mener une fronde sociale, lorsque toutes les instances du
pouvoir sont unies contre, car l’Etat a le monopole de la violence légitime. A
titre d’exemple, lorsque la loi
interdisant aux douaniers de faire la grève a été adoptée en septembre
dernier par le parlement, ceux-ci ne pouvaient plus continuer leur mouvement de
grève au risque de se faire radier de la fonction publique. Si la fronde ne
représente pour les uns et les autres un coût d’opportunité supérieur à ce
qu’il faut y investir, les gens ne vont
pas s’y résoudre. Or une des garanties, c’est de s’assurer par exemple que vous
êtes juridiquement protégés et autorisés à protester avant de s’engager.
-Que
dites-vous du rôle du secteur informel, qui constitue un maillon important dans
l’économie du Bénin ?
Du président jusqu’au
dernier des citoyens, tout le monde s’approvisionne dans le secteur informel. Dans notre pays, il atténue
l’inflation qui de ce fait n’est pas ressentie pas de façon virulente. Par
conséquent, il inhibe les capacités de mobilisation sociale. Personne ne s’est
demandé comment les gens ont pu survivre entre 1988 et 1990, lorsque les
salaires n’étaient plus payés. N’eut été l’informel, on n’aurait pas pu tenir.
Lorsqu’il y a une hausse du prix de certains produits très usités, les gens
trouvent toujours des mécanismes dans l’informel pour s’en sortir. Ce secteur
agit comme une soupape de sécurité. Pour le moment, les gens arrivent au plan
microéconomique à s’organiser pour amortir les chocs liés à la hausse du coût
de la vie. Mais cela fragilise l’Etat, car de facto cela diminue sa
détermination pour phagocyter le secteur informel. Tôt ou tard, il faudra
formaliser intégralement notre économie. Le jour où cela se fera, l’assiette du
citoyen s’en ressentira directement.
-
Quant est-il maintenant des acteurs qui constituent l’un des éléments pour une
mobilisation sociale ?
Il faut d’abord qu’ils
soient crédibles, car au Bénin il y a une crise liée aux acteurs que sont les
syndicats voire les syndiqués. Il y a également une crise de militantisme, et
les espaces de militantisme sont inexistants. C’est le même cas, pour les
espaces de débats citoyens. L’unanimisme politique qui prévaut actuellement, ne
se prête guère à une mobilisation sociale. Culturellement au Bénin lorsqu’il
qu’il y a un problème, nous avons appris à parler plutôt qu’à descendre dans la
rue. Quand il y a par exemple des problèmes liés aux élections, les principaux
acteurs quelque soit leur champ d’action ou de compétence, organisent des
conférences de presse pour manifester leurs désaccords. C’est la forme la plus
courante d’expression du mécontentement ici. C’est après que la question de la
mobilisation se pose. Je crois que le béninois a tellement peur de ce qu’on
peut dire sur lui, que c’est assez suffisant pour le faire changé d’avis s’il
est sur le mauvais chemin. Nous avons également dans notre pays, un lobby
anonyme composé de personnes âgées, qui lorsque la situation devient tendue et
explosive à certains moments vont vers les autorités, afin de pouvoir leur faire
garder raison. Ces personnes savent donc subtilement manœuvrer pour donner des
conseils judicieux à ces autorités.
-Mais
une éventuelle étincelle pourrait partir d’où ?
En 1989, nous étions en
cessation de paiement, et le salaire des fonctionnaires n’était plus pays.
C’était l’une des principales causes de la fronde sociale, qui a permis
l’organisation de la conférence nationale de février 90. S’il y a un abattement
des salaires, ou de nouveau une situation de cessation de paiement, vous verrez
qu’il y aura un mouvement national.
C’est pourquoi tous les gouvernements qui se sont succédé depuis février
90, s’évertuent à éviter une telle situation. C’est parce qu’in fine, ceux qui organisent les
mouvements ce ne sont jamais les paysans, mais les salariés, les cadres et les
intellectuels qui constituent la classe moyenne.
Propos recueillis par
Bernado Houenoussi
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