jeudi 17 décembre 2009

africités 5 à Marrakech


Déo Baribwegure




Déo Baribwegure, au sujet de Kicora :







« Notre projet était une bougie, à laquelle Echos Communication est venue donner plus d’éclat »







Kigoma, une région du Nord-ouest de la Tanzanie, est délabrée sur le plan économique et social. Partant de ce constat, Déo Baribwegure a initié, depuis 2007, Kicora, un projet d’éducation destiné aux personnes ayant dépassé l’âge de la scolarisation. Son initiative lui a valu d’être le lauréat de la catégorie « Société Civile » du Concours Harubuntu 2008. A travers cet entretien qu’il nous accorde, il nous parle de son initiative.







Le Mutateur: Pourquoi avoir choisi de nommer votre projet Kicora et quelle est sa signification ?







Je suis de nationalité burundaise, et je fais mon projet Kicora en Tanzanie qui, comme vous le savez, est un pays anglophone. Et, ce nom veut dire : Kigoma Community College by Radio. Kigoma, parce que nous travaillons dans la région de Kigoma qui est la province ouest de la Tanzanie, à la frontière avec le Burundi. J’ai choisi ce nom, car c’est celui qui correspond le mieux aux activités que nous faisons. Kigoma College, veut dire un collège situé à Kigoma, et c’est un collège qui se développe par la radio, puisque nos activités, au finish, seront faites par ce biais.







Comment se déroule un cours ?







Pour le moment, la radio n’a pas encore commencé et nous avons voulu évoluer avec les moyens dont nous disposons. Il fallait donc partir de rien pour construire quelque chose. Mais, on avait notre intelligence, notre volonté, et des potentiels qu’il fallait mettre en éveil. Pour la bonne marche du projet, nous sommes organisés en équipe avec un Conseil d’administration de onze (11) personnes, et nous avons mis sur pied une équipe d’enseignants et de facilitateurs. C’est là que tout s’organise pour les cours. Les enseignants écrivent les manuels dans lesquels il y a le programme qui est pris en compte pour l’examen national, car notre objectif est de pouvoir donner la possibilité aux personnes adultes de passer cet examen. Et, l’objectif est qu’ils puissent plus tard obtenir les diplômes, comme tout le monde. Donc, une fois que les manuels sont élaborés, nous les remettons aux facilitateurs qui, à leur tour, vont les donner aux élèves. C’est une structure qui est basée sur une solidarité locale, et les élèves reçoivent nos livres et préparent leurs cours. Et, chaque soir, il y a une rencontre physique entre eux et le facilitateur ; celui-ci a pour rôle de faciliter l’apprentissage des élèves chez eux et dans leurs familles respectives. Et, c’est le cas dans plusieurs autres familles. Une fois le programme achevé, chaque semaine, il y a des évaluations pour contrôler le suivi des cours par les élèves et leur évolution, ce qui est normal dans tout système d’enseignement. Dès que cette phase est terminée et qu’ils finissent tout le cursus, ils vont se présenter à l’examen national. En cas de réussite, ils deviennent des élèves comme tout le monde, mais sans être allés à l’école. Et, après, ils se verront officiellement décerner par l’Etat le diplôme auquel donne droit cette réussite. Comme notre radio n’a pas encore officiellement débuté ses émissions, c’est la raison pour laquelle la rencontre entre les élèves et les facilitateurs se fait quotidiennement. Mais, quand la radio commencera ses émissions, les élèves vont la suivre et elle remplacera les facilitateurs. Et, une fois par semaine, il y aura toujours cette rencontre physique qui va permettre de garder un contact entre les élèves et le facilitateur, et elle servira aussi pour suivre les apprenants ainsi que leur évolution. De même, c’est une occasion pour permettre aux élèves d’être avec les autres et d’échanger. Cela fait référence à la philosophie maïeutique développée par Socrate, qui fait que l’élève, chez lui, face à un problème, essaye de le résoudre, et la rencontre qui s’en suit avec ses camarades et le facilitateur va lui permettre de savoir si la solution qu’il a su trouver à son problème était la bonne. Nous devons donc faire cette vérification régulièrement pour voir si nos élèves évoluent correctement et s’ils sont prêts pour passer l’examen national.







L’anglais étant la langue officielle de la Tanzanie, les cours sont-ils dispensés dans la même langue ?







L’anglais est la langue officielle de la Tanzanie, mais le kiswahili est aussi l’une des autres langues parlées dans ce pays. En tant que radio communautaire, nous avons donc choisi de diffuser nos émissions dans cette langue.







Combien de personnes vous accompagnent dans ce projet et, sur quelle base, les avez-vous choisies ?







Comme je le disais, nous avons un Conseil d’administration de onze (11) personnes. Et, elles ont été choisies en tenant compte des différentes communautés qui vivent à Kigoma. C’est une région où on retrouve des chrétiens et des musulmans, et nous avons voulu en tenir compte. Après cela, nous avons dix (10) enseignants qui sont, chacun, affectés à un cours. C’est une sorte de spécialisation que nous avons voulu faire pour chacun d’eux. Ensuite, il y a vingt (20) facilitateurs et, enfin, nos élèves qui, même s’ils sont un peu particuliers, sont au nombre de trois cent (300).







Donnez-vous vous aussi des cours ?







Le rôle, que je joue ici, est celui d’un planificateur. J’oriente, car c’est moi qui ai donné l’idée. Je fais en sorte pour que nous discutions régulièrement pour prendre les décisions qu’il faut. Mais, mon niveau de kiswahili ne me permet pas de donner des cours. Il faut que je puisse atteindre un certain niveau en matière de maîtrise pour une telle chose. Les cours sont donc donnés par des Tanzaniens, mais j’ai pour ambition de pouvoir arriver à donner des cours, un jour.







Le projet d’enseignement qui porte le nom de Kicora est axé sur le niveau primaire. Envisagez-vous de proposer, à terme, un enseignement du niveau secondaire ?







Le projet Kicora, n’est pas, en fait, uniquement axé sur le primaire, car nous parlons de l’enseignement, en général. Mais, nous avons commencé par ce niveau afin de donner une base solide à nos élèves. Imaginez-vous que ce sont des gens qui n’ont jamais été à l’école, et il fallait donc que nous commencions par ce niveau-là ; dès qu’ils auront réussi à leur examen, et seront au secondaire, nous leur donnerons des cours de ce niveau. Nous faisons cela, car ce sont, pour la plupart d’entre eux, des adultes qui ont déjà une famille. Et, après leurs diplômes, ils ne peuvent pas aller à l’école secondaire, car celle-ci a certaines contraintes. Cela demande, par exemple, qu’on aille dans un internat et qu’on s’éloigne ainsi donc, pour un certain temps, de la famille ; la plupart d’entre elles ne peuvent pas le faire, car ces personnes ont aussi leurs occupations personnelles. Mais, nous voulons évoluer avec elles, au niveau secondaire et même à celui de l’université ; c’est un rêve pour le futur.







Quel bilan pouvez-vous faire de l’enseignement et des leçons de civisme dispensés à ces 300 étudiants âgés de 14 à 60 ans, et plus ?







Le bilan est très positif, car nous sommes évalués par le ministère de l’éducation de la Tanzanie et, les manuels que nous avons mis à la disposition de nos apprenants sont des résumés du programme d’enseignement autorisé par le gouvernement tanzanien. Cela permet ainsi à l’élève adulte qui n’a pas beaucoup de temps de rapidement saisir la clé de ces manuels. Nos élèves ont donc les mêmes cours que ceux qui suivent un cursus normal. En plus, ils ont un avantage : avec nous, l’élève suit deux programmes au cours de l’année scolaire. Dans un cursus normal, l’élève suit les cours pendant neuf (09) mois et, c’est après cela qu’il passe en année supérieure. Chez nous, il suit les cours en seize (16) semaines, ce qui fait quatre mois. Sur une année de neuf (09) mois, il suit donc les cours pour deux années d’enseignement. Par exemple, un élève qui est en 3è année avec nous, fait la 3è année et la 4è année. Nos apprenants évoluent donc beaucoup plus rapidement que ceux qui vont au cours normalement. Et, cela est d’autant justifié car l’élève adulte n’a pas de temps, et il s’est inscrit car il a besoin d’apprendre pour pratiquer directement. C’est la différence entre lui et les autres.







Parlons de la radio communautaire qui doit proposer des cours à une plus grande échelle….







Mon rêve est que la radio commence ses émissions à l’instant où nous sommes. Je suis sur ce projet depuis dix (10) ans, à une époque où j’étais encore étudiant en Belgique et que je voulais faire quelque chose pour l’Afrique. Nous avons donc commencé petit et, pour la radio, tout est presqu’au point. Il nous reste à construire un pylône. Dés que j’aurai les fonds nécessaires pour construire le pylône, la radio commencera à émettre. Je suis donc en train de contacter les personnes susceptibles de m’apporter cette aide financière. Donc, c’est aussi une question de mois ou d’années. Mais, en attendant cela, nous nous battons pour travailler avec les moyens dont nous disposons.







Qui animera les émissions de la radio quand elle commencera à émettre ?







Quand cela sera effectif, nous ferons appel à des journalistes professionnels qui se chargeront de ce travail au sein de la radio. Et, comme nous sommes une radio communautaire, ces journalistes vont, au fil du temps, donner des formations, en termes de d’animation et de conception de programmes. Comme cela, ce sont les populations qui animeront la radio, avec ces journalistes, à l’avenir. L’objectif étant que, comme c’est une radio communautaire, les membres de la communauté soient impliqués dans la gestion de celle-ci.







A part l’alphabétisation, la radio aura-t-elle d’autres missions ?







Nous ne pouvons pas parler de l’école tout le temps, car l’adulte qui travaille dans un champ, qui a son petit commerce ou qui s’occupe d’autres choses, a besoin de son temps. Nos programmes d’enseignement seront donc diffusés dans la soirée, quand les adultes qui suivent ces cours seront chez eux en famille. Dans la journée, nous aurons un programme qui ressemblera à celui des autres radios. Nous donnerons des informations, nous diffuserons des entretiens que nous aurons eus avec des personnes, nous parlerons des problèmes économiques, nous allons sensibiliser sur la Sida ; ce sera un espace qui permettra à la communauté de parler des choses négatives, mais aussi positives qu’elle vit. Si le président vient en visite dans notre région, nous en parlerons, si une équipe sportive de Kigoma fait une bonne performance, nous allons en parler.







Dans quelle langue ces programmes seront-ils diffusés ?







Ils le seront en kiswahili mais, lors des entretiens avec des personnalités ne parlant pas cette langue, il y aura une traduction pour permettre à la population de connaître l’information qui est diffusée. Notre objectif est de contribuer, par le biais de cet outil de communication qu’est la radio, au développement de la région. Et, pour cela, il faut qu’on y parle une langue de la région.







Pendant combien d’heures la radio va-t-elle émettre ?







Ce n’est pas encore décidé. Mais, ce choix se fera avec nos élèves, le Conseil d’administration et toutes les personnes qui sont impliquées dans ce projet, et en tenant compte des attentes de la communauté. Nous demanderons l’avis des journalistes qui animeront, au début, la radio. Et, puisque la production et la diffusion de chaque émission sur la radio coûteront de l’argent, il faut que nous en tenions compte et, surtout, parce que nous n’avons pas encore les fonds nécessaires pour que le projet de la radio entre dans sa phase concrète. La priorité sera donnée à nos programmes scolaires et, au fil de notre évolution, nous ferons les choix qu’il faut.







Vous êtes l’un des lauréats, pour l’année 2008, du Concours Harubuntu. Qu’est-ce que cela vous a apporté ?







En Afrique, les projets sont souvent conçus et bien ficelés. Et, pour ces projets, on connaît déjà le budget, le nombre de personnes qui vont y travailler, et avec une durée du projet de 3 ou 5 ans, généralement. C’est le modèle traditionnel. Nous avons commencé à une date précise, mais c’est un projet pour la vie. Quand nous l’avons commencé, beaucoup de personnes se sont posé des questions et s’interrogeaient sur nos objectifs. Mais, avec le Prix, les choses ont changé, et les gens ont commencé à nous prendre beaucoup plus au sérieux, et estiment, présentement, que c’est un projet de valeur qui peut entrer en compétition avec beaucoup d’autres. Maintenant, ce n’est donc plus un projet tanzanien, mais il a une dimension africaine, voire internationale. La région de Kigoma est éloignée de la capitale et, grâce à ce Prix, nous avons une visibilité certaine. C’est ainsi que le ministère nous prend beaucoup plus au sérieux et, cela a élargi le champ de nos interactions. Ce Prix permet de prendre beaucoup plus de contacts et, c’est en fait une clé qui nous a ouvert d’autres portes. Et, dans le cadre de Kicora, je rencontre des gens à qui je fournis des informations sur ma distinction, ils peuvent aller vérifier l’information ainsi fournie ; ce Prix va dans le même but que je me suis fixé, qui est celui d’un éveil des consciences et des potentiels locaux, c'est-à-dire ceux qui donnent de l’espoir. Cela nous a donné plus de force, et de crédibilité. Et, avec cela, les inscriptions augmentent de jour en jour. En fait, notre projet était une bougie à laquelle Echos Communication est venue donner plus d’éclat en 2008.










Avez-vous un dernier mot, pour conclure notre entretien ?







Mon premier souhait est qu’on encourage davantage le potentiel qui existe en Afrique, car nous les Africains, nous pensons que nous ne sommes pas capables de faire des projets de valeur. Nous avons besoin de nous estimer plus souvent. J’ai été au Sénégal, et j’ai vu les choses qui s’y font et, c’est formidable. Mon rêve est que chacun de nous prenne le taureau par les cornes, et réalisent des choses. Mon second souhait est qu’on voit l’Afrique comme un continent qui bouge et qui est capable de nouer des partenariats avec les autres et, ce, dans le sens de faire évoluer le bien-être en Afrique. Et, pour finir, il faut encourager l’éducation. Il y a beaucoup de personnes non instruites sur le continent, et il faut leur donner la chance de pouvoir accéder à l’éducation. Il faut donner sa chance à la solidarité afin que le potentiel qui existe en Afrique se mette au travail pour la création de la richesse. On en a beaucoup, mais le regard est souvent braqué sur le sous-sol mais, la richesse, elle est mentale, car l’Africain est quelqu’un qui pense beaucoup et sait orienter son sujet. Il faut juste de l’audace pour aller plus loin.







Propos recueillis par Bernado Houènoussi, en direct d’Africités 5 à Marrakech.




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