Concours Harubuntu 2008
Mahamane Garba Touré : Graine d'espoir est destiné à tous ceux qui vivent pour et par le monde rural"
D’une formation initiale de forestier au journalisme, il y a un grand pas, diront certains. Cela n’a pas empêché Mahamane Garba Touré, forestier de formation, de créer un journal qui parle des réalités de la ruralité de l’extrême nord-malien. Il l'a dénommé « Graine d’espoir ». En 2008, son initiative lui a valu d’être l’un des lauréats du Concours Harubuntu, organisé par Echos Communication, une organisation non gouvernementale belge. A travers de cette interview qu’il nous accorde, allons à la découverte de cette « Graine d’espoir » particulière.
Le Mutateur : Graine d’espoir est le nom du mensuel dont vous êtes le Directeur. Pourquoi avoir choisi cette dénomination ?
Mahamane Garba Touré : C’est le contexte qui prévalait au moment de la naissance de l’idée qui a déterminé le choix du titre. Il y avait à l’époque, en 2007, une conjonction de facteurs, apparemment indépendants les uns des autres, mais qui, aux yeux des initiateurs du mensuel, donnaient à l’entreprise toute sa raison d’être. Ces facteurs, c’étaient quoi : il y avait d’abord le fait que moi qui suis le principal acteur, venais de regagner ma région d’origine que j’ai quittée depuis une vingtaine d’années ; j’y revenais pour servir dans un centre de formation à vocation agropastorale et, au même moment, le Mali venait de se doter d’une Loi d’Orientation Agricole, une loi assez complète, conçue de manière originale et censée être le cadre référentiel du développement agricole du pays. Dans tous les discours, dans les plus hautes sphères de décision, c’est d’agriculture qu’il est question pour sortir le pays de l’ornière. Pour qui sait ce que représente l’Agriculture comme fondation, il y avait là une véritable raison d’espérer. D’où, la notion d’espoir de notre titre. Etant du domaine, nous nous sommes sentis directement concernés et interpellés. Nous nous sommes alors demandé ce que nous pouvions faire, à notre niveau personnel et spécifique, pour accompagner le mouvement et contribuer ainsi à l’essor de notre localité dans un Mali global. Nous avons donc décidé de capitaliser nos expériences diverses en créant un journal spécialisé du Monde rural, donc de l’Agriculture. Une première, dans la région de Gao tout au moins, qui nous a fait considérer notre initiative comme une graine qu’on sème et dont on espère des fruits.
Présentez-nous « Graine d’espoir » (Rubriques, nombres de pages, tirage) ...
Graine d’espoir est née initialement dans le style revue : 20 pages sur format A4 avec la couverture en quadrichromie et les pages intérieures en noir et blanc. Le mensuel est tiré à 1000 exemplaires et distribué partout au Mali. Il traite essentiellement des questions directement liées au monde rural (agriculture, élevage et pêche,environnement) et au développement local. Nous avons des rubriques permanentes telles que "Développement local", "Science et Développement", "Sécurité alimentaire", "Environnement", "Formation". Au bout de trois années d’existence, nous avons naturellement accumulé un certain nombre d’enseignements. Et, nous nous engageons à les capitaliser au fil du temps et en fonction des moyens de bord. C’est ainsi qu’à partir de juin 2010, par exemple, nous avons changé de format et de pagination. Nous paraissons désormais dans le format A3 sur du papier journal « classique » et en huit pages. Ceci dit, rien n’est absolument définitif ; tout dépend de l’évolution de ces mêmes facteurs qui ont présidé à la création du journal. La moindre « éclaircie » dans leur paysage est susceptible de nous inspirer quelques innovations, toujours dans le souci de mieux servir, conformément à nos objectifs.
A qui est principalement destiné ce mensuel ?
Graine d’espoir est destiné d’abord à tous ceux qui vivent par et pour le monde rural ou gravitent autour de lui : les agriculteurs bien sûr, les politiques qui votent les lois et empruntent au nom du monde rural, les partenaires au développement qui financent le secteur pour aider le pays, les chercheurs du domaine qui cherchent à améliorer les performances, les techniciens et autres agents de projets et programmes qui ont pour raison d’être de développer les filières, les organisations de la société civile (associations, ong, etc.) qui intercèdent dans le secteur. Mais, au-delà, Graine d’espoir s’adresse au citoyen lambda qui, à mon sens, a, à la fois, le droit d’être informé et le devoir de se former en s’informant par rapport à un domaine d’activités précis de la communauté dans laquelle il vit.
Les agriculteurs dont parle principalement « graine d’espoir » lisent-ils le journal qui leur est consacré ?
Je crois que la question de la lecture, tout simplement, est à la limite un problème de culture en Afrique, de façon générale. Pour la presse écrite, je peux même dire que c’est le talon d’Achille. Dans une région comme Gao, c’est encore plus aléatoire. Mais, avec le temps, les habitudes évoluent ; et j’espère qu’il viendra ce jour où nous pourrons démentir ceux-là qui pensent que « la meilleure manière de cacher une chose à un Africain, c’est de la mettre dans un livre ». Pour revenir à Graine d’espoir, je disais tantôt que dans le fond, le journal est ouvert à tout le monde ; donc il faudra un peu relativiser l’expression « consacré aux agriculteurs ». Ceci dit, pour être davantage en phase avec certains de nos objectifs en favorisant un accès direct des populations rurales (producteurs) à notre journal, même si c’est déjà le cas à travers leurs organisations faîtières, nous avons introduit dans nos colonnes quelques rubriques en ces langues locales utilisées dans les programmes d’alphabétisation. Il s’agit principalement et, pour l’instant, du Sonraï, du Tamasheq et du Peulh. Cependant, le problème de la lecture reste toujours posé. Nous continuons dons de réfléchir à des stratégies qui puissent amener à changer la donne.
Comment ce mensuel peut-il, selon vous, contribuer au développement de la région de Gao ?
Ça, vous devez le savoir autant, sinon plus que moi, puisque vous êtes aussi du métier. Je crois qu’aujourd’hui, la place et le rôle d’un média, quel qu’il soit, dans le processus de développement d’une communauté ne sont plus discutables. La question qui demeure, c’est de savoir si la communauté en question, à travers ses « élites », accorde audit média toute l’importance qu’il mérite pour en tirer le meilleur parti. Pour ce qui est de Gao en particulier, sachez que c’est une région qui a un retard de développement criard sur le reste du Mali. Son éloignement de la capitale du pays, la peur bleue qu’elle inspire du fait d’une réputation de zone d’insécurité qui lui colle et bien d’autres idées reçues font que même des Maliens la connaissent très mal, a fortiori les étrangers. Pourtant, malgré des conditions climatiques naturellement hostiles, tout y est possible. Et, quoi que l’on dise, l’avenir de Gao, à l’instar du reste du pays, est et demeure dans l’Agriculture. Mais, pour cela, il faudra vaincre les résistances aussi bien internes qu’externes en commençant, par exemple, par se débarrasser d’une mentalité d’éternel assisté qui a fini par inhiber tout sens de l’effort et du sacrifice, reconquérir l’estime de soi et de ses compatriotes en reconnaissant leurs valeurs intrinsèques et en appréciant à leur juste valeur les actes qu’ils posent. En un mot, s’aimer et aimer les autres au point de vouloir construire ensemble un toit commun qui garantisse la prospérité et le bien-être à tous. Par rapport à tous ces vastes chantiers, tant idéalistes que matérialistes, je crois que Graine d’espoir peut être d’un précieux apport. D’ailleurs, depuis sa naissance, le mensuel n’a eu cesse de dire et de répéter, chaque fois que l’occasion l’exigeait, dans les lignes de son éditorialiste, que l’une de ses missions est de mettre en exergue tous les actes et tous les acteurs qui contribuent au succès du Mali, en général, et de la région de Gao, en particulier.
Quelle place ont occupée vos expériences précédentes, en matière de journalisme, dans votre choix de créer un groupe de presse qui se consacre à l’actualité de la vie rurale dans la région de Gao? Si, par exemple, vous n’étiez pas passé par ces différentes rédactions, pensez-vous que votre ambition aurait été la même ?
J’avoue que mes expériences précédentes en matière de journalisme ont beaucoup influencé le choix que j’ai fait. Et, je ne sais pas comment me l’expliquer moi-même; le journalisme, ça me colle à la peau. Et, en le liant à un domaine d’activités spécifique et dans lequel j’ai suivi, en fait, ma formation de base, ça devient encore plus passionnant. Je considère le monde rural, et je crois que c’est un avis général, comme la fondation pour tout le reste. Si cette fondation n’est pas solide, le reste ne tiendra pas longtemps. Je crois que l’actualité de ces derniers temps ne fait que confirmer cela. Alors, je me dis que j’ai fait un choix utile. Reste à surmonter les innombrables écueils.
Que vous a apporté ce prix spécial décerné par le Jury d'Harubuntu 2008 ?
Le Prix Harubuntu 2008 nous a apporté surtout un grand réconfort en ce que, comme je viens de le dire, notre entreprise n’est pas vaine, que ce que nous faisons a de la valeur et est appréciable. Cela nous a renforcés dans notre estime de soi et augmenté notre capital confiance. C’est un peu tout cela qui nous donne, aujourd’hui encore, le moral de continuer, malgré les nombreuses difficultés.
Deux ans après la création du mensuel, quelles sont les difficultés que vous affrontez dans l’atteinte de vos objectifs ?
Ce sont les mêmes que rencontre tout organe de la presse écrite partout en Afrique : difficultés financières liées à la mévente, au manque d’insertions publicitaires, d’annonces ou autres partenariats susceptibles de générer des ressources. Pour un organe régional tel que le nôtre, il faut multiplier ces difficultés-là par dix ! Parce qu’à tout cela s’ajoute un esprit local très souvent hostile et rétrograde, qui rechigne à accepter les changements.
Quelles sont vos perspectives ?
Consolider les assises de Graine d’espoir en commençant par s’établir - sans transférer le siège - à Bamako, pour mieux se distribuer sur l’ensemble du territoire. Ensuite, chercher les moyens de mettre en œuvre les autres composantes du projet initial.
Si je vous appelle Agronome-journaliste, que me répondrez- vous ?
Moi, je suis plutôt forestier de formation. Mais, peut-être que le destin m’impose tout simplement l’appellation journaliste !
Propos recueillis par Bernado Houenoussi
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