François Milis, à propos du Concours Harubuntu
« Nous voulons valoriser l’homme dans son potentiel […] »
Harubuntu signifie, en kirundi, une langue burundaise, «A cet endroit, il y a de la valeur ». Il s’agit d’un concours conçu par Echos Communication et réalisé avec le soutien de l’Union européenne (Ue) et de l’Union africaine (Ua), depuis 2007. Il vise à récompenser, chaque année, des personnes d’origine africaine, porteurs de projets ayant fait leurs preuves sur le terrain en Afrique. A travers une interview qu’a bien voulu nous accorder François Milis, Secrétaire général d’Echos Communication, nous allons à la découverte de cette structure et des fondements du concours qu’elle promeut.
« Nous voulons valoriser l’homme dans son potentiel […] »
Harubuntu signifie, en kirundi, une langue burundaise, «A cet endroit, il y a de la valeur ». Il s’agit d’un concours conçu par Echos Communication et réalisé avec le soutien de l’Union européenne (Ue) et de l’Union africaine (Ua), depuis 2007. Il vise à récompenser, chaque année, des personnes d’origine africaine, porteurs de projets ayant fait leurs preuves sur le terrain en Afrique. A travers une interview qu’a bien voulu nous accorder François Milis, Secrétaire général d’Echos Communication, nous allons à la découverte de cette structure et des fondements du concours qu’elle promeut.
Journal Le Mutateur : Avant d’aborder les questions sur votre organisation, peut-on avoir une idée de votre parcours personnel ?
François Milis : J'ai une formation d’ingénieur agronome; j’ai fini mes études, il y a plus de 20 ans. Donc, j’étais forcément amené, par mon métier d’agronome tropicaliste, à avoir des liens avec l’Afrique.
J’ai beaucoup voyagé dès l’enfance et j’ai été toujours frappé de voir combien les gens ont des savoirs, des potentiels, des capacités. Et, selon moi, l’enjeu du développement, c’est de leur permettre de l’exprimer ; je me demandais : « Comment se fait-il que la coopération qui est un système ayant pour objectif l’expression de ces potentiels dans le monde, les valorise aussi peu par la communication ? Comment se fait-il que l’image de l’Afrique a été pendant tant d’années si misérabiliste, et qu’on regarde plus souvent tout ce que les gens ne savent pas faire plutôt que ce qu’ils savent faire ? »
Voilà des questions que je me suis posé, et je me demandais aussi : « Si on regarde toujours le manque d’une personne, est-ce que cela ne participe pas à organiser son mal développement ? Et si on regarde la capacité d’une personne, est-ce qu’on ne participe pas à l’aider à se développer ? »
Pouvez-vous nous parler, à présent, d’Echos Communication dont vous êtes le Secrétaire général ?
Echos Communication est une Ong qui fait des projets de communication sur les relations Nord-Sud, et qui met en résonance, en échos communication, comme son nom l’indique, les savoirs des gens du Nord et ceux des gens du Sud. L’idée, c’est qu’on a tous des savoirs, des potentiels, des capacités, et que l’enjeu de la Coopération, c’est d’apprendre à faire fonctionner ces savoirs ensemble.
Au lieu que ce soit l’un qui fait, et l’autre qui ne fait pas, l’un qui a et l’autre qui n’a pas, ou encore l’un qui donne son argent et l’autre qui le reçoit, on devrait beaucoup plus être dans une logique de coopération et, donc, l’idée, c’est de faire tous les projets de communication qui change les perceptions qu’on a les uns sur les autres, parce qu’évidemment, la perception qu’on a les uns sur les autres est un facteur déterminant dans les termes de la coopération.
Une Organisation non gouvernementale belge qui met en place une campagne de communication pour battre en brèche un certain afro-pessimisme en vogue, l’initiative est plutôt surprenante, car ce sont souvent des Ong africaines qui s’inscrivent dans un tel registre. Au-delà de la réflexion qui sous-tend vos objectifs, avez-vous visé une certaine originalité dans votre action ?
L’un de vos objectifs est de communiquer le potentiel de l’Afrique. Quelle est la réflexion que vous avez menée pour définir les trois objectifs qui constituent le socle de votre action ?
La réflexion c’est simple, c’est qu’il existe des tas de gens en Afrique, qui se battent, qui créent, qui inventent leur développement, mais on ne les voit pas.
Vous vous proposez d’initier des alternatives pertinentes pour changer certaines pratiques dans la coopération au développement. Quels sont ces aspects que vous voulez changer ?
Les pratiques, c’est fondamentalement qu’il est temps qu’on arrête de voir l’autre toujours en manque, il faut le voir dans son potentiel. Je vous donne un exemple très concret à travers des faits sur lesquels je m’interroge : pourquoi quand on commence un projet, on ne valorise pas plus le savoir des gens, en cherchant à connaitre ce qu’ils font déjà, avant de voir ce qu’ils ne font pas ? Regardons d’abord tout ce qu’ils font, tout ce qu’ils connaissent, toutes leurs capacités. On ne fait rien de tout cela.
Pourquoi est-ce qu’on ne passe pas plus de temps pour aider les gens à s’approprier leurs potentiels ? Il y a énormément de gens qui en Afrique qui créent, mettent en place leur développement, sont innovants, créent des dynamiques sociales. Malheureusement, on ne les fait pas connaître, plus que cela n’est fait actuellement. C’est notre idée car, pour nous, la dynamique du développement passe par cet éveil-là. Il faut faire connaître ces personnes.
C’est un challenge que vous voulez donc relever. Après vous être lancé dans cette voie depuis quelques années, le jeu en vaut-il encore la chandelle ?
Je pense que le jeu, pour permettre à tous les êtres humains et à l’Afrique, en particulier, de prendre leur place dans le monde, en vaut la chandelle. Maintenant, il y a des freins au développement de l’Afrique, car il est évident que des gens n’ont pas forcément toujours intérêt à ce que le continent se développe. Mais, malgré une telle chose, le jeu pour que chacun prenne place dans le monde en se basant sur ses potentiels, est fondamentalement essentiel. Je pense que l’Afrique a des choses à donner au monde, et elle ne peut pas les donner par une perception toujours culpabilisée, négative d’elle-même, ce n’est pas bon. C’est un élément limitant pour son développement. Oui, je crois que le jeu en vaut la chandelle.
La 1ère édition du Concours Harubuntu a connu un grand succès, en témoignent les centaines de candidatures enregistrées et la mobilisation autour de ce événement de personnalités de la coopération internationale et d’artistes africains. Pourquoi avoir choisi de renforcer la dimension humaine dans le choix des lauréats d’Harubuntu 2009, face à la dimension du projet, idée qui prévalait lors de la 1ère édition ?
Ce n’est pas vrai, il n’y avait pas de dimension projet qui prévalait lors de la première édition. On a toujours regardé l’homme, d’une part, et les actions qu’il porte, d’autre part. Ce qui nous intéresse, c’est de regarder les potentiels humains. Et, donc, on voit l’homme dans ses capacités, dans l’expression de ses potentiels et puis, dans la dynamique que cela crée collectivement. Et, donc, moi, je ne ressens absolument pas que l’année passée, on regardait plus la dimension ’’Projet’’. On a toujours été des gens qui cherchent à identifier le potentiel humain et, donc, dès la première édition, c’était le cas. Evidemment, on est bien d’accord, il y a toujours un lien entre l’homme et son projet, il y a toujours une double dimension ; on ne peut pas nier cela. Mais, on a toujours regardé l’homme.
Depuis la 1ère édition, les lauréats sont choisis dans les catégories ’’Entrepreneuriat’’, ’’Autorité Locale’’ et ’’Société Civile’’. D’autres seront-elles instituées lors des prochaines éditions ?
Je ne peux pas m’avancer sur cela actuellement, car c’est au Jury d’en décider.
Ces trois catégories qui existent actuellement suffisent-elles pour mettre véritablement en exergue le potentiel dont regorge le continent africain ?
Cela dépend de comment on regarde la question du potentiel. Si on la voit sous un angle financier, ou naturel, ou en termes de ressources économiques, la réponse est non. Si on juge le potentiel sous l’angle humain, ce sont trois axes qui en valent la peine. Les hommes qui peuplent l’Afrique méritent de l’intérêt. Notre angle à nous, c’est le potentiel humain, c’est aider l’Afrique à prendre conscience de ses potentiels humains et, avec cet angle, ces trois axes importants.
Quels sont les lauréats du Concours Harubuntu 2009 dans ces trois catégories ?
Nous avons Mostafa Maataoui, Maire de la Commune de Sidi Bouhmedi au Maroc, pour la catégorie ’’Autorité Locale’’, Serges Vyisinubusa, qui s’est vu décerner le Prix ’’Entrepreneuriat’’, pour le projet du barrage de Tsonga au Burundi, et Jacqueline Uwimana pour l’Association Umuseke au Rwanda.
Les coups de cœur sont Mireille Rolande Critié pour le Projet d’éducation à la citoyenneté en Côte d’Ivoire, Assane Awe pour le Centre ’’Arafat Excellence’’ au Sénégal et Emmanuel Kabengele pour le Programme de Concertation en République Démocratique du Congo.
Pourquoi le Jury choisit-il trois coups de cœur, en plus des trois lauréats ?
Nous cherchions deux types de valorisation. Une par l’argent, mais aussi une valorisation par la visibilité, par la mise en relation avec le Nord. Et, nous pensons que cela ne nous coûte pas grand’ chose, en plus d’offrir une plus large visibilité à trois acteurs supplémentaires car, vu la richesse des candidatures, cela vaut la peine d’être fait.
L’une des conditions pour voir son projet être retenu à l’issu de la présélection est de résider en Afrique. Cela exclut donc, d’office, les Africains de la diaspora qui initient des projets pour apporter un mieux-être sur le continent, dans leurs pays respectifs. Est-ce une volonté de marquer votre différence par rapport aux autres concours qui se proposent de mettre en valeur les actions de développement en Afrique ?
Non, fondamentalement, ce n’est pas cela. Nous avons pensé à ce critère-là, parce que nous avons estimé que c’était intéressant de voir ce que des Africains, localement, faisaient pour leur développement et comment ils valorisaient leurs potentiels et leurs capacités.
Echos Communication est en partenariat avec Cités et gouvernements locaux unis d’Afrique (Cglua). Cette organisation panafricaine se propose de mener le développement africain à la base. Quelle partition jouez-vous dans ce partenariat, vu la mission que s’est assigné le Cglua ?
Nous nous chargeons de la majeure partie de l’organisation concrète du Concours Harubuntu. Le Cglua est un réseau puissant, qui nous paraît passionnant par le côté décentralisation, le côté collectivité locale et toute une série d’aspects qui nous intéressent. Le Cglua est proche des maires, des collectivités locales africaines et des citoyens africains, et ces aspects nous plaisent beaucoup.
La remise des prix aux lauréats 2009 aura lieu dans le cadre du sommet Africités de Marrakech, en décembre au Maroc. Africités étant un évènement se tenant tous les trois ans, est-ce un partenariat qui concerne uniquement le déroulement d’Africités au Maroc ?
A priori, je ne vois pas pourquoi cela s’arrêterait. C’est le Jury qui va statuer là-dessus. Ce partenariat est intéressant donc, a priori, il va continuer, il n’y a pas de raison de l’arrêter.
Et si vous deviez conclure notre entretien. Quel serait votre dernier mot ?
Je pense vraiment que la vision proposée par Harubuntu est la vision du futur pour la Coopération et que, tôt ou tard, elle se mettra en place. Je pense qu’il est vraiment temps que l’Afrique soit connue dans sa créativité, et qu’on regarde l’homme et ses potentiels et que, d’une manière ou d’une autre, ce chemin devra se faire. Maintenant, cela peut prendre un peu de temps, pour la coopération au développement. Mais, ce chemin devra se faire.
Propos recueillis par Bernado Houènoussi
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