dimanche 20 décembre 2009

Africités 5 à Marrakech


Mamadou El Hadj Kane, Maire du Village de N'gor

Concours Harubuntu des Porteurs d’Espoir en Afrique

A la découverte de Mamadou El Hadj Kane

Maire du Village de Ngor au Sénégal, Mamadou El Hadj Kane est le lauréat 2008 du Concours « Harubuntu » dans la catégorie « Autorité Locale ». Dans ses réponses à nos questions, il faut sentir une personnalité pleine de ressources.

Journal Le Mutateur : Pouvez-vous rappeler à nos lecteurs le problème auquel était confronté la plage de N’gor ?



Mamadou El Hadj Kane : Quand nous sommes arrivé à la tête de la collectivité locale en 2002, le constat qui se dégageait était que la plage de N’gor était jonchée d’ordures ménagères et de sachets plastiques. Mais, parallèlement, il y avait des cas de noyade, qui étaient constatés par les sapeurs pompiers et, chaque année, on enregistrait des morts. En général aussi, ce sont les jeunes qui prennent l’initiative d’installer des tentes qu’ils louent sur les plages, afin de se faire un peu d’argent. Et, la plage est également le lieu de travail des pêcheurs. Il y a aussi le fait que N’gor est un site touristique où cette activité a démarré en 1952 par la construction de l’hôtel N’gor Dia Rama. Et, quand nous sommes arrivés, il fallait trouver des solutions à ces différents problèmes parce que la fréquentation de la plage était forte mais on notait aussi ces cas de noyade.


Parlez-nous maintenant du projet qui vous a valu d’être distingué par le jury d'Harubuntu 2008 ...


C’est ainsi qu’au niveau du Conseil municipal, nous avons réfléchi et conçu un projet de mise sur pied d’un comité de gestion participatif. Nous avons estimé que certaines mesures radicales ne pouvaient atteindre les résultats escomptés. Nous avons convié à une réunion toutes les parties prenantes, en l’occurrence, l’association des jeunes plagistes, celle des pêcheurs, et les hôteliers, dans un cadre de concertation qui nous a permis de mettre sur pied ce Comité de gestion, piloté par la Mairie. Le président de ce Comité était, en même temps, celui de la Commission « Environnement-Pêche » de la Mairie, et il était accompagné dans cette tâche par son adjoint et par le comptable de la Mairie. Chaque entité, c'est-à-dire la Mairie et les associations des jeunes plagistes et celle des pêcheurs, avait délégué trois membres qui ont constitué le Comité de gestion. Dans le même temps, le Comité de gestion a pris l’initiative de faire appel aux sapeurs-pompiers pour la formation de vingt-cinq (25) jeunes aux métiers de sauvetage et de surveillance de baignade, afin que nous n’ayons plus ces cas de noyade. Vingt cinq (25) autres jeunes ont été engagés pour la collecte des ordures et déchets qui encombrent la plage, et pour le nettoyage quotidien de celle-ci. Une fois la mise en place de tout cela terminé, nous avons créé une taxe sur l’environnement, en tenant compte des textes qui régissent la décentralisation. Tous ceux qui viennent sur la plage pour diverses choses payent obligatoirement, avant d’y accéder, une somme de 200 Fcfa. C’est la plage l’a plus fréquentée à Dakar, car nous accueillons entre cinq mille (5000) et sept mille (7000) excursionnistes, durant les grandes vacances. Et, la collecte de ces fonds nous permet de faire fonctionner ce Comité de gestion. Comme vous le voyez, nous avons fait d’une pierre deux coups en réglant les problèmes de la plage et en créant cinquante emplois pour des jeunes. C’est donc cela qui nous a valu notre Prix. Et, nous comptons pérenniser cette initiative et, ce, au moins jusqu’au terme de notre mandat.



Votre initiative porte donc sur une gestion collégiale de la plage de N’gor dont vous êtes un élu. La mobilisation des populations autour du projet est-elle toujours la même ?



Au début, c’étaient des intérêts divergents qui étaient en place et, le plus difficile était de convaincre les uns et les autres, afin qu’ils y adhèrent. Mais, l’investissement et la persuasion que nous y avions mis a rassuré les différents protagonistes et le résultat est là. Tout le monde y adhère et s’est approprié le projet. Imaginez-vous qu’avec cela, un jeune qui était au chômage, a la possibilité d’avoir, pendant cinq (05) mois par an, le salaire moyen d’un fonctionnaire au Sénégal. Ce n’est plus maintenant un projet de la mairie, et ils se le sont appropriés et, c’est l’essentiel afin qu’ils puissent le défendre au maximum.



Les résultants qui ont été obtenus vous ont-ils incité à proposer votre projet à d'autres élus locaux du Sénégal dont les localités sont confrontées au même problème que la plage de N’gor ?



Nous ne sommes par allés jusqu’à proposer ce modèle à d’autres collègues. Mais, il y a des maires qui se sont rapprochés de nous, en l’occurrence, le Maire de Point E, qui se trouve dans le Département de Dakar, qui aimerait mettre en branle un tel projet dans sa commune. Il y a eu des réunions entre les commissions « Environnement » des deux mairies, et je pense que le fait de mobiliser les personnes sur les projets est une option que nous avons faite et elle ne concerne pas uniquement la gestion de la plage de N’gor. C’est ainsi que nous avons eu, au début de notre mandat, à régler le problème de l’assainissement au niveau du village. Aussi bien cet aspect que celui concernant l’eau constitue des contraintes pour les communes africaines. Nous avons pu, avec un financement de trois cent millions (300.000.000) de F Cfa de la Banque mondiale, régler le problème de l’assainissement, par un système nouveau qu’on appelle « Survie Collectif », qui nécessitait la mobilisation de toutes les familles de la commune, afin qu’elles y soient connectées. Par la stratégie de mobilisation générale, nous avons pu faire adhérer tout le monde au projet. Mais, cela ne suffit pas, car il faut que la Mairie, avec ses propres moyens, participe à l’accompagnement de ces populations, ce qui fait que, là où, pour être connectées, les populations devaient payer une somme de vingt-deux mille (22.000 ) F Cfa, la Mairie a fait une subvention de dix millions (10.000.000) de F Cfa, qui a permis de faire baisser cette souscription à sept mille cinq cent (7.500) F Cfa. Donc, il faut que les autorités locales fassent des efforts, afin de faire adhérer les populations à leurs projets.



Une année s’est écoulée depuis votre consécration. Avec le recul, quelles sont vos impressions ?


Mis à part le Prix Harubuntu qu’on reçoit, lors d’une cérémonie officielle, il y a un accompagnement qui est fait par l’ONG belge, Echos Communication. C’est ainsi que, il y a quinze (15) jours, Echos Communication a fait venir sur la plage de N’gor une équipe de la Radio Télévision Belge de la communauté francophone (RTBF), pour trois séries d’émissions, en direct. Cette diffusion nous a permis d’avoir une meilleure visibilité, au niveau de ce pays. Au cours de ces émissions, des personnalités locales ont été invitées. Il est aussi à noter que les décideurs de la Commune, tels que la chefferie traditionnelle, les médecins, ont bénéficié d’une formation sur les neurosciences. Il est possible que cet accompagnement nous permette d’avoir, dans l’avenir, d’autres retombées au niveau de notre Commune, par exemple, par le fait que nous pourrions avoir de nouveaux bailleurs de fonds.

Auriez-vous d’éventuelles suggestions à formuler aux promoteurs du Concours Harubuntu ?



Ce Concours ne s’intéresse qu’à l’Afrique francophone, pour le moment. Et, à mon humble avis, il est temps qu’il regarde aussi du côté de l’Afrique anglophone, lusophone, par exemple, car l’Afrique est une et indivisible. Il est temps d’y associer les pays de ces zones linguistiques, afin de donner à ce Concours une envergure mondiale. Et, je pense que, Echos Communication est déjà dans cette dynamique, à travers l’antenne qui a été installée, depuis un an, à Rabat au Maroc, et qui pourra faire la promotion du Concours en Afrique.

Quels sont les autres problèmes auxquels est confrontée votre municipalité ?


Les problèmes sont innombrables. La question fondamentale en Afrique, maintenant, est l’emploi des jeunes, même si ce n’est pas une compétence transférée. Et, pour le cas de mon pays le Sénégal, et, ce, lors de la campagne précédant les dernières élections locales du 29 mars 2009, les différents contacts que nous avons eus avec la population, les jeunes, nous ont permis de voir que c’était l’une de leurs préoccupations majeures. C’est pourquoi, nous avons pris l’engagement d’organiser un forum avec tous les opérateurs économiques de notre zone, parce que nous avons la chance d’être dans une commune qui est la plus prisée par les touristes qui viennent à Dakar, à cause de la plage. Et, nous avons aussi l’opportunité d’avoir des services de l’administration publique sénégalaise qui s’installent, de même que des institutions bancaires. C’est l’une des rares communes de Dakar qui a une extension, une réserve foncière qui nous permet d’avoir toutes ces infrastructures. Et, en relation avec tous ces jeunes et ces différents opérateurs économiques, il est possible de concevoir un projet qui puisse permettre aux jeunes de s’intégrer dans le circuit de l’emploi. Indépendamment de cela, il y a des difficultés, car comme pour toutes les communes du Sénégal et, principalement à Dakar, il y a la récurrente question de l’énergie. Il y a un problème au niveau de la société chargée de l’électricité, l’éclairage public fait défaut dans la quasi-totalité des communes de la région de Dakar. La conséquence, c’est l’insécurité dont la gestion retombe sur les maires qui n’en sont pas responsables. Le programme mis en place par l’Etat sénégalais pour éradiquer ce problème, je l’espère, règlera cette question. Les problèmes sont complexes, on peut en parler toute une journée, et nous devons redoubler d’efforts, pour prendre à bras-le-corps le développement local de nos communes.


Nous sommes actuellement à Marrakech où se déroule la cinquième édition du Sommet Africités, qui regroupe les élus locaux du continent africain. Avez-vous participé à certaines sessions de cette rencontre ?



J’ai participé, depuis que nous sommes là, à des rencontres sur des thèmes précis. C’est ainsi que j’ai pris part, particulièrement, aux activités organisées par Echos Communication qui, en réalité, a pris en charge toutes les dépenses entrant dans le cadre de ma présence à Marrakech. L’une de ces activités avait rapport au leadership que devait développer l’élu local pour prendre à bras le développement local. Les discussions étaient très animées, et je pense que tout ce qui a été dit, avec des exemples précis concernant nos expériences personnelles, en tant que Maire, par moi et par Mostafa Maataoui, le Lauréat 2009, dans la catégorie "Autorité Locale" du Concours Harubuntu, pourraient servir à d’autres pour faire de la participation et de la mobilisation sociale des populations un credo pour la mise en branle de certains projets.


Avez-vous un dernier mot à ajouter ?


Je félicite le Maroc car l’organisation de cette rencontre qui a regroupé environ cinq mille (5000) personnes est parfaite. J’ai une expérience de ce genre de rencontres, car j’ai la chance de travailler aussi au ministère sénégalais du tourisme. Ce n’est pas une mince affaire. J’en profite pour annoncer que le Sénégal est candidat pour l’organisation de la prochaine session. Et, je pense que nous avons les moyens hôteliers et les ressources humaines pour cela, parce que nous avons organisé en 1999 et en 2009 les sommets de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI), par exemple. Il s’agit donc de s’engager, dès maintenant, pour organiser correctement cette rencontre, pour le bien des collectivités locales africaines.



Propos recueillis par Bernado Houènoussi, depuis le Sommet Africités 5 de Marrakech, au Maroc.



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