samedi 31 mars 2018

Mina Agossi scotche et déchaîne


Dans le cadre de son second concert à l’Espace ’’Tchif’’’

La soirée du mardi 24 mars 2018 a vu se produire Mina Agossi à l’Espace ’’Tchif’’ de Cotonou. Appuyée de trois musiciens et, circonstanciellement, d’un slameur, elle a fait remarquer la maturité d’un talent bien cultivé, au fil des années.

Mina Agossi et son équipe sur scène ...
’’I don’t want to be alone, ’’Si bien’’, ’’Otto dagbé’’, ’’Urbafrika’’, ’’Azossè’’. Quelques-uns des morceaux que la chanteuse béninoise de jazz, Mina Agossi, a exécutés, au cours du second concert qui l’a vu se produire le samedi 24 mars 2018, en soirée, à l’Espace ’’Tchif’’, sis quartier Guinkomey, à Cotonou. L’ont accompagnée sur scène le batteur béninois Jean Adagbénon, le guitariste bassiste Eric Jacot et le percussionniste spécialiste du tam-tam ’’ka’’, le Guadeloupéen Laurent Succab. Pour exécuter, en duo, avec elle les deux morceaux intitulés ’’Femme de lumière’’ et ’’Eventail de femmes’’, en hommage, comme cela s’entend, à la femme, Djamile, le slameur, s’est mu dans une improvisation qui a fait fondre les cœurs. 

... avec, de gauche à droite, Djamile, Jean Adagbénon, Mina Agossi, Eric Jacot et Laurent Succab
De sa voix forte et mélodieuse, harmonica, à des moments, elle a mis le public en émoi, surtout par l’exécution des morceaux en langues nationales. L’harmonie entre Mina Agossi et son équipe était si réussie que le public a eu du mal à se détacher de son siège, le concert terminé : le ’’scotchage’’ ! Ensuite, même le concert clos par Mina Agossi, ses trois instrumentistes sont restés en effervescence, en transe : le déchaînement. Mina Agossi, la perle musicale d’Azowlissè, qui reste à ne pas être prophète chez elle. A quand le changement ?

Marcel Kpogodo

mardi 27 mars 2018

« […] cette demande du Bénin procède du plus grand projet de développement culturel qu’un Etat africain ait entrepris … », dixit Ousmane Alédji


Dans le cadre d’une interview exclusive accordée par la personnalité

S’il est une voix autorisée qu’on devrait plus entendre sur le dossier de la demande par le Bénin de la restitution par la France des biens culturels emportés pendant la colonisation, nous avons celui qui est à la fois comédien, metteur en scène, dramaturge, promoteur culturel béninois et gestionnaire d’un groupe de presse : Ousmane Alédji. La considération que cette personnalité fait à notre Rédaction d’une nouvelle rupture de son silence sur la question est à la mesure d’une défense fine et pointue de ce projet de restitution, piloté par le Gouvernement du Président Patrice Talon, par des arguments de poids, fondés sur une maîtrise sans pareille de tous les types d’environnements humains et de sites, concernant la question. Au Centre culturel ''Artisttik Africa'', découverte, à travers cette interview exclusive, d’une argumentation surprenante, menée par un tempérament de bulldozer, muni d’une démarche pragmatique, qui, notamment, font exploser la réflexion sur le sujet …

Ousmane Alédji
 Journal ’’Le Mutateur’’ : Bonjour Ousmane Alédji. Vous êtes une figure majeure du théâtre béninois. Vous êtes, en outre, le fondateur et le promoteur du Centre culturel ’’Artisttik Africa’’, installé à Cotonou. Et, ce n’est pas tout. C’est, du reste, à ce titre que nous vous recevons pour vous entendre, vu que vous ne parlez presque plus, depuis quelques mois.

M. Alédji, l’opinion nationale veut vous entendre vous prononcer, plus amplement, après votre passage sur Rfi, sur la question de la rétrocession des biens culturels au Bénin par la France. Merci d’avoir accepté de répondre à nos questions.


Ousmane Alédji : Tout l’honneur est pour moi.


M Aledji, le 26 août 2016, le Gouvernement béninois, pour faire suite à une décision du Conseil des Ministres, a adressé, à la France, une demande de restitution des biens culturels pillés pendant la colonisation. Selon vous, que faut-il comprendre par cette initiative ?

D’abord, c’est une première en Afrique. Je profite de votre micro pour féliciter le Gouvernement béninois et son Chef. Il y a quelques années encore, on ne pouvait pas imaginer un Chef d’Etat africain dans cette posture-là. C’est rare, un Président qui ne tremble pas quand il s’agit d’aller, de se tenir devant nos partenaires. La demande du Bénin est une première historique qui mérite d’être soulignée et appréciée. Ceci, d’autant plus qu’aujourd’hui, les échanges Nord-sud, Afrique-France, les échanges entre la France et l’Afrique au sud du Sahara, précisément, sont en débat. J’apprécie que le Bénin prenne le leadership dans cette démarche-là. C’est une posture majeure et une démarche risquée, il faut le dire.


Risqué pour qui et pourquoi ?

Pour le Chef de l’Etat ! C’est d’abord lui qui en répond. Cette démarche est très mal vue par des gens dont la capacité de nuisance est connue. Tout le monde vous voit, parle de vous, vous menacez des intérêts, vous dérangez des chapelles et des religions. Il y a une partie de l’élite française et quelques vieux conservateurs de la classe politique française, par exemple, qui agressent carrément son propre Chef d’Etat ; vous imaginez comment cette élite traite le nôtre. Bref ! Pour vous répondre, en une phrase, cette demande du Bénin procède du plus grand projet de développement culturel qu’un Etat africain ait entrepris depuis ces cinquante dernières années.


Vous êtes sérieux, M Alédji ?

Absolument ! La démonstration va être longue, mais je peux vous la faire, si nous en avions le temps.


Un projet de développement d’un pays africain qui dépend encore du bon vouloir de la France ?

Pardonnez-moi, cher ami, ne soyons pas naïf. Nous sommes, dans le cas d’espèce, confrontés à la réalité de nos relations avec notre ancien colonisateur. Je me garde de remuer le couteau dans la plaie. Mais, c’est évident que si ce débat a lieu, c’est bien parce que ce colonisateur s’est approprié, jusqu’à présent, indument et impunément, nos biens, et que rien ne s’est passé, que personne n’a jamais bronché.  La demande du Bénin, même tardive, répond à ses besoins de développement. « Le bon vouloir de la France », comme vous dites, est-il nouveau ? A-t-il jamais dérangé quelqu’un ? Pour une fois que nous ne sommes pas en posture de mendiant mais d’ayant-droits, pour une fois que nous réclamons ce qui nous est dû, nous devrions avoir des scrupules alors que nous n’éprouvons aucune gène à quémander, devant caméras et micros ?


Avons-nous des chances de voir cette réclamation aboutir ?

Ça reste un combat. Nous bénéficions, me semble-t-il, et c’est heureux de le constater, d’une disponibilité d‘esprit des plus hautes autorités françaises et de l’actuel Président français, M. Emmanuel Macron. Je crois que si nous nous prenons au sérieux, nous allons y arriver. Tout est une question de pédagogie et d’organisation. Je suis optimiste.


Si nous nous prenons au sérieux, dites-vous… Qu’est ce que cela implique ?

Cela implique, pour nous, Béninois, d’être en responsabilité vis-à-vis de cette posture et d’accompagner le Chef de l’Etat dans cette démarche. Nous devons être à la hauteur de la réputation de notre pays ; un pays réputé très riche cultuellement et culturellement, avec un patrimoine culturel unique, varié et dense. Chaque Béninois doit s’engager et fournir l’effort nécessaire pour la conservation, la préservation et la promotion de ce patrimoine ; je parle d’une dynamique participative portée par tout béninois, même le plus modeste.


Pour ceux qui ne comprennent pas grand-chose à la question de la demande par le Bénin de la restitution de ses biens pillés pendant la colonisation, qu’est-ce que vous avez à leur en expliquer ? Cela veut dire quoi pour le Béninois lambda ?

Pour faire simple, la guerre coloniale que la France a livrée au Bénin n’a pas fait que des dégats économiques, que des victimes humaines ; elle a fait aussi des dégats d’ordre spirituel et d’ordre patrimonial et culturel. Et, dans cette dimension, il y a le vol – c’est le mot qui convient, même si ça déplaît – de nos objets, de quelques objets sacrés, de quelques objets à caractère symbolique, de quelques objets à caractère artistique pur. Tous ces objets anciens qui témoignent du foisonnement de notre richesse artistique et culturelle, de l’époque, toutes ces richesses ont été emportées, tous ces objets ont été emportés par la France. Donc, en plus des cadavres qu’ils nous ont laissé enterrer par nous-mêmes, ils ont emporté avec eux ces objets sacrés, symboliques à valeur de trésors nationaux. Je parlais du plus grand projet de développement culturel de ces cinquante dernières années …
Aujourd’hui, le Bénin réclame que ses trésors lui soient restitués, dans la perspective de les restaurer et de les installer dans les musées prévus par le Programme d’actions du Gouvernement (Pag), en vue d’enrichir et de doper son offre touristique. Voilà, simplement expliquée, la situation. Cela respecte, bien sûr, différents protocoles ; je crois savoir que nous sommes sur la bonne voie.


Le 12 décembre 2016, un refus catégorique a été opposée par la France à cette demande et, plusieurs éléments d’observation montrent que le Bénin a opté pour la négociation : « […] nous sommes en concertation », a affirmé l’ex-Ministre de la Culture, Ange N’Koué, le 29 mars 2017, dans une interview que lui a accordée ’’Le Monde Afrique’’. « Nous sommes dans une démarche de négociation, de coopération, […], a déclaré, à ce même propos, le Président Talon, le lundi 5 mars 2018, à l’Elysée, à Paris, dans sa conférence de presse conjointe avec le Président Emmanuel Macron. Ne pensez-vous pas que la porte de sortie pour le Bénin se trouve ailleurs que par la négociation ?

Non, non, pas du tout ! C’est la meilleure porte de sortie : la négociation ou, si vous préférez, la diplomatie. La démarche, comme l’a dit le Chef de l’Etat béninois, n’est pas une démarche de pugilat, agressive ; on n’est pas dans un bras-de-force, dans des rapports de force ou l’on va devant la justice. Il me semble que ce sont les humains qui font les lois. Donc, je place une bonne entente au-dessus des lois. Les valeurs qui nous irriguent et notre histoire commune, français et béninois, nous obligent à la courtoisie et à la retenue. C’est seulement quand nous nous serions montrés incapables de bons procédés et d’élégance que nous pourrons envisager des choix contraignants. Je vous invite à considérer que la réponse faite au Bénin par l’ancien ministre français, Jean Marc Ayrault, est caduque, donc derrière nous.


S’il y avait d’autres Jean-Marc Ayrault pour bloquer ce projet, comment allons-nous nous y prendre ?

Faisons confiance, pour l’instant, à nos deux Chefs d’Etat, MM. Talon et Macron. Ils ne sont pas dupes, je ne crois pas. J’entends bien les frayeurs, notamment, de ces conservateurs indélicats à nous obliger à rouvrir des placards détestables pour les horreurs qu’ils couvent. Dans ce registre, singulièrement, je crois que leur Président, quoique jeune, a une sacrée avance sur eux.
Je pense même que la réponse de M. Macron est le signe d’une hauteur d’esprit, et d’une vision, somme toute, rafraichissantes. Il est tout simplement admirable. Enfin, jusqu’à ce qu’il me donne des raisons de dire le contraire, je l’observe et, il me plaît, il me plaît.


Apparemment, faire rapatrier ces biens culturels illégalement emportés constitue un véritable défi, étant donné qu’au moins 5000 pièces sont réclamées. Quel prix le Bénin doit-il payer pour relever ce défi ?

D’abord, les statistiques ne sont pas exhaustives, elles sont à relativiser, à la hausse ou vers le bas, mais on est dans les normes, on sait à peu près de quoi il s’agit. Comme l’ont suggéré les Chefs d’Etat, je pense que d’ici à quelques semaines, on verra naître une Commission mixte franco-béninoise pour étudier, pour réfléchir, avec beaucoup de calme et de sérieux, sur les statistiques, sur comment procéder à l’identification des objets, comment les répertorier, en dresser la liste et, après, réfléchir sur les modalités de leur restitution.


Le préalable, comme beaucoup le disent, c’est d’abord des infrastructures dignes du nom, pour accueillir ces œuvres …

Je travaille sur l’environnement culturel béninois depuis trente ans, c’est la première fois que j’ai une projection du développement culturel de notre pays sur cinq, dix ans ; je peux vous dire que, si on y arrive, quelle que soit la valeur des objets, d’où qu’ils viennent, le Bénin sera capable de les loger, de les installer, de façon à ce que même le monde entier se déplace vers la destination ’’Bénin’’. C’est ce qu’on souhaite. Personne ne dit qu’on ira reprendre nos objets pour venir les réinstaller dans la poussière et les abandonner aux termites. Même moi, je ne serais pas d’accord, si c’était cela la démarche. Mais, non ! Maintenant, on y est, on est prêts, mais il reste les débats sur les prétextes qu’on avance ; ces débats-là, pour moi, sont de faux débats parce que, de toute façon, sur le principe, ces objets nous appartiennent ! Un autre principe sur lequel nous pouvons aussi nous entendre, entre nous, ici, citoyens béninois et Gouvernement : « Si vous voulez vraiment qu’on vous accompagne, M. le Président de la République, MM. les Ministres, donnez-nous la garantie que les objets que vous réclamez, que ces objets, revenus au pays, ne seront pas abandonnés ou entassés dans des bois ou dans des cantines pourries ». Je crois que critiquer publiquement cette démarche du Gouvernement, c’est travailler contre notre pays.


On a l’impression que le Bénin n’a les moyens de cette récupération parce qu’il n’y a même pas d’infrastructures pour accueillir ces objets, il n’existe pas d’infrastructures aux normes internationales requises …

Nous avons tous fait ce constat alarmant, d’où la pertinence des projets contenus dans le Pag, d’où la pertinence, pour nous, de nous engager et d’amener le Gouvernement à réaliser ces infrastructures en respectant les normes de modernité requises. Cela dit, le manque de cadres ou d’infrastructures ne saurait justifier le refus de l’autre.


Certains de vos collègues émettent des réserves, d’autres sont carrément contre la démarche du Gouvernement.

J’ai entendu une ou deux colères se répandre sur la place publique. Il ne faut pas leur en tenir rigueur. J’aurais peut-être fait de même si je n’avais pas connaissance des détails du Pag. Là, j’essaie de les convaincre avec les arguments qui sont les miens pour les rallier à la cause. Ce sont des artistes majeurs dont la voix porte.


Essayez avec nous, M Alédji, faites comme s’ils vous écoutaient. Imaginez qu’ils soient avec nous ici. Ils vont vous lire.

Bien, vous m’aurez cherché. (rires) Alors, le Pag est pensé pour être exécuté suivant un calendrier étalé sur cinq, voire dix ans, en réponse, entre autres, au manque d’infrastructures professionnelles adaptées à nos besoins. J’insiste, à tous nos besoins, y compris les musées et les cadres susceptibles d’héberger, dans les mêmes conditions techniques et sécuritaires qu’ils ont en Europe, les objets que nous réclamons à la France. Ce travail a commencé et avance à grands pas.
De la même façon que nous commençons à réclamer nos biens, nous avons conscience que cela va mettre des mois, pourquoi pas des années ? L’ingéniosité de la démarche béninoise est son caractère anticipatif. Je veux dire, le fait d’adresser à la fois une demande de restitution à la France et de lancer les études de faisabilité pour la réalisation des musées d’Abomey, de Porto-Novo, d’Allada et de Ouidah, procède de la mise en œuvre cohérente et accélérée du Pag. Notre souhait est que les deux démarches aboutissent en même temps. Imaginez qu’au même moment où nous allons finir la réalisation de ses projets phares, que nos objets reviennent ; la boucle sera parfaitement bouclée, puisque tout va être harmonisé. Mais, si l’on ne démarre pas cela maintenant, on va finir les infrastructures et, c’est en ce moment qu’on va lancer la procédure pour la restitution des biens et, cela peut durer une éternité, avec le risque que l’on transforme ces infrastructures coûteuses en des palais de congrès et pour quelques réunions et cochonneries politiques. Donc, on anticipe pour gagner du temps. On ne va pas nous faire le procès d’avoir de la vision, de développer une capacité d’anticipation. Je crois que nous devons faire comprendre aux gens que l’aujourd’hui est un constat, mais que demain se rêve ; et il faut le rêver grand, sinon nous ne méritons pas d’être sur terre. Celui qui n’est pas capable de rêver et de rêver grand est indigne du souffle que Dieu lui prête. Sérieusement !


Peut-on avoir une idée sur les projets du Pag qui permettent de nous rassurer que quelque chose se prépare pour accueillir ces biens, au cas où la procédure aboutirait ?

Bien sûr ! Je sais que sur Abomey, par exemple, il y a le projet d’un vaste musée, avec une arène des vodouns non masqués. Il est très avancé, les études de faisabilité sont lancées, bientôt, on va entrer dans la phase de la réalisation physique de l’ouvrage. Il en est de même à Porto-Novo avec une arène des vodouns masqués. Il y a ensuite Allada et, surtout, Ouidah où se trouvent les forts anglais, français et portugais, qui seront exhumés des décombres dans lesquels ils sont abandonnés. Il y a un vaste projet concernant la restauration de la cité historique de Ouidah, avec tout ce que cela comporte comme ambition d’en faire une destination touristique majeure. Donc, il y a deux ou trois musées qui vont s’installer dans cette ville, si l’on compte le fort portugais qui est actuellement le musée de la ville de Ouidah. Et, un autre musée sera implanté, à quelques encablures de la ’’Porte du non retour’’ avec une arène où vont se dérouler les rituels de la fête du 10 Janvier, etc. C’est du concret, tout ça. Et, on ne réalise pas de tels projets en un claquement de doigts.


A combien de milliards s’évaluent les quatre pôles muséaux du Pag ?

Pour tous les projets touristiques du Pag, on tourne autour de 600 milliards de Francs Cfa. J’avais fait un certain procès au Gouvernement, à une époque ; je ne comprenais pas pourquoi il ne mettait en avant que le secteur touristique. Je pense toujours qu’il faut mettre tout le secteur culturel sur la table et dire : « Le Bénin, pour les cinq années à venir, met 1000 milliards dans son secteur culturel ! Aucun Etat, en Afrique, au sud du Sahara, n’a fait, ne fait ça ! C’est une première mondiale ! C’est mille milliards sur cinq ans! ». En matière de chiffres, le Bénin a de quoi calmer les sceptiques.


Les quatre grands musées prévus par le Pag seront des infrastructures gérées par l’Etat. Or, nous savons que ce que gère l’Etat laisse à désirer, en matière de résultats économiques. Est-ce qu’il n’est pas mieux que les Français gardent nos biens et nous envoient des ristournes de la visite de ceux-ci dans leurs musées, ce qui nous permettra de financer notre développement culturel ?

En gros, que les autres travaillent pour nous parce que nous en sommes incapables … Je comprends vos appréhensions. Mais, vous savez, la mode actuelle, c’est la délégation de gestion. Pourquoi on ne le ferait pas pour les musées qu’on va construire? Et, je crois même que c’est l’option ; l’Etat va réaliser les infrastructures et, après, il va commettre des cabinets ou des bureaux, par appel d’offres, pour en prendre en charge la gestion. Si ce n’était pas envisagé, on va en arriver là, je crois.


En avons-nous l’expertise sur place ?

Là où nous n’en disposons pas, nous allons recourir aux cabinets internationaux. Mais, je crois qu’il faut apprendre à faire confiance aux Béninois, à notre capacité à faire les choses sérieusement. C’est vrai que jusqu’à une époque récente, on dilapidait les fonds, les gens étaient très peu sérieux à s’occuper du travail qui est le leur, mais les choses évoluent et évoluent dans le bon sens. Je crois savoir qu’aujourd’hui, dans le domaine des arts et de la culture, celui du patrimoine et des musées, il existe quelques compétences certaines, des expertises certaines et, si l’on les mettait toutes à contribution, on serait à l’abri des problèmes de gestion de notre patrimoine. Non. Rassurez-vous, on prendra les précautions pour que, justement, le procès qui est en train de nous être fait aujourd’hui ne revienne pas ou ne se justifie pas demain. Pour la gestion de ces infrastructures-là, je crois savoir qu’il y a une option de délégation de gestion axée sur les résultats, en termes, de chiffres, de statistiques et de manne financière pour le Trésor public.


Face aux musées béninois mal entretenus et, notamment, avec celui d’Abomey, souvent victime d’incendies et dont des pièces disparaissent, cela n’est-il pas de mauvais augure pour ces 5000 pièces qu’on espère pouvoir accueillir ?

Vous savez, si je vous réponds sur la question, on va m’accuser d’être toujours en train de jeter la pierre aux autres. Donc, je ne vais pas creuser le sujet, mais je vais l’aborder rapidement. D’abord, ce que nous avons appelé musées, jusqu’à présent, était des palais royaux et, ce sont toujours des palais. L’Etat béninois, à cause, entre autres, des nombreux programmes d’ajustement structurel (Pas) qu’on nous a infligés pendant des années, n’a jamais entrepris la construction, dans les règles, d’un musée contemporain; cela n’existe pas au Bénin, comme vous le disiez tout à l’heure. Donc, ce sont des palais qu’on a transformés et adaptés aux normes muséales, soi-disant.
Dans une démarche comme celle-là, ce qu’on adapte au concept n’est pas le concept réalisé ; il y a toujours des faiblesses ici, des fissures là-bas. C’est ce qu’on vit parce que ceux qui sont chargés de veiller sur les palais, de les entretenir, ne sont pas formés pour travailler dans des musées professionnels aux normes contemporaines. Nous avions donc une démarche biaisée. Sur le plan technique, il faut savoir que ces palais sont construits en terre rouge. Avec le temps, la poussière et l’humidité forment un dépôt dont l’acidité érode et dégrade les objets. Mais, qui sont ceux qui nous ont fait croire, qui sont ceux qui nous ont amenés à faire de ces lieux-là des musées ? Qui sont nos receleurs ? Je laisse ces questions en l’air, vu que nous savons qui nous sommes.
Donc, le procès qu’on fait à nos palais, à leur état, est un faux procès, puisque ce sont des palais, ce ne sont pas des musées ! Mais, encore une fois, sérieusement, si je vous attrape avec la couronne de mon grand père, je vous la prends. Que je la porte après sur ma calvitie ou sur mes cornes, c’est mon problème. Donc, il ne faut pas que les gens s’enlisent ; je ne crois même pas qu’ils aient les arguments suffisants pour nous faire ce procès-là.


Quand on vous écoute, on sent un homme déterminé qui maîtrise le sujet dont il parle, il reste vrai que la partie française va poser des conditions, croyez-vous que nous soyons prêts à les satisfaire ?

Sans aucun doute ! Absolument ! Je suis persuadé que les Français, ceux qui ont de la lumière, ceux qui, me semble-t-il, sont dans une option évolutive des échanges Nord-Sud et qui ne restent pas sur les legs coloniaux, vont être des interlocuteurs crédibles. A l’inverse, ceux d’entre eux qui continuent de croire que le monde est comme il était il y a deux siècles, ne devront s’en prendre qu’à eux-mêmes. Moi, je crois que nous sommes prêts. Ils savent aussi qu’à l’impossible nul n’est tenu. Maintenant, est-il bénéfique pour la France qui, de temps en temps, voit venir des réclamations, des agressions verbales, attaquée qu’elle est, de toutes parts, pour des faits historiques peu glorieux, de poser des conditions avant de restituer ces objets ? Là est toute la question.


Et quel est votre point de vue sur le sujet ?

Moi, je crois que la France a intérêt à vider le sujet de la restitution des objets, rapidement, pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’il me semble que quand des Portugais, des Espagnols, des Brésiliens, des Américains viennent en France pour aller dans les musées, ce qu’ils voient les amène à faire le procès de ce pays. Donc, cela ne glorifie pas la France. Contrairement à ce que certains croient, ils se font peut-être de l’argent, mais les gens les paient pour aller trouver des prétextes pour les insulter. Donc, cela n’honore pas la France ; la grande France doit pouvoir dépasser ça pour restaurer sa propre image, pour refaire sa propre histoire et pour éviter que des débats lourds reviennent en surface. Voilà la première raison.
La deuxième : le réalisme recommande que la France mette cela dans la balance comme un objet d’échange, comme un lieu d’échanges et de dialogue avec le Sud : « On va vous rendre vos biens mais … mais … mais … ». Donc, elle pousse les Etats du Sud à investir dans le secteur de la culture et dans le secteur du tourisme. Cela nous arrange, nous, peuples africains, que la France pousse nos dirigeants à nous construire des infrastructures capables d’accueillir nos objets, de faire des musées ici, d’élargir l’offre touristique au Sud. De ce fait, elle va reconquérir une opinion publique africaine de plus en plus critique à son encontre. La symbolique d’un tel geste lui confère tout son caractère historique.
Troisième raison : aujourd’hui 60 à 75% des objets volés en Afrique sont dans des réserves, ne sont pas exposés, ne sont pas dans les vitrines, dans les galeries ! Ils sont stockés dans des cantines et entassés dans des souterrains et leur entretien coûte extrêmement cher. Donc, la France ne profite pas tant que ça des objets qui lui valent des injures et des attaques de toute la communauté humaine. Elle a donc intérêt à les rendre. On nous dit : « Vous n’avez pas d’infrastructures pour les conserver et les montrer », je réponds : « Vous ne pouvez pas continuer de nous les refuser pour aller les cacher dans vos souterrains, là-bas … ». Alors, le procès qu’on nous fait, on peut aussi le retourner contre leurs auteurs.
Quatrième raison : je crois que, touristiquement parlant, la France n’a pas vraiment besoin des objets africains pour doper son offre touristique. La destination française est connue ; en termes de propositions touristiques, c’est la première destination mondiale, alors que nous, nous n’avons à montrer à nos touristes que nos forêts, nos palais et nos temples vodouns. Ce n’est pas rien, certes, mais nous aspirons à mieux.
Cinquième raison : la démarche béninoise est irréversible, si notre génération ne la fait pas aboutir, celle de nos enfants et après, celle de nos petits-enfants reprendra le flambeau. Ainsi de suite ! Avec les déversements de propos et des exhumations de faits qui pourraient faire très mal. Voilà, je pourrais continuer mais…


M. Alédji, certains prétendent que la demande du Gouvernement béninois nuit à la qualité de nos relations avec la France …

Je n’en crois rien. Ceux qui disent cela ont gardé en eux leurs racines d’esclaves incurables. Il ne faut pas se laisser intimider par un petit clan de vieux conservateurs râleurs ; ils ne représentent en rien la France. La France moderne existe et celle-là dispose, croyez-moi, d’un nombre impressionnant d’experts qui comprennent les enjeux. Ils savent que cette demande du Bénin n’est pas l’expression d’un caprice mais procède bien d’un projet de développement. Ils savent qu’au lieu de nous donner dix millions d’euros par ici, vingt millions d’euros par là, il vaut mieux nous restituer nos objets pour que nous les mettions dans nos musées modernes pour générer une économie touristique importante capable de relever notre Pib et d’impacter durablement le développement de notre pays.  Ils savent tout cela. La France connaît bien les enjeux et sait défendre ses intérêts. Elle a beaucoup à y gagner. Je vous le garantis.


Et pourtant, il y a des opposants dans les deux camps

Ils vont nous rallier quand ils verront les premières réalisations. Quand j’ai entendu le Président Emmanuel Macron à Ouagadougou et, récemment, lors de sa conférence de presse avec le Président Patrice Talon (Le lundi 5 mars 2018, Ndlr), je me suis dit : « Ce monsieur-là,  a tout compris … ». Le rôle des leaders, c’est aussi de montrer la voie à suivre. J’espère que les Français vont le préserver et le garder longtemps, parce que c’est une vision nouvelle, rafraîchissante. C’est ce que je pense. Même si je ne suis pas Français.


Pourriez-vous rappeler, pour nos lecteurs, le contenu des propos du Président Emmanuel Macron à Ouagadougou ?

Ha ha ! C’est une colle ? Emmanuel Macron disait, devant la jeunesse burkinabè, qu’il n’est pas normal que les objets relevant du patrimoine culturel africain ne soient accessibles aux Africains que dans les musées d’Europe. Il s’est engagé à rendre disponibles, sous certaines conditions, les œuvres africaines à Dakar, à Lagos et à Cotonou. Je résume, bien entendu.


Au cours de la conférence de presse, à laquelle vous venez de faire référence, le Président Emmanuel Macron a promis d’envoyer deux experts pour faire un peu comme un état des lieux. Un tel état des lieux, apparemment négatif, sur la capacité du Bénin à conserver valablement les biens qu’on va lui retourner, ne sera pas un moyen pour faire retarder les choses ?

Merci. Cela est possible. Le même Emmanuel Macron a dit, devant les caméras et les journalistes, que la France est disposée à mettre de l’argent dans le projet de restauration et de revalorisation de la Cité Lacustre de Ganvié. Cela, c’est un projet ! Donc, si l’on doit faire l’état des lieux, ce n’est pas uniquement l’état des lieux des palais royaux, qu’il faut faire, mais celui des projets en cours d’exécution aussi, celui de l’appui aux projets en cours d’exécution aussi, parce que ça, ça démarre là ; on est en train de mettre les fondations de musées contemporains, partout au Bénin.
Donc, on les attend, ces experts français. On espère que ce ne sont pas des gens braqués. On échangera avec eux sur l’existant et on évaluera les capacités des projets qui sont en cours d’exécution aussi. Moi, je fais confiance à l’humain en chacun de nous. Certains sont des fanatiques, mais il y en a qui savent relativiser, qui ont la raison féroce. Je crois que M. Emmanuel Macron va honorer ses engagements. C’est peut-être naïf, mais j’y crois.

Ousmane Alédji, un bon café d'après-interview ...
Une certaine simulation, Ousmane Alédji : si vous étiez Ministre de la Culture aujourd’hui, comment mèneriez-vous le dossier du retour des biens, de façon à y faire triompher la vision du Président Talon, le Bénin, tout simplement ?

Je vous remercie pour la considération, mais vu que je n’y pense pas, je n’ai pas de réponse pour vous.


Merci, M. Ousmane Alédji

C’est moi …


Propos recueillis par Marcel Kpogodo

vendredi 23 mars 2018

Mina Agossi, l’investissement dans la prise en charge des filles-mères


Dans le cadre des démonstrations à sa dernière conférence de presse

L’Espace ’’Tchif’’ de Cotonou a abrité une conférence de presse animée par Mina Agossi, la chanteuse franco-béninoise de jazz. La manifestation se déroulait le mardi 20 mars 2018. En dehors de l’évocation des deux concerts de la vedette pour ce weekend, il a été question de son parrainage de projets sociaux, notamment, celui de la construction prochaine d’un immeuble destiné à prendre en charge les filles-mères.

De gauche à droite, Mina Agossi et Tchif, au cours de la conférence de presse
5600 logements bientôt disponibles, sur 8400 km², pour le Centre polytechnique pour jeunes filles-mères de Porto-Novo. Le contenu du projet social que parraine la chanteuse franco-béninoise de jazz, Mina Gossi, et qui a été révélé, en marge de la conférence de presse qu’a tenue l’artiste, le mardi 20 mars 2018, à l’Espace ’’Tchif’’, sis quartier Guinkomey, à Cotonou, pour informer les professionnels des médias de la production sur scène de la vedette, respectivement, le vendredi 23 mars, dans un premier concert, Vip, destiné aux différents partenaires engagés dans la manifestation artistique, le deuxième étant ouvert au grand public et prévu pour avoir lieu dans la soirée du samedi 24 mars. Francis Nicaise Tchiakpè, alias Tchif, Fondateur de l’Espace ’’Tchif’’, a participé aux échanges.

Mina Agossi, entourée de Nichet Valéry Sopi (à gauche) et de Chimène Sossah (à droite)
Selon Nichet Valéry Sopi, architecte, paysagiste, urbaniste et Directeur général de la Société Ibc, le Centre polytechnique pour jeunes filles-mères de Porto-Novo sera érigé sur cinq étages comportant des logements pour héberger les femmes-mères âgées d’au moins 15 ans, déscolarisées ou mises à la rue par leurs parents, ce qui leur permettra d’être récupérées et de pouvoir apprendre un métier, surtout, manuel, pour une durée allant de six à douze mois, au maximum. A cet effet, l’immeuble comportera aussi des salons respectifs d’esthétique et de coiffure, de même qu’une salle polyvalente. En outre, il y est prévu la formation de filles ménagères encore appelées ’’Vidomègon’’, de puéricultrices et d’auxiliaires de vie, celles-ci devant ainsi être édifiées sur la manière de prendre soin de l’enfant dont elles ont la charge. Et, des aménagements techniques modernes y sont prévus pour le recyclage des eaux usées et pour l’exploitation de l’énergie solaire.

Aperçu du plan du Centre polytechnique
Si un sixième étage est annoncé au niveau du Centre polytechnique, c’est pour abriter ce que Nichet Valéry Sopi a appelé un loft, pour l’hébergement de la Directrice des lieux, Chimène Sossah, Présidente de l’Ong ’’Ekin’’ dont Mina Agossi a été nommée Porte-parole, afin d’user de sa popularité et de ses réseaux pour faire prospérer la vision de la structure associative. « Tomber enceinte est une fatalité qui existe », a déploré cette dirigeante, appelant à former les pensionnaires du Centre aux méthodes contraceptives. Elle s’est, par ailleurs, réjouie du début de concrétisation de son idée de construction d’un foyer pour les jeunes filles-mères vouées au rejet et à la misère : « J’ai rêvé et Dieu a exaucé mes prières ! », s’est-elle exclamée. Au-delà de ce rêve en réalisation, il est important que les objectifs nobles qui lui sont attachés trouvent aussi leur pleine concrétisation, aux fins de l’éradication d’un phénomène en développement exponentiel.

Marcel Kpogodo

mardi 20 mars 2018

« […] on va envoyer du lourd, du très lourd ! », promet fortement Mina Agossi


Dans le cadre de ses deux concerts du weekend à Cotonou

Mina Agossi, chanteuse franco-béninoise de jazz, se produit les vendredi 23 et samedi 24 mars 2018, à l’Espace ’’Tchif’’ de Cotonou. Ainsi, l’artiste a bien voulu se confier à nous, à travers une interview exceptionnelle au cours de laquelle elle s’ouvre en toute sincérité, en une véritable profondeur, sur ses prochains spectacles, sur son parcours, dans un certain passé …

De gauche à droite, Jean Adagbénon et Mina Agossi

Journal ’’Le Mutateur’’ : Bonjour Mina Agossi. Les 23 et 24 mars 2018, vous vous produirez en deux concerts respectifs de jazz, à l’Espace ’’Tchif’’ de Cotonou. Votre dernière prestation de ce genre, au Bénin, date de 2012. Qu’est-ce qui va se passer au cours de ces deux soirées ?


Mina Agossi : Le vendredi 23 mars, ce sera une soirée Vip, à 20h30, l’Espace ’’Tchif’’ ; je serai accompagnée d’une légende locale du Bénin, qui s’appelle Jean Adagbénon, à la batterie, et qui m’a fait l’honneur de venir sur mon disque qui s’appelle ’’Urbafrika’’. Deuxièmement, je serai accompagnée de Laurent Succab qui est un Guadeloupéen extraordinaire, qui est très très très ému parce que c’est son premier voyage sur le continent africain. En plus, connaissant les racines du Bénin et tout ce qui se transmet à travers les valeurs béninoises à Haïti, en Guadeloupe et qu’on retrouve aussi au Brésil, vous vous imaginez dans quel état il est. Donc, j’ai pris l’instrument avec moi ; ça s’appelle le tambour ’’ka’’. Donc, il va jouer avec le savoir-faire guadeloupéen, de ce tambour, avec Jean [Adagbénon]. En troisième lieu, il y aura Eric Jacot qui est mon partenaire, mon alter ego depuis quinze ans ; il sera à la guitare basse. Cela peut être un peu étrange parce qu’il n’y a pas d’instrument harmonique mais, vous allez voir : on va envoyer du lourd, du très lourd ! On peut faire beaucoup de choses : contrebasse, batterie et ’’ka’’, c’est explosif.
Pour la soirée concert du samedi 24 mars, c’est absolument la même formation, avec la différence que je fais du jazz et, le jazz, quand on joue un morceau, on ne le joue jamais pareil, dans un autre lieu, le lendemain, à un autre moment ; c’est très très différent, puisqu’on improvise, puisqu’on est dans un rapport de démocratie et d’échange où la voix a, certes, une place très importante, mais elle n’accapare pas tout, comme en variété, où c’est 75% de chant et 25% de musique. Là, on est vraiment dans une découverte sans fin, en fonction de la réponse du public sur nous. Sur la scène, on est dans un échange sans fin de cette musique et de cette culture. Même si on joue le même morceau le 23, le lendemain, il ne sera pas pareil.
En plus de ça, il se trouve que je suis un tout petit peu fofolle, je n’ai pas une liste fixe, je fais des morceaux au feeling, en sentant la salle, en sentant les gens. Donc, il se peut que je joue  des morceaux que je n’ai pas joués la veille ; c’est très libre.


Cela fait six ans que vous êtes produite au Bénin. Comment appréhendez-vous ce concert de retrouvailles avec le public béninois ?

On m’a toujours dit que le public béninois est dur (Rires). « Quand tu vas là-bas, il faut assurer. C’est dur ! Il y a des tas de gens … ». Moi, j’ai trouvé extraordinaire, à chaque fois, y compris sur des positions où j’avais quand même fait un spectacle de comédie musicale, où il y avait des costumes, des décors, eh bien, ce côté-là était entré totalement dans l’imaginaire des gens dans la salle et, je n’ai jamais eu aucun problème. Pour moi, c’est un public que j’adore, que j’adore ; je suis très très heureuse de retransmettre tout ce manquement de six ans-là, qui bouillait là et qui va maintenant pouvoir sortir.


Mina Agossi, vous êtes une chanteuse Franco-béninoise de jazz avec, à votre actif, douze albums après vingt-six ans de carrière musicale. Qu’est-ce qui fait la particularité de ce douzième album qui s’intitule ’’Urbafrika’’ et que nous aurons sûrement l’occasion de découvrir au cours de ces deux concerts ?

Cet album, c’est mon hommage, c’est ma vision. Il faut bien comprendre que, moi, j’ai principalement grandi plus dans la partie occidentale et j’ai beaucoup grandi sur le continent africain. Mais, le Bénin, je ne le connaissais pas, ma mère enseignait au Niger. Donc, j’ai gardé des sons du désert, comme les grands groupes ’’Tinaréwène’’ qui me parlent beaucoup, etc. Il y a toutes sortes de sons aussi ivoiriens, puisque j’étais un tout petit peu en Côte d’Ivoire, qui sont dans mon être, qui sont imprégnés. Et, ensuite, toute la culture béninoise avec les Poly Rythmo, les Angélique Kidjo, les Lionel Louèkè, les Jean Adagbénon, etc., tout ça s’est vraiment trouvé intégré et j’ai eu le plaisir de pouvoir jouer avec Tériba, de partager des moments à Montréal avec Angélique Kidjo, etc.
Mais, c’est vrai qu’on est tout le temps en train de bouger sur la planète, on se croise et, moi, il fallait, à un certain moment, que je concentre toutes ces énergies et que je me dise : « Il faut que je fasse avec mon style, mon ’’Tribute to Benin’’.


Quand on dit ’’Mina Agossi’’, cela sonne beaucoup béninois et, on sait que vous êtes d’ici de racine. Depuis que vous avez quitté le Bénin, est-ce que vous avez eu une fois l’impression que vous avez abandonné quelque chose de cher ?

Absolument ! Six ans, c’est long mais, vous savez, quand on est en tournée, qu’on ne sait pas vraiment ce qui va se passer, après, moi, je ne parle pas vraiment de ma vie privée, je peux très bien venir voir ma tante entre les six ans, je n’ai pas forcément besoin d’en parler.
Au niveau professionnel, c’est long : il y a eu plusieurs occasions qui ont été malheureusement ratées. Après, il y avait les élections ; tout ça était très compliqué. Il fallait que tout le monde sache ce qu’allait devenir ceci ou cela, il y a eu quand même aussi la rénovation de l’Espace ’’Tchif’’ et, il ne se passait plus rien. Cela a été remonté maintenant. Et puis, au niveau du travail, moi, j’étais en pleine évolution, je venais de finir un disque, j’étais en sortie, donc, les années ont passé. Mais, professionnellement, c’est un manque. Au niveau privé, pas du tout, je rassure. Moi, je suis toujours avec le Bénin tout le temps, chaque mois (Rires).


Et s’il était donné à Mina Agossi de partager son point de vue par rapport à l’évolution de la musique au Bénin …

Je pense qu’on peut aller vers une pente un peu glissante, en copiant beaucoup la musique occidentale ; il ne faut vraiment pas tomber dans le piège, je dirais, sur pas mal de choses. Mais, ça, c’est valable pour tout, pour tous les pays, pour tout ; il y a des valeurs ici qui sont absolument nécessaires au préservement, pour moi et, j’ai rencontré des slameurs … Il faut développer ça tout en gardant les racines, ne pas essayer de faire du copier-coller systématique. 


Mina Agossi pourrait nous parler un peu du déroulement de ses vingt-six ans de carrière : le commencement, l’évolution et la manière dont cela s’effectue actuellement.

J’ai commencé à chanter en 1992, complètement par hasard ; j’étais étudiante et puis, en fait, je suis allée dans un café en face de la fac, à l’époque. Il y avait un groupe, on m’a proposé de chanter et j’ai dit : « Pourquoi pas ? ». Puis, je suis allée sur scène et je me suis retrouvée à aimer ça, à y aller de plus en plus, et je suis vraiment autodidacte. Après, il a fallu se dire : « Je vais devenir professionnelle. Là, cette fois, je fonce, je vais apprendre ». Donc, j’ai passé beaucoup de temps : je voulais faire du rock et, le groupe n’était jamais présent ; c’était très rock’n’roll, on n’arrivait pas à répéter. C’était dans les années 1990. Il y a quelqu’un qui m’avait remarquée, qui ne m’a pas lâchée, qui tenait une salle de jazz et qui m’a dit : « Vraiment, essaye, essaye, essaye … ». J’ai fait une soirée avec du new orleans, ce qui fait que moi, j’ai commencé vraiment avec la base en new orleans, en swing et je suis partie en pop. Ensuite, j’ai décidé de développer un peu mon son et je suis devenue vraiment pro en 1997.
De 1992 à 1997, j’étais en apprentissage, mais j’avais vraiment déjà des tas de mélodies dans la tête. Je n’écris pas la musique, je n’ai pas fait d’école. Par contre, je compose tout le temps, dans ma tête. Le contrebassiste écrit pour moi et les morceaux se mettent en place, à tel point qu’après, j’ai eu une carrière qui a commencé à se développer un tout petit peu à l’international ; j’ai été remarquée par Archie Shepp, j’ai chanté pendant à peu près dix ans, il m’invitait régulièrement. Archie Shepp, c’est quand même l’un des inventeurs du free jazz, qui, maintenant, est revenu aux sources du blues ; c’est un très très grand saxophoniste.
Et puis, alors, le nec plus ultra, pour la stupeur, pour la reconnaissance qui m’a été accordée, c’était l’année dernière quand Ahmad Jamal m’a invitée sur son disque et m’a demandé de traduire. Il faut savoir qu’Ahmad Jamal, Miles Davis rêvait de l’avoir sur scène et, il n’a jamais voulu avoir de chanteuse, de toute sa carrière. Il a 88 ans et, je suis la seule qui ait pu chanter pour lui. J’en suis très honorée. J’ai chanté avec Ted Curson qui était trompettiste de Charles Mingus aux Etats-Unis. Donc, j’ai un parcours à l’international, qui est assez marqué mais, c’est du jazz ; ce n’est pas du tout des notoriétés comme Angélique Kidjo. On est très connus dans notre milieu, mais ça reste un peu confiné.


Pourquoi cette attirance pour le jazz, et pas pour les autres musiques ?

Moi, je voulais faire du rock. Pour moi, le jazz, c’était pour les vieux, c’était chiant et, c’est ce monsieur qui tenait une salle de jazz et qui trouvait que ma voix convenait plus au jazz ; il m’a tellement parlé de ça que j’ai fini par dire : « Ah bon ! Ok ». J’ai essayé et j’ai adoré. En fait, j’écoute de tout : de l’électro, du rap, de l’asijazz, de la world ; j’écoute un peu de tout, je n’ai pas du tout de frontières. Bien au contraire ! D’ailleurs, j’ai été connue pour ça : de mélanger beaucoup de styles dans mon jazz ; j’étais la première à apprendre du Jimi Hendrix, j’étais la première à faire une formation sans un instrument harmonique ; c’était complètement impressionnant, à l’époque, dans les années 2000 où on faisait plutôt un jazz très propre, très carré et, moi, j’arrivais, je faisais guitare électrique, à la voix uniquement.


Et, l’album ’’Urbafrika’’, combien de titres comporte-t-il ?

Il y a dix titres là-dessus. C’est un album très optimiste, très frais. Puisqu’on est dans une période très ’’sinistrosée’’, très plombante, je voulais faire quelque chose de très frais. Il y a quand même un morceau qui parle des ’’boat people’’, ’’Another life’’. Il y a le morceau ’’Azosse’’ qui a été co-écrit entre Jean et moi, en hommage à la vallée de l’Ouémé. Et, après, il y a des choses un peu new yorkaises, un tout petit peu plus urbaines, mais ça reste très frais.


Dans le goût de la musique universelle, quels sont les artistes de renom, qui ont influencé Mina Agossi ?

Encore une fois, j’écoute vraiment de tout, de Carruzo à Bjrk, en passant par Reine Pélagie, Lata Mandreshka, en Inde, … J’écoute de tout ! Après, en parlant des stars, des émules du jazz, il est évident que je ferais plutôt partie, dit-on, de la tranche ’’Billie Holiday’’.


Pensez-vous que le Bénin a une industrie musicale qui pourra désormais donner de l’essor à la musique béninoise ?

J’en suis persuadée à tel point que je pense que ça devait être en 2005, j’avais même eu envie de créer le disque équitable au Bénin. Après, c’était très compliqué avec les papiers et les trucs pour former. Mais, là, ça commence à s’alléger au niveau investissements ; je pense qu’il peut se passer beaucoup de choses, à savoir qu’un disque, au lieu d’être une copie faite en Chine, qui arrive sur des étals des marchés sous le soleil, etc., de faire un vrai disque – il faut savoir qu’un album pièce, c’est 1,20 euro à la confection – si on vendait ça à 1000 ou 1200 francs au maximum, en vrai Cd, pas en copie, pas en chose revisitée, à 700 ou 1000 francs Cfa, on pourrait vraiment récupérer, mais nous, les artistes, rien, avec les maisons de disques, ça ne change rien. Même si c’est 1,20 euro en France, chez ’’Naïve’’, ’’Universal’’ ou ce que voulez, l’artiste, au final, ne touche pas. Donc, c’est très compliqué. Pourquoi ne pas créer, soi-même, sa propre compagnie, son propre disque ? J’avais pensé à ça. Je pense que c’est une idée qui peut maintenant se formuler, parce qu’il y a des allègements, il y a beaucoup de choses qui se mettent en place. Je ne vois pas pourquoi la musique malienne, la musique sénégalaise sont ultra médiatisées à travers la planète, et qu’on ne parle pas assez du Bénin.


Sur ce point, le Bénin n’a pas encore réussi à avoir un timbre musical spécifique, unique … Pensez-vous que nous y parviendrons un jour ?

C’est marrant, ce que vous dites, parce que vous l’avez en vous ; le Bénin a des rythmes tellement complexes ! Il y a des batteurs de jazz aux Etats-Unis, qui n’arrivent même pas à comprendre comment on joue ici, comment les rythmes se font ; il faut miser sur la force. L’impact, c’est quoi ? Il y a énormément de rythmes qui sont  partis du Bénin, qui sont arrivés au Brésil, qui ont influencé des tas de choses. Il y a un phénomène béninois qui se passe en ce moment : je crois que ’’Marvel’’ veut faire quelque chose avec le Bénin sur les amazones ; il y a un tel patrimoine ! Seulement, nous, on a un vrai problème avec le passé et la traite négrière, c’est quelque chose qui reste un traumatisme très complexe à transmettre. De tout ça, il y a les rythmes qui sont sortis d’ici, ont été revisités, sont partis là-bas : il faut revenir à la source et dire : « Venez au Bénin, venez découvrir le pays ! Beaucoup d’entre vous sont partis par la force, mais on s’en fout ! Venez découvrir le Bénin ! ».
Et, si on arrive, à mon avis, à faire ça, on va avoir des hôtels et on va avoir tous les Afro-américains qui vont débarquer ! Cela peut être très intéressant : repartir à la source.


En bonne Béninoise, quand on invite Mina Agossi à table, elle adore quoi, comme mets, au Bénin ?

Le Gbékouin, à 300% !


Mina Agossi, vous êtes une compatriote béninoise originaire d’Azowlissè, dans la Commune d’Adjohoun , du Département de l’Ouémé. Pouvez-vous nous donner la signification de votre nom, ’’Mina Agossi’’, qui sonne typiquement béninois ?

’’Mina’’, c’est un oiseau ; c’est un prénom arabe ou indien. Ici, au Bénin, c’est une langue. En Inde, ’’Mina’’, c’est un oiseau,  c’est plein de choses. Mais, moi, je suis née par le siège. Même si ma mère n’est pas restée avec mon père et qu’ils se sont séparés avant ma naissance, le fait que je sois née par le siège, on m’appelait ’’Agossi’’. Donc, ça, ça m’est resté.


Qu’avez-vous à dire à nos lecteurs et qui devrait leur donner envie de venir à l’un ou l’autre des deux concerts que vous donnez le weekend prochain ?

Ce que je pourrais dire à tous ceux qui s’intéressent à la culture, pour les inciter à venir : je n’aimais pas le jazz et, en fait, le jazz a tellement ouvert ses portes ; il faut venir, vous allez comprendre, on peut aimer le jazz, ce n’est pas qu’une musique élitiste.

Propos recueillis par Marcel Kpogodo



Lucarne 1 : « [Jean Adagbénon], c’est du sable dans la voix … »


Originaire d’Azowlissè comme Mina Agossi, l’icône de la musique béninoise, Jean Adagbénon, pièce maîtresse, rythmiquement parlant, de l’album ’’Urbafrika’’, constitue un maillon incontournable dans les deux concerts du weekend prochain, qui verront la chanteuse franco-béninoise de jazz se produire à l’Espace ’’Tchif’’ de Cotonou. En effet, comme en témoigne Mina Agossi, il se trouve impliqué dans la totalité des dix morceaux de l’album, dans le jeu de la batterie ou des tambours, intervenant dans quatre ou cinq d’entre eux. Il est donc le maître d’œuvre de ce jazz aux couleurs béninoises, lui qui y voit comme un coup de valorisation artistique que lui donne Mina Agossi : « « Je suis batteur de jazz, à l’origine ; c’est plutôt elle qui me prête son épaule maintenant ».
Après leur rencontre fortuite, en 2000, à la Cafétéria de l’ex-Centre culturel français, ils ont collaboré dans deux œuvres : ’’Mina Agossi, une voix nomade’’, un documentaire du réalisateur français Jean-Henri Meunier, en 2005, et la comédie musicale, ’’La belle et la bête’’, jouée en 2008. Depuis, ces deux profonds compatriotes se sont suivis partout, en France, en Afrique, pour des concerts. ’’Urbafrika’’ sonne donc comme le fruit d’une affinité et d’une communion artistiques dont le public n’a d’autre choix que de venir jouir. Et, l’hommage de Mina Agossi est émouvant : « Il n’y a pas beaucoup de batteurs qui chantent, il chante, mais c’est du sable dans la voix, c’est quelque chose qui donne des frissons, c’est extraordinaire et, il est extraordinaire à la batterie », ce que lui rend bien Jean Adagbénon, motivant le public à faire massivement le déplacement du concert de la soirée du samedi 23 mars 2018, dès 20 heures, à l’Espace ’’Tchif’’ : « Des concerts de jazz, il n’y en a pas beaucoup, mais du bon jazz, il n’y en a pas non plus beaucoup, du bon jazz avec une source béninoise, il n’y en a pas beaucoup … ».

M.K.



Lucarne 2 : Soria Assouhan, « future championne de rugby »


De gauche à droite, Soria Assouhan et Mina Agossi
Entre le rugby et le jazz, aucun lien, sauf si le cœur s’investit à construire un pont entre les deux disciplines. Le cœur qui bat dans la poitrine de Mina Agossi a réussi l’exploit de cette rencontre inattendue. Conséquence : la chanteuse de jazz donne un peu de son temps pour soutenir et mettre sous les feux de la rampe l’évolution de la jeune Soria Assouhan, 21 ans, dans le rugby féminin béninois. Se trouvent au fondement de la prise de conscience par l’artiste de sa vocation pour mener ce genre d’action humanitaire deux faits majeurs de distinction : sa réception, en 2011, par Frédéric Mitterrand dans l’Ordre national du Mérite en France et, 2017, le décernement à son endroit, en 2017, par le Haut conseil des Béninois de l’extérieur (Hcbe), du Prix féminin.
Désormais, motivée, boostée, sous l’effet du « déclic », la voilà procurant du poids et de la richesse à sa vie par deux causes : en tant que Porte-parole de l’Ong ’’Ekin’’, user de sa notoriété pour concrétiser la construction d’un immeuble de cinq étages, pour prendre en héberger les filles-mères déscolariser. Ensuite, comme Ambassadrice de l’autre Ong dénommée ’’Rugby pour tous’’, contribuer à développer le rugby féminin, par le biais de l’entretien de la réussite de Soria qui, depuis, n’est plus la même : entraîneuse, pour le compte de cette discipline sportive, au foyer ’’Sonagnon, et membre de l’équipe ’’Les lynx’’, elle a déjà effectué un stage à Montauban, en France. Depuis trois ans que Mina Agossi l’a rencontrée, sa vie explose de perspectives et d’un dévouement à la cause, ce qui conduit sa marraine à voir en elle une future championne du rugby féminin. Avec le lobbying de l’artiste, les jeunes joueuses béninoises ont déjà bénéficié d’un don de 300 kg de matériel en chaussures, en ballons et en outils de protection. Soria, championne, avec son équipe, depuis le samedi 17 mars 2018, sent, de manière pratique, que la lumière qu’apporte dans sa vie l’engagement social de Mina Agossi, lui ouvre les portes d’une destinée d’une réalisation inévitable de soi.

M.K.